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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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La religion au fondement de la cité | | | Nicolas Richer La Religion des Spartiates - Croyances et cultes dans l’Antiquité Les Belles Lettres - Histoire 2012 / 55 € - 360.25 ffr. / 810 pages ISBN : 978-2-251-38113-8 FORMAT : 21,5 cm × 15,0 cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est docteur et professeur agrégé en histoire. Imprimer
La Religion des Spartiates vient combler un manque important dans les études grecques puisquil nexistait pas à ce jour en langue française de monographie sur le sujet. Nicolas Richer, qui est un des principaux spécialistes actuels de Sparte, en sappuyant sur des recherches initiées de longue date, produit ici une synthèse fouillée qui rendra de grands services, autant pour la connaissance des pratiques spartiates que pour servir de point de comparaison avec dautres cités du monde grec.
Louvrage est composé de douze chapitres qui peuvent être classés en trois grands ensembles. Les cinq premiers chapitres abordent la question du rapport des Spartiates aux dieux. Après avoir présenté les principaux dieux honorés à Sparte (chap.1), lauteur consacre un chapitre important et passionnant aux pathèmata, cest-à-dire aux cultes voués à des abstractions comme la peur, la pudeur ou le rire. Il montre ensuite que lhéroïsation des morts glorieux (notamment des rois, mais pas uniquement), dont les tombes peuvent être placées au cur de la cité, augmente régulièrement le nombre des protecteurs de la cité. Les chapitres 4 et 5, consacrés aux lieux et aux objets de cultes, révèlent le souci permanent de protéger le territoire de la cité. La deuxième partie de louvrage présente les acteurs du culte : dabord les acteurs masculins (chap.6), puis les femmes (chap.7). La dernière partie du livre aborde les principales fêtes : les Hyakinthies (chap.8), les Gymnopédies (chap.9), les Karneia (chap.10), les combats au Platanistas (chap.11), avant de se clore par une réflexion plus générale sur le calendrier des fêtes (chap.12).
Malgré son volume assez impressionnant et en dépit de ce plan un peu systématique, ce livre peut sadresser à un large public. Le spécialiste y trouvera les textes cités en grec et sattachera aux abondantes notes précisées encore par des notes complémentaires. Il disposera ainsi, sur chacun des aspects abordés, dune synthèse précise, des sources essentielles et dune bibliographie à jour. Mais un lecteur profane appréciera la traduction des sources, la clarté du style, les nombreuses conclusions partielles, le plaisir de lire facilement un livre pourtant érudit et pointu. Une telle lecture modifie notre vision de la cité spartiate qui napparaît plus seulement comme une cité conservatrice peuplée de guerriers endurcis au combat, mais dabord comme une cité dans laquelle la religion est omniprésente et tient une place centrale, au point dêtre le fondement de la structure sociale.
La maîtrise de soi, qui contribue à la célébrité des Spartiates dans lAntiquité est ainsi entretenue par le culte rendu aux pathèmata (la peur, la pudeur, le sommeil, la mort, le rire, lamour et la faim). La maîtrise de ces forces est un élément central du bon ordre (leukosmon) lacédémonien : la pudeur (ou la retenue) doit régir les relations à lintérieur de la cité ; la peur (Phobos) nest pas seulement une arme portée contre lennemi, mais aussi une force interne de cohésion en particulier dans larmée ; la soumission dans les pratiques deros, le contrôle du sommeil ou de la faim sont essentiels dans léducation pour préparer le jeune homme à servir la cité. Les différences entre les tombes, qui sont fonction à la fois du statut social du mort et de sa valeur, mais qui conservent la mémoire des héros, constituent aussi pour le citoyen de Sparte autant de modèles à admirer et à imiter.
Plus généralement, la religion contribue à renforcer lautorité du système politique. Les Lacédémoniens qui voient en Apollon lauteur de leurs règles de vie, accordent une importance cruciale à la consultation des oracles et attribuent une origine divine aux familles royales. Dailleurs, les rois sont les principaux médiateurs entre les dieux et les hommes et sembleraient même être les seuls prêtres de la cité. Doù aussi leur statut de protecteurs, même après leur mort. Et les fêtes elles-mêmes, comme les combats de jeunes Spartiates au Platanistas (dont N. Richer défend lancienneté de la pratique), pourraient avoir eu une fonction de confirmation du pouvoir royal.
La religion contribue aussi à marquer et à protéger le territoire de la cité. Non seulement les Spartiates semblent accorder plus dimportance que les autres Grecs aux sacrifices qui accompagnent le passage de la frontière, mais leur sensibilité à la protection divine des espaces les pousse à honorer les dieux des cités quils combattent ou traversent. Leur propre territoire est non seulement entouré «par une sorte de glacis protecteur» (p.197) que dessinent les sanctuaires, mais il est surtout animé par les dynamiques quinstaurent les jeux de miroirs et les dédoublements entre les différents hiera : il est ainsi fréquent quun sanctuaire aux limites de la cité ait un répondant au centre. En outre la polarisation de lespace est accentuée par linstallation, au cur de la cité, des tombes des morts glorieux qui fonctionnent comme des reliques (p.191). La religion imprègne aussi le temps de la cité, comme de lindividu. La vie des Spartiates est ainsi rythmée par des fêtes qui sintègrent dans un calendrier cosmique et scandent les moments importants de la vie. Cest ainsi toute la vie des citoyens, à la maison, comme dans la cité, qui est placée sous le regard scrutateur et protecteur des dieux.
Enfin, si ce livre décrit un «système religieux complexe et cohérent» (p.18), il sefforce aussi den montrer le dynamisme en recherchant systématiquement lorigine, la construction et lévolution historique des différentes pratiques. De ce point de vue, cest limage dune cité immobile et conservatrice qui est brisée par cette lecture. Au contraire, le système religieux y apparaît plutôt ouvert et en constant renouvellement. Ce livre, bien que synthétique, contribue donc à éclairer dun jour nouveau la cité spartiate et sadresse aussi bien aux chercheurs quà un public plus vaste.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 18/12/2012 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Véritable histoire de Sparte et de la bataille des Thermopyles de Jean Malye Sparte de Edmond Lévy | | |
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