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Plaisirs, distractions, délassements – ou débauche ? | | | Jean-Noël Robert Les Plaisirs à Rome Les Belles Lettres - Realia 2005 / 21 € - 137.55 ffr. / 246 pages ISBN : 2-251-33819-5 FORMAT : 14,5cm x 22,5cm
3e édition revue et corrigée.
L'auteur du compte rendu: Michel Blonski, agrégé d'Histoire, travaille en doctorat sous la direction du professeur François Hinard, à l'université de Paris IV, sur les problèmes du rapport au corps dans la civilisation romaine. Imprimer
Dans cette agréable réédition dun ouvrage paru en 1983, J.-N. Robert nous convie à explorer la civilisation romaine à travers les différents types de plaisirs et de divertissements quelle a pu connaître et faire fleurir. Lauteur cherche à nous les faire connaître en suivant plusieurs perspectives. Dabord, en rappelant judicieusement le fait des évolutions internes à leur univers, quon ne saurait considérer comme immobile et identique pendant plusieurs siècles.
Ensuite et cest peut-être laxe fondamental du livre en abordant, comme outil permanent danalyse, lopposition entre «plaisir» et «morale» romaine traditionnelle. Point à creuser en effet : comment une civilisation, qui aimait à se décrire comme sobre et rude, a-t-elle réussi, quand même, à varier et multiplier ses occasions de divertissement ? Cette tension, cette problématique, guident lensemble des évocations retenues dans cet ouvrage.
Lauteur fait en effet une liste différenciée des diverses occasions de plaisir dont pouvaient profiter les Romains. J.-N. Robert commence par celles que permet le cadre urbain ; il rappelle la promiscuité et les conditions particulières de la vie dans lVrbs lauteur évoque alors les bains, les thermes, les jardins et lagitation du forum. Puis le lecteur est amené à connaître les plaisirs de la fête et du spectacle Saturnales, gladiature, théâtre.
Cest, par la suite, tous les types de délassement que lon peut voir défiler sous nos yeux : ainsi les plaisirs de la table, gastronomie, art du banquet, puis les plaisirs de la villégiature dans de luxueuses villas à la campagne. Passant à tout autre chose, nous examinons quelle place est réservée aux femmes et aux «plaisirs au féminin», dans une société qui se veut patriarcale voire misogyne, mais dans laquelle, peu à peu, une place leur est faite, si ténue soit-elle. De même, lauteur examine les différentes manifestations des «plaisirs de la chair» : il rappelle la «polygamie de fait» qui régnait à Rome ; les trucs de séduction dOvide ; les questions liées à lhomo -ou plutôt bi-sexualité, celles liées à lévolution moralisatrice de lEmpire pour finir sur le monde trouble et contrasté de la prostitution.
Enfin, nous découvrons lensemble des plaisirs plus intellectuels : ceux qui naissent de la contemplation de lart, et ceux que permet la joie des oeuvres de lesprit, doù les paisibles évocations de lart de vivre selon Virgile ou Horace. Lauteur conclut sur lévolution ultérieure du monde romain, selon lui plus sensible aux questions de spiritualité alimentées par des traditions païennes et les religions orientales.
Ouvrage assurément plaisant : à lhonnête homme curieux, il permettra dembrasser le monde romain, dun vaste regard, en quelques pages écrites dune plume vive ; celles-ci ne lui causeront aucune difficulté de lecture. On remarquera, cela dit, quelques problèmes de fond et de forme. Dabord, lhomogénéité de la notion même de plaisir, qui ne va pas de soi. Lauteur a choisi dinventorier les plaisirs de toutes les classes sociales et de tous les types dindividus, quel que soit leur contenu effectif : pourquoi pas, mais pourquoi aussi mettre dans la même catégorie générale «plaisir» de la taverne et «plaisir» de la contemplation intellectuelle ? Pourquoi, à linverse, chercher absolument à faire une démarcation, chapitre par chapitre, entre plusieurs plaisirs semblables (par exemple, le plaisir de la villégiature est inséparable de celui de lesprit : un riche Romain comme Pline le Jeune profite justement de ses repos à la campagne pour sadonner à létude) ? On pourrait aussi questionner lopposition entre morale austère et plaisir : elle vaut assurément la peine dêtre évoquée, mais on pourrait la fouiller un peu plus une alternative aussi simple, posée pour toute la période, ne saurait suffire ; à plus forte raison lorsque les écrivains les plus sévères, pensons à Sénèque, ne laissent pas la réputation davoir appliqué leurs idées à leur propre vie.
Dans cette logique, il faudrait aussi se questionner sur lutilisation faite de certains textes : lauteur fait dire beaucoup de choses à Horace ou Virgile, et a souvent tendance à mettre sur le même plan texte poétique, narrateur, et la personne même de lauteur (du type : ce nest pas un berger qui parle, mais Virgile, un homme qui aime et qui souffre). Surtout, on pourrait lui reprocher de ne pas prendre de distance avec beaucoup de ses sources : Juvénal et Sénèque, dans la description quils font des plaisirs de leurs contemporains, forcent le trait et dépassent la caricature peut-on les prendre pour argent comptant ? Beaucoup de ces textes valent par leur caractère dexercice rhétorique, de passage obligé (un plaisir est fait pour être dénoncé) : sagit-il de descriptions objectives ? Rien nest moins sûr.
On passera enfin sur certains points mineurs de forme, comme des phrases un peu vagues (p.128, «le Romain demeure avant tout un homme épris de paix, proche de la nature»), dautres au ton un peu anachronique (p.129, une famille romaine «dispersée et exilée dans ces grands immeubles impersonnels de la ville»). Il faudrait aussi citer quelques erreurs vénielles : on apprend ainsi, p.59, que Vitruve a commenté la décoration de la Maison dorée de Néron, chose qui lui était difficile puisquil a vécu un siècle avant sa construction. Lapsus certainement, mais c'est gênant dans une réédition censée avoir subi de nouvelles corrections.
Malgré ces points délicats, l'ensemble est bien plaisant, car ce livre reste une introduction aisée et spirituelle à une civilisation, à travers létude dun de ses aspects souvent mal compris.
Michel Blonski ( Mis en ligne le 31/10/2005 ) Imprimer
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