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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Euripide Hélène - Edition bilingue français-grec Les Belles Lettres - Classiques en poche 2007 / 9 € - 58.95 ffr. / 163 pages ISBN : 978-2-251-79975-9 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Après Les Bacchantes et Hécube, la collection «Classiques en poche» des Belles Lettres nous offre une troisième tragédie dEuripide (sur 19 pièces conservées, sans parler des fragments), même sil ne sagit pas de lune des plus connues, et quelle finit bien (comme Ion, Alceste ou Iphigénie en Tauride). Jouée en 412 av. J.-C., Hélène est une des dernières uvres du poète, qui meurt six ans plus tard. Nous ne la possédons que par miracle, grâce à deux manuscrits, dont lun dépend en fait de lautre.
Le synopsis reprend une version particulière de la légende dHélène, dont Platon et Hérodote se font également lécho, remontant au poète lyrique sicilien Stésichore dHimère, auteur au tournant des VIIe et VIe siècles dune célèbre Palinodie. En effet, privé de la vue pour avoir dit du mal dHélène, il sut à quoi sen tenir et modifia ainsi son poème : «Il nest pas conforme à la réalité ce discours ; non, tu ne montas pas sur les nefs bien pontées. Non, tu ne vins pas à la citadelle de Troie». Il expliqua quHélène avait bien été enlevée par Pâris, mais quelle nétait jamais allée à Troie. En effet, les dieux lui substituèrent un fantôme (eidôlon), innocentant ainsi la reine de Sparte dêtre à lorigine des massacres de la guerre de Troie. Dès quil eut achevé de composer cette nouvelle version de la légende, Stésichore recouvra la vue sur-le-champ. On ne sait pas, en revanche, sil transportait déjà la «vraie» Hélène sur les bords du Nil. Mais une Hélène ayant séjourné en Egypte était déjà attestée par lOdyssée, daprès laquelle le couple y était passé au retour de Troie, et par Hérodote, qui, au contraire, fait faire relâche à Pâris chez Protée, roi dEgypte, lequel, indigné de loutrage fait par le Troyen à son hôte, retint chez lui la belle victime pour la rendre à son époux quand il se présenterait. Euripide lui-même a fait référence à cette version dans son Electre, où les Dioscures expliquent à la fin de la pièce à Oreste quHélène et Ménélas, tout juste revenus dEgypte, où Hélène attendait depuis le début de la guerre de Troie, soccuperont des funérailles de sa mère Clytemnestre.
Euripide substitue à la femme fatale des poèmes homériques une «Hélène-Pénélope», toute de fidélité envers son époux Ménélas, transportée en Egypte par Hermès et confiée à la garde du vertueux roi Protée (qui a subi lui aussi une considérable transformation par rapport au «Vieillard de la Mer» gardien de phoques de lOdyssée, même si son épouse est une Néréide, Psamathé), tandis que Pâris enlevait un fantôme. Le problème est que le vieux roi est maintenant mort. Hélène se lamente en suppliante sur son tombeau, car le fils et successeur de Protée, Théoclymène (un personnage visiblement inventé par Euripide), veut lépouser. Arrive Teucros, chassé de Salamine par son père Télamon pour navoir pas su protéger son frère Ajax. Il sétonne de la ressemblance de la jeune femme avec lodieuse responsable de la guerre de Troie (Hélène ne lui a pas révélé son identité) et lui fait part de rumeurs sur la mort de Ménélas. Lhéroïne se lance après son départ dans un chant de deuil auquel sassocie le chur de captives grecques. Elle décide daller ensuite consulter la devineresse Théonoé, sur de Théoclymène, dont le nom et la personnalité évoquent lodysséenne Eidothée, fille de Protée. Mais Ménélas, quun naufrage a jeté sur la côte, fait son apparition. Il cherche du secours, mais la vieille femme qui garde la porte du palais le chasse. Il se cache et finit par apercevoir Hélène qui revient rassurée de son entrevue avec Théonoé. Ménélas se montre, mais croit être le jouet dune illusion, puisque celle quil a reconquise à Troie est restée à la garde de ses matelots. Mais un de ceux-ci arrive pour annoncer que la fausse Hélène sest évanouie dans les airs. Les deux époux éperdus tombent dans les bras lun de lautre.
Cependant, tout reste à craindre de Théoclymène. Les époux réussissent à persuader Théonoé de prendre leur parti, et de ne pas révéler la présence de Ménélas à son frère. Hélène propose un plan dévasion. Elle demandera au roi un bateau sous prétexte daller rendre des devoirs funèbres à son mari mort noyé en mer, promettant dépouser ensuite le roi égyptien (la ruse fait penser à celle de lhéroïne dIphigénie en Tauride pour sauver son frère du sacrifice). Quand arrive Théoclymène, Hélène présente Ménélas comme un naufragé venu lui annoncer le décès de son mari. La ruse quelle a mise au point fonctionne parfaitement. Hélène fait preuve de séduction et de tromperie pour obtenir ce quelle veut du roi égyptien (on retrouve là lambiguïté du personnage homérique !). Un messager annonce ensuite à Théoclymène son infortune, Ménélas et ses hommes sétant rendus par la violence maîtres du navire qui les conduira en Grèce. Furieux, le fils de Protée veut punir sa sur de sa complicité passive, mais il en est empêché par lapparition dei ex machina des Dioscures, frères dHélène, et sincline devant la volonté divine.
Léditeur reprend ici la traduction donnée par Henri Grégoire dans la «Collection des Universités de France», mais nous offre une introduction inédite et des notes de Françoise Frazier, professeur de langue et littérature grecques à luniversité de Montpellier. Un appendice intéressant fournit des textes antérieurs sur le mythe dHélène, qui constituent les sources de la pièce dEuripide : Homère, Hérodote, les fragments de Stésichore (connus à travers Platon) et Euripide lui-même (Electre). On y trouve également une méditation moderne sur lHélène dEuripide, dans le Journal de bord du poète néo-hellénique Séféris. Enfin, trois pages dune courte bibliographie il y manque curieusement Voir Hélène en toute femme : dHomère à Lacan de Barbara Cassin (2000) et «Le fantôme de la sexualité» de Nicole Loraux (dans Les Expériences de Tirésias : le féminin et lhomme grec, 1989, pp.232-252) permettront à ladmirateur éperdu de la fille de Léda dapprofondir létude dun mythe qui a fortement marqué limaginaire occidental, même si Euripide nen donne pas ici la version la plus courante. En effet, dans cette pièce, Hélène est aussi fidèle et vertueuse que sa cousine Pénélope, et presque aussi chaste que la déesse vierge Artémis, dont le portrait (issu dune frise du Parthénon) orne curieusement la couverture du livre.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 06/11/2007 ) Imprimer | | |
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