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Entre Païens et Chrétiens
Jean-Daniel Causse   Elian Cuvillier   Mythes grecs, mythes bibliques - L'humain face à ses dieux
Cerf - Lire la Bible 2007 /  17 € - 111.35 ffr. / 187 pages
ISBN : 978-2-204-08472-7
FORMAT : 14,0cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.
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Les méthodes utilisées pour l’analyse des mythes grecs peuvent être également fécondes pour l’étude des textes sacrés chrétiens. C’est ce que montre cet ouvrage reprenant en grande partie des contributions élaborées à l’occasion d’un cours public donné à la faculté de Théologie Protestante de Montpellier (dont Elian Cuvillier, l’un des auteurs, est l’actuel Doyen), durant le semestre d’hiver 2006-2007. Chacun des contributeurs y aborde le mythe à partir de son propre domaine de compétence. Utilisant tour à tour l’exégèse biblique, la littérature, l’anthropologie ou la psychanalyse, chacun s’interroge sur le sens et la portée des grands mythes, grecs et bibliques, qui sont au fondement de notre culture.

En introduction, Jean-Daniel Causse, professeur à l’Université Paul-Valéry-Montpellier III (psychanalyse) et à la Faculté de Théologie Protestante (éthique), pose la question suivante : «Quelle fonction attribuer aux mythes ?». Il reprend et discute l’entreprise de «démythologisation» mise en œuvre par le théologien Rudolf Bultman et propose ensuite de considérer le mythe comme symbole au sens du «symbolique» et non du «symbolisme». La première partie présente trois contributions consacrées au mythe grec. Catherine Salles, maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre, empêchée de participer au cours public, a néanmoins accepté de rédiger spécialement son intervention pour la publication, reprenant le titre d’un célèbre ouvrage de Paul Veyne, «Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?» (1983). Elle explique que les mythes ne sont pas simplement de «belles histoires», mais qu'ils plongent leurs racines dans les structures des sociétés où ils sont nés. Les Anciens eux-mêmes ont fait tellement de lectures différentes des légendes que la notion de croyance reste fort ambiguë en ce domaine, pour ne pas dire inopérante.

Cette réflexion se trouve reprise par Pierre Sauzeau, professeur de langue et littérature grecques à l’Université Paul-Valéry-Montpellier III dans «Les Anciens, les mythes et la croyance religieuse». Ayant remplacé dans l’urgence Catherine Salles pour le cours public, il livre également son analyse sur la foi que les Anciens polythéistes accordaient à leurs mythes. Le terme grec muthos est ambigu : il s’étend de la parole et du récit (apparaissant ainsi comme un presque synonyme de logos) au mensonge et à la fable. Bien avant les Chrétiens ayant souvent fondé leur propagande sur l’immoralité et l’absurdité des anciens mythes grecs, des penseurs avaient entrepris la critique du mythe au nom de la morale et de la raison. Le rejet n’est cependant pas total, car certains ont proposé une lecture allégorique du mythe, permettant de le sauver tout en donnant satisfaction à la morale et à la raison. Mais comment expliquer que les dieux soient souvent rabaissés dans le mythe et l’épopée, malgré la profondeur du sentiment religieux en Grèce ? C’est peut-être que la croyance aux mythes et la croyance religieuse ne se recoupent pas toujours complètement, ces deux ordres de croyance étant à la fois liés et différents.

Pierre Sauzeau donne un exemple qu’il connaît bien (pour l’avoir étudié dans son dernier livre Les Partages d’Argos : sur les pas des Danaïdes, Belin, 2005), celui de la déesse Héra. Divinité vénérée dans le culte (notamment à Argos et à Samos, où elle a ses plus fameux sanctuaires), elle est aussi un personnage déplaisant au niveau du mythe, l’épouse jalouse et acariâtre du roi des dieux, qui trompe sa vigilance pour aider ses protégés Achéens pendant la guerre de Troie. Le mariage sacré (hieros gamos) constitue l’un des éléments les plus importants du culte de cette déesse souveraine, protectrice des guerriers et surtout des unions matrimoniales, mais devient un sujet plaisant dans l’Iliade (la célèbre scène de la dios apatè – ou tromperie de Zeus – où elle séduit son époux pour mieux l’abuser), au grand scandale des moralistes de l’Antiquité. Les réinterprétations allégoriques tentent de trouver le sens du mythe, grâce à des jeux de mots étymologiques permettant d’associer le nom de la déesse au désir amoureux (éros) et à l’air (aêr). Il s’agirait donc en fait d’une allégorie de l’union de l’air (Héra) et de l’éther (Zeus), voire d’une allégorie du retour du printemps, ou encore (dans la lecture néo-platonicienne de Proclus) de celle de l’union du démiurge-âme du monde avec sa fécondité créatrice. Curieusement, les cultes chrétiens de la Vierge, en Grèce et en Italie du Sud, récupéreront dans un syncrétisme créateur les significations attachées à Héra.

Dans la troisième contribution de la première partie, le psychanalyste Patrick Guyomard, maître de conférences à l’Université Paris VIII, reprend le récit de la tragédie Antigone de Sophocle, et analyse notamment l’énoncé de l’héroïne qui affirme «Je suis de ceux qui aiment et non de ceux qui haïssent». La fille d’Œdipe est un personnage qui éclaire, attire, fascine et appelle à l’imitation, contrairement à son père qui fait horreur par ses transgressions (meurtre du père et mariage avec la mère). A travers les différentes réécritures de son mythe (jusqu’à Bertolt Brecht et Jean Anouilh), Antigone a incarné toutes les résistances, contre le fascisme, le totalitarisme, le nazisme, tous les pouvoirs coloniaux ou religieux… Mais le psychanalyste montre qu’Antigone est prise dans la confusion entre l’origine et l’origine familiale, alors que la question des origines ne se réduit pas à la question de l’appartenance familiale. Antigone pose aussi la question de la loi et du rapport à la loi, la loi de l’Etat (ou plutôt de la Cité, représentée par Créon) à laquelle Antigone oppose sa loi. Pour les Grecs, Antigone était ainsi dans l’hubris, c’est-à-dire dans l’excès, au-delà de la mesure humaine. Pour Patrick Guyomard, une des leçons de la tragédie d’Antigone était justement la nécessité de se dé-fasciner d’une figure aussi belle et emblématique, de se dé-fasciner d’une trop grande proximité du divin qui fait perdre à l’homme sa propre mesure humaine. De plus, Antigone est prise dans le mauvais lien incestueux de ses origines familiales, identifiée à ses frères jusqu’à vouloir les suivre dans la mort. Elle ne veut pas ou ne peut pas changer, aimant d’un amour bien spécial, d’un amour déjà pris dans la mort, négligeant son fiancé vivant au profit de ses frères morts, et se suicidant finalement comme sa mère Jocaste.

La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux mythes bibliques. En ce qui concerne l’Ancien Testament, on pourrait penser que le terme «mythique» convient seulement aux récits des origines de Genèse 1-11, auxquels on oppose les récits «historiques» des vies des patriarches et de Moïse, et ceux de l’histoire de l’installation d’Israël en Canaan. Dans sa contribution sur «Le langage mythique de l’Ancien Testament. Un langage théologique incontournable», Dany Nocquet, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de Théologie Protestante de Montpellier, dépasse la simple opposition entre mythe et histoire, montrant que dans ces récits langage mythique et langage historique se croisent et s’interpénètrent. Ils représentent deux façons d’organiser le rapport à la vérité et à la réalité. Sous l’apparence d’un discours objectif, le langage mythique organise un lien à la vérité qui appartient au registre de la subjectivité et se situe hors de toute chronologie, à la différence du discours historique. Dans un premier temps, l’auteur se demande pourquoi et comment l’Ancien Testament utilise un langage mythique issu du contexte dans lequel il est né. Le second temps de la réflexion aborde les raisons pour lesquelles l’Ancien Testament fabrique son propre langage mythique pour exprimer les origines d’Israël et de la Torah.

Les deux contributions suivantes concernent le Nouveau Testament. Située au cœur du christianisme, la résurrection du Christ appartient-elle au registre du mythe ? C’est la question abordée par Elian Cuvillier, professeur de Nouveau Testament à la faculté de théologie Protestante de Montpellier, dans «La résurrection du Christ : un mythe ?» Selon lui, le fait de considérer que les récits d’apparitions du Ressuscité sont de nature mythique ne constitue pas un ébranlement de la foi chrétienne mais, au contraire, un approfondissement. Il s’agit d’abord, en effet, de clarifier ce que l’on entend par «mythe» et «langage mythique» (essentiellement un ordre de discours traduisant un indicible inaccessible au discours rationnel). Ensuite, il faut se demander où les Chrétiens ont puisé leur croyance en la résurrection (en se reportant aux convictions défendues par les différents courants du judaïsme ancien) et le sens qu’ils lui accordaient. Enfin, il convient d’étudier les témoignages scripturaires relatifs à la résurrection de Jésus, puis de tirer les conséquences de l’enquête sur le plan de l’histoire, de la foi et de l’interprétation biblique de la résurrection. Dans une seconde contribution, «Le langage mythique dans le Nouveau Testament. Approche psycho-anthropologique de trois récits bibliques», Elian Cuvillier analyse trois épisodes du Nouveau Testament et montre la façon dont le mythe biblique évoque l’origine et dessine les contours de l’expérience croyante.

Dans sa conclusion, «Le mythe comme langage des origines», Jean-Daniel Causse considère le mythe sous deux aspects qui se nouent sans se confondre. D’un côté, le mythe est récit d’un «commencement qui n’a pas de commencement» parce qu’il est vécu par l’être humain comme toujours déjà-là (le mythe a la forme d’un récit pour évoquer une structure). De l’autre, le mythe est également le langage de l’origine comme «nouvelle origine», c’est-à-dire comme événement qui peut survenir en plein cœur de l’histoire, et opérer une refondation. C’est le cas des mythes du Nouveau Testament, qui constituent des récits inscrits dans une temporalité bien précise. Mais cette réflexion pourrait être aussi poursuivie dans le domaine grec ancien, où l’on peut montrer ce qu’ont de «mythique» certains discours «historiques», chez Hérodote par exemple.


Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 28/11/2007 )
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