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Des aiguillons ?
Dominique Godineau   Citoyennes tricoteuses - Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française
Perrin 2004 /  23 € - 150.65 ffr. / 413 pages
ISBN : 2262022577
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu : Elève conservateur à l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (Enssib), Cécile Obligi est l'auteur d'un mémoire de maîtrise d'histoire intitulé Images de Jean-Sylvain Bailly, premier maire de Paris, 1789-1791.
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Publiée pour la première fois en 1988 et épuisée depuis, la vulgarisation de la thèse de Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses, est rééditée chez Perrin. Son objet est d’étudier le rôle des femmes, plus précisément des femmes du peuple (celles qui n’ont pas laissé de nom) à Paris sous la Révolution, et ce à partir d’archives policières. L’étude s’attache plus particulièrement à essayer de définir la place des femmes en politique, ainsi que les rapports masculin/féminin dans la sphère politique. Car l’objectif est de «donner à voir, rendez-vous manqués et recherche acharnée, leurs rencontres avec la citoyenneté» (p.15).

D. Godineau a adopté un plan mi-chronologique, mi-thématique, réservant la première partie à la vie quotidienne des femmes du peuple sous la Révolution, pour traiter ensuite de la vie politique des femmes dans les trois parties suivantes. Elle s’attache d’abord, dans un style agréable et vivant, à décrire le quotidien des Parisiennes sous la Révolution, soulignant que l’association femme-espace domestique, caractéristique du XIXe siècle, n’est pas valable pour cette période. L’espace public n’a encore rien de spécifiquement masculin et est aussi investi par les femmes.

Pendant la Révolution, les femmes représentent plus de 50% de la population parisienne. En effet, ce sont majoritairement les hommes qui émigrent, ce sont eux aussi qui partent faire la guerre aux frontières. Par ailleurs, la domesticité est une catégorie très représentée à Paris, et elle est majoritairement féminine. Parmi les Parisiennes, ce sont les blanchisseuses qui sont les plus visibles (parce que c’est une profession qui occupe beaucoup de personnes) et qui forment le pendant de la sans-culotterie chez les femmes.

Mais ce sont les trois parties suivantes qui sont particulièrement intéressantes. D. Godineau y démontre que les femmes sont présentes dans les grands événements dès les débuts de la Révolution (les journées des 5 et 6 octobre réunissent 6 à 7000 femmes). Elle construit une proposition de schéma explicatif particulièrement éclairant : se met en place, dès les premières «journées» de la Révolution, un mécanisme de déclenchement de la révolte que l’on retrouve par la suite et qui est significatif d’une répartition des rôles féminin et masculin. Les femmes provoquent le mouvement, en prennent la tête, puis les hommes suivent, armés, et en prennent le contrôle, chacun attendant de l’autre qu’il remplisse sa fonction. Le pain (ou le problème des subsistances en général) constitue souvent l’élément déclencheur.

L’étude revient bien entendu sur l’histoire de la Société des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires, née le 10 mai 1793. Elle met au jour les phases successives de l’action du club : sa lutte contre la Gironde (soulignant leur participation à l’expulsion des Girondins après les journées des 31 mai – 2 juin), la période de collaboration et d’entente avec les cordeliers et les jacobins à l’été 1793, et enfin, l’hostilité déclarée qui aboutit à l’interdiction du club le 30 octobre 1793. Elle met en valeur la spécificité de ce club qui, regroupant environ 170 personnes (dont une centaine active) a fonctionné comme une sorte de 49ème section sans implantation géographique. Elle étudie l’orientation politique du club, déchiré entre ses tendances cordelière et enragée, démontrant ainsi que le cliché qui avait fait de ce club un «sous-produit enragé» sous la coupe de Pauline Léon, elle-même subjugée par Leclerc, est faux.

L'étude permet de dégager deux grands types de militantes sous la Révolution : il s’agit dans les deux cas d’une femme n’ayant pas charge d’enfant, âgée de 15-34 ans ou de 45-64 ans. Elles appartiennent généralement au monde de la boutique ou de l’artisanat et sont plus alphabétisées que la moyenne. Les arrestations qui suivent les émeutes de germinal et de prairial an III montrent par ailleurs l’existence de familles de militants (31% des femmes arrêtées ont un parent masculin arrêté au même moment). Ces mêmes émeutes marquent à la fois l’apogée et la fin de la participation des femmes à la vie politique. La conception des femmes qui triomphe avec le Code civil (les confinant à l’espace privé, domestique) est en train de se mettre en place.

En dehors de quelques cas très minoritaires, les revendications des femmes sous la Révolution ont très peu porté sur le droit de vote. Olympe de Gouges (dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne parue en septembre 1791) et Condorcet (dans son article intitulé «Sur l’admission des femmes au droit de cité», paru le 3 juillet 1790 dans le n° 5 du Journal de la Société de 1789) furent presque les seuls à exprimer l’idée selon laquelle une cité ne peut être qualifiée de libre quand une partie de ses membres ne l’est pas. D. Godineau montre en revanche (c’est un autre apport très important de son travail) comment les femmes ont cherché à investir des espaces symboliques de souveraineté par divers actes qui pourraient paraître anodins : la revendication du port d’armes, l’assistance aux exécutions, l’approbation de la constitution de 1793 ou la pratique de la délation (encouragée sous la Révolution).

Les tendances contre-révolutionnaires chez les femmes du peuple ne sont pas oubliées : on y retrouve, comme chez les hommes sans-culottes, le lien des commerçants et des artisans avec les aristocrates qui leur fournissent de l’ouvrage. L’ouvrage comprend aussi nombre d’annexes particulièrement intéressantes, notamment une grille comparée des salaires des ouvriers et des ouvrières en 1790-91 et 1793-1794, une chronologie détaillée de l’histoire du club des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires, et surtout les portraits de 20 militantes ayant eu affaire à la justice (et donc ayant laissé des traces dans les archives policières), des plus connues (Pauline Léon ou Claire Lacombe), aux plus obscures (la Femme Saint-Prix).

Très clair, accessible au grand public (toutes les allusions sont explicitées en note), le livre est d’une lecture agréable et intéressera autant les curieux que les spécialistes.


Cécile Obligi
( Mis en ligne le 07/04/2005 )
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