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La ville italienne
Elisabeth Crouzet-Pavan   Les Villes vivantes - Italie XIIIe-XVe siècle
Fayard 2009 /  27 € - 176.85 ffr. / 477 pages
ISBN : 978-2-213-64265-9
FORMAT : 15cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen.
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Par ce titre, un peu étrange, E. Crouzet-Pavan entend définir son objet, les villes médiévales italiennes, sur deux plans. D’abord, dans leur réalité vivante, à différentes échelles de temps et d’espace, à divers niveaux d’organisation socio-économique et politique ou d’existence culturelle et religieuse, en récréant l’unité d’une vie passée, à partir des études spécialisées érudites (connues des historiens seulement) qui traitent de ces questions : la première visée du livre est donc de vivification, il s’agit de partir des vestiges et des archives (les villes mortes) pour ré-insuffler la vie à ces organismes du passé et se les représenter imaginairement, mais sur des bases scientifiques, comme elles étaient quand elles faisaient partie du présent de l’Italie. Cette résurrection des villes n’est possible qu’à la suite d’un travail de synthèse, et cet ouvrage est un essai de totalisation du savoir dispersé dans les monographies consacrées soit à telle ville spécifiquement, soit à tel domaine de la vie urbaine. L’auteur veut ressaisir la vie urbaine dans son ensemble, à l’échelle de l’Italie et non seulement sur quelques villes célèbres, et dans son unité vivante, dans les liens qui unissent les aspects de son existence.

Enfin il s’agit de montrer le phénomène dynamique synchronique et diachronique de la ville au Moyen âge, à travers son cas le plus emblématique, peut-être fondateur aussi : la ville italienne, héritière de l’empire romain, mais aussi phénomène original capitaliste et marchand, politique aussi (les cités-Etats) dans l’intensité de ses activités et des relations qui se font et se défont entre ces organismes. Le choix de l’Italie s’explique par le caractère exemplaire de ce pays, encore marqué aujourd’hui par un fort régionalisme et une identité «nationale» faible, du fait sans doute de la puissance des pôles urbains depuis le Moyen âge. En fait, ce livre veut revenir sur des éléments de la vie urbaine italienne qui ont été négligés, selon l’auteur, par la tradition historique, notamment en France.

Celle-ci a trouvé son impulsion dans les travaux des libéraux Sismondi (un Suisse) et Quinet : héritiers des Lumières et partisans d’une Whig history, ils ont été fascinés par le printemps italien de l’Europe moderne, dans lequel ils ont vu un brillant commencement (notamment florentin) de la liberté politique, intellectuelle et économique. Cette coïncidence était selon eux à mettre au compte du phénomène urbain à un certain stade de son développement, avec l’affirmation de son autonomie relative par rapport à la féodalité terrienne. La solidarité créée par le regroupement des activités et le sentiment d’une spécificité socio-économique permirent l’éclosion de ces noyaux de conscience moderne que furent les Communes. Le mouvement des communes qui parcourt l’Europe du XIIe siècle va jusqu’à la formation de cités-Etats en Italie. Avec une sensibilité nationale et idéologique propre, chaque historien y voit une répétition des révolutions urbaines et bourgeoises qui ont fondé la société moderne : le caractère fédéral des ligues urbaines n’est pas pour déplaire au Suisse, mais aux Italiens a manqué ce qui a uni les cantons suisses, la conviction que «l’union fait la force» ; pour l’anticlérical et anti-catholique Quinet, les cités italiennes n’avaient pas la religion de leur projet politique. Enfin, Sismondi admire le gouvernement élitiste nobiliaire et bourgeois que le démocrate Quinet peint sous des couleurs plus noires.

L’intérêt politico-philosophique et l’engagement des historiens ont été des stimulants utiles au progrès des connaissances, mais ils ont aussi porté à des simplifications et à des obsessions, qui ont longtemps déterminé le regard des médiévistes et de leurs lecteurs sur les villes d’Italie : professeur à la Sorbonne, l’auteur rappelle les débats classiques, parfois idéologiquement chargés, sur «la dynamique du capitalisme» qui déterminèrent longtemps le regard français sur l’Italie et la Méditerranée (Braudel) ; elle-même spécialiste des villes médiévales (dans les Flandres et en Italie) et du Quattrocento, l’historienne ne prétend pas reprendre non plus ces questionnements passionnants (la définition de «la ville médiévale» depuis Max Weber, la question du rapport aux campagnes, à la féodalité, etc.), mais en raison de leur part d’aporie au niveau de généralité où ils sont posés ; pour autant, ils forment l’horizon des chapitres du livre, car toute étude historique s’inscrit dans un champ d’études avec son héritage de concepts et d’hypothèses. Il s’agit plutôt de revenir sur le phénomène des villes, sans se limiter aux élites bourgeoises (comme dans les travaux fondateurs d’Yves Renouard dont les cours sur les marchands et hommes d’affaires italiens ont été réédités récemment), ni de façon téléologique au processus du capitalisme (d’où peut-être l’absence de Marx dans la bibliographie ?) : la nature complexe du gouvernement urbain avec ses podestats et condottieri, la réalité des métiers derrière la figure des grands marchands, le travail, la saleté, l’incendie, etc., doivent être intégrés dans une reprise des villes dans leur complexité.

Pourtant cet ouvrage ne se présente pas comme une histoire totale. D’abord par sa forme, constituée souvent d’essais et articles, qui donnent un aspect un peu «éclaté» au livre. Ensuite par un évident ''vénétianocentrisme'', au moins à titre de fil directeur, dans l’approche de la diversité italienne et cela peut surprendre, d’autant plus que l’auteur prétend justement sortir de l’histoire régionale, très pratiquée. Sa connaissance intime des questions vénitiennes lui fait accorder à cette cité, incontestablement majeure dans l’espace italien, un poids important dans l’économie du livre, même si Florence, Bologne, Rome ou Sienne, Trévise ou Pérouse ne sont pas absentes de l’ouvrage. On mettra ce trait du livre non seulement au compte peut-être de la pente naturelle du spécialiste de partir de ce qu’il connaît le mieux quand il tente une synthèse, mais aussi de la richesse d’information qu’apporte le cas de Venise. La seconde partie qui commence avec le chapitre 3 aux pages 55-60 est en fait un bouquet d’études d’«écosystèmes de la cité» ! Un singulier, dont l’auteur avoue : «l’exemple de Venise retient maintenant l’attention». Mais en fait les parties et chapitres suivants, tout en traitant de «la ville», seront explicitement centrés sur Venise. Les autres cas viendront confirmer ou nuancer une analyse fondée avant tout sur la cité des Doges. Si l’auteur ne s’en cache pas, on peut s’interroger sur la pertinence de son titre : dès lors qu’il n’y a pas vraiment histoire comparée ou synthèse, et que de surcroît on admet la «singularité» à bien des égards de Venise, n’aurait-il pas mieux valu dire plus modestement «contribution à l’étude des villes d’Italie» et prévenir franchement le lecteur ?

Écrire l’histoire de Venise, ce n’est pas seulement se défaire des regards français, mais de l’invention du passé de la cité par ses propres chroniqueurs. Ces derniers ont réussi à imposer leurs stéréotypes et notamment celui d’une cité marine et commerciale presque sans base terrestre et rurale. Les chapitres 3, 4 et 5 reviennent sur la genèse de la ville entre terre et eau, sur la lagune du nord de l’Adriatique. Les chapitres 6 et 7 (qui forment la 3ème partie, «La ville en chantiers») traitent des acteurs de la transformation urbaine, de leurs buts et de leurs méthodes, ainsi que de «la fabrique des espaces publics» par lesquels la cité communale se montre «en quête d’elle-même» et revendique symboliquement une identité. La 4ème partie, «Risques et nuisances : apprentissages et négociations», est consacrée à «la guerre au feu» que doit préparer toute cité, prise entre la nécessité du risque et la gravité du péril pour son existence ; la spécificité de Venise est de se trouver sur les «cloaques et eaux noires» d’une lagune. Ce qui donne un aspect particulier et renforcé à certains égards à un problème banal du Moyen âge (chapitre 11 : «le miasme et la salubrité»).

La 5ème partie présente «la ville au travail» (pp.213-255) : le chapitre 12 («Respirations économiques vénitiennes») revient sur les phases d’expansion et les succès de la ville pendant «un long cycle de puissance» aux XIVe et XVe siècles. Le chapitre 13 présente «les métiers dans une république maritime», en insistant sur leur rôle économique essentiel mais aussi sur leur mise sous contrôle par l’oligarchie : la république aristocratique, plus que d’autres, sait dominer son peuple marin, artisan et ouvrier et faire des métiers les instruments de liens sociaux maîtrisés. Le chapitre 14 revient sur la production du verre à Murano sous différents angles d’approche (production, commerce, progrès scientifique, secrets de fabrication, politique économique).

La dernière partie, «Usages de la ville» (pp.269-328), traite du marché de l’immobilier : «Pierres à vendre» (chapitre 15) fait un état des lieux du bâtiment à Venise, puis étudie les pratiques et les normes dans l’usage de l’espace urbain et dans l’échange immobilier et définit les régimes de propriété ; la maison n’est pas seulement un bien matériel, le droit (conservateur) et les contraintes collectives menacent la ville de «pétrification», au moins dans les quartiers centraux tenus par les grandes familles, tandis que les transformations sont plus faciles dans les paroisses excentrées. Il y a plusieurs villes dans la ville et un jeu de forces entre changement et inertie, qui s’applique différemment selon les zones, les enjeux collectifs et le statut des possesseurs. C’est sur le rôle des affects (pour les personnes et les lieux) dans ce jeu que le chapitre 16 «traque» dans «Amours, familles, patrimoines» : il y est question des normes religieuses et sociales, des pratiques des familles, du mariage et de l’argent des femmes (la dot). Le chapitre 17, «Vivre ensemble», compare Venise et Florence : quels sont les «hauts-lieux» de la communauté ? Quelle est la réalité de la solidarité ? Comment la cité met-elle en scène son unité et son harmonie supposées ? Qui sont les exclus et où vivent-ils ?

Pourvu d’abondantes notes, érudites, de trois cartes, d’un index riche et d’une imposante bibliographie, l’ouvrage ne sera pas, malgré une écriture soignée, d’une lecture aisée pour tous. Il demande une concentration certaine, en raison de sa densité, entre analyses et références historiographiques. Il intéressera surtout les médiévistes, les spécialistes de la ville (urbanistes et architectes amateurs d’histoire) et les historiens de l’Italie. Un public cultivé (et motivé !) de passionnés du Quattrocento et de Venise en particulier, y trouvera peut-être aussi son compte. C’est en tous cas une contribution savante par où se prolonge la passion des historiens français pour l’Italie.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 17/11/2009 )
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