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Géopolitique byzantine
Edward Luttwak   La Grande stratégie de l'empire byzantin
Odile Jacob - Histoire 2010 /  29.90 € - 195.85 ffr. / 512 pages
ISBN : 978-2-7381-2521-7
FORMAT : 15,5cm x 24,1cm

Traduction de Pierre Laederich

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen.

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Voilà un titre qui rappelle quelque chose aux passionnés d’histoire militaire et de géostratégie. Dans un ouvrage de 1976 (John Hopkins University Press, Baltimore) au titre parallèle, actualisé en 2007 et disponible en français chez Odile Jacob, l’auteur avait traité du même sujet à l’époque antérieure de l’histoire romaine. Et comme il le fait remarquer, l’empire que nous avons pris l’habitude de nommer «byzantin» était à ses propres yeux et, pendant des siècles, à ceux de ses voisins et contemporains, le successeur légitime de l’empire d’Auguste, au moins en Méditerranée orientale : c’est en effet lors de la succession de Théodose (395) avec la «tétrarchie» que la partition de l’empire, devenu ingérable, en deux moitiés égales en dignité et chacune dotée de son empereur, donna naissance à l’empire romain d’orient, avec pour capitale Constantinople (et non sa devancière, l’antique bourgade de Byzantion).

Luttwak poursuit donc ici l’histoire de «la grande stratégie de l’empire romain» : face aux barbares, comme déjà l’empire uni avant le IVe siècle de notre ère, l’empire byzantin va opposer une grande politique «réaliste», une géostratégie de grande classe destinée à assurer sa pérennité ; et, alors que ses dimensions et son manque de «profondeur stratégique» l’exposaient plus que son analogue occidental, l’empire byzantin va – sujet d’étonnement pour Luttwak – survivre mille ans de plus que l’empire romain d’occident (tombant officiellement en 476, après des décennies de décadence et décomposition). L’explication de cette extraordinaire longévité tient, selon l’auteur, à la cohérence et au réalisme d’une théorie et d’une pratique géopolitiques, combinant les éléments militaires et diplomatiques, mais aussi l’action secrète de déstabilisation (portant la discorde chez l’ennemi, pourrait-on dire)…

Cette thèse avait déjà été formulée à propos de l’empire romain et aussitôt contestée (Whittaker etc.) : on lui avait reproché son manque de fondements documentaires et son anachronisme ; l’auteur, avant d’être historien de l’antiquité – en amateur brillant ! – n’est-il pas avant tout un spécialiste de géopolitique dans un centre de recherches à Washington ? Luttwak ne nie pas l’existence de la controverse et objecte qu’il serait dogmatique et présomptueux de la part des Modernes de refuser à la pensée impériale romaine une dimension géopolitique, et que la gestion de l’empire prouverait à l’évidence une gestion très raisonnée des ressources (humaines et matérielles), du temps (la mémoire de l’Etat romain, le souci de son avenir) et de l’espace («mare nostrum» etc.), des conflits aussi, avec un calcul rationnel des forces en présence et un sens net des intérêts de l’empire… Cette histoire de l’empire byzantin constitue un approfondissement du débat : Luttwak prétend montrer la poursuite, sous des formes renouvelées et adaptées, de la grande politique impérialiste romaine. Pour lui, Byzance offre même un cas plus net et une preuve évidente de «la grande stratégie».

La particularité de la stratégie byzantine tient au rôle majeur joué par la diplomatie et l’intrigue : plus faible et moins aisément défendable que l’ancien empire unifié, l’empire d’Orient va chercher à économiser ses forces et préfèrera diviser pour régner, acheter des alliés, intriguer chez l’ennemi, lui payer des tributs au besoin et attendre l’occasion favorable pour l’affaiblir durablement ou l’achever, à moins qu’un nouveau protagoniste ne s’en charge ; nouvel arrivant sur la scène qui risque de devenir aussi le nouvel ennemi avec qui l’empire reprendra ses manœuvres dilatoires d’évitement et ses ruses perfides (nommées justement «byzantines» par des contemporains plus ou moins «chevaleresques»), éventuellement avec l'aide d'anciens ennemis, rendus plus conciliants face au danger commun. Byzance n’a plus les moyens d’un courage apanage de la force et se contente de survivre par tous les moyens : lâcheté aux yeux de la féodalité chrétienne ou de la fougue virile des barbares…

Et tous les moyens sont bons : alliances matrimoniales, instrumentalisation de la religion, système fiscal, développement de l’espionnage, soutien voire encouragement aux guerres civiles… sont de bonne guerre pour éviter la guerre de front ! Mais si elle est nécessaire, l’empire la mènera et forme ses troupes à toutes les méthodes de combat pour vaincre ou stopper l’ennemi au moindre coût. Le cas le plus emblématique : l’élimination de la menace représentée par les Huns d’Attila au Ve siècle… détournés sur l’empire d’occident ! On lira aussi avec intérêt la neutralisation des Russes aux IXe et Xe siècles… L’empire cependant doit faire face à forte partie : ancien port placé sous son influence, Venise prend son essor au XIe siècle et va lui disputer le contrôle du commerce et le rôle d’interface entre orient et occident en Méditerranée et en chrétienté jusqu’à favoriser la «croisade» de 1204 et un empire latin sur le sol grec… La chute de l’empire devant les coups de boutoirs ottomans en 1453 met fin à une histoire remarquable : l’intelligence stratégique ne peut seule assurer la domination ni même la survie comme État.

On touche là l’actualité du livre et le sens profond de l’œuvre de Luttwak : il s’agit d’une enquête historique stimulante adossée à une réflexion théorique sur l’impérialisme et les conditions de son exercice. La Grande stratégie de l’empire romain signalait Luttwak comme un politologue «néo-conservateur» américain. Tandis que les États-Unis mènent, entre autres, leurs guerres d’Iraq et d’Afghanistan, Luttwak est toujours un néo-conservateur (plus très nouveau !) actif au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington, et cet ouvrage peut être vu comme la poursuite d’une justification de la politique américaine dans le monde, celle d’un intérêt national légitime, porteur d’un nouvel «ordre mondial», dont le caractère impérial n’échappe plus à grand monde. Quoiqu’on en pense, la lecture de Luttwak est donc passionnante et fort utile, d’autant que l’auteur exprime sa pensée avec élégance, une grande clarté, parfois même avec humour, et sait synthétiser et vulgariser une vaste littérature spécialisée dans le cadre d’une problématique cohérente et stimulante.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 22/12/2010 )
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