|
Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
| collectif Médiévales - n°44 - Le Diable en procès - Démonologie et sorcellerie à la fin du Moyen Âge Presses Universitaires de Vincennes 2003 / 18 € - 117.9 ffr. / 192 pages ISBN : 2-84292-142-9 FORMAT : 15.5x22 cm
L'auteur du compte rendu: Olivier Marin, ancien élève de lEcole Normale Supérieure, enseigne lhistoire du Moyen Age à lUniversité Paris-Nord et au Séminaire Saint-Sulpice. Imprimer
Cette livraison de lexcellente revue Médiévales illustre le profond renouvellement que connaissent actuellement les études sur la sorcellerie. Le problème majeur qui se pose à lhistorien est de comprendre comment et pourquoi la fin du Moyen Age inaugura les chasses aux sorcières et fit ainsi émerger le diable comme lune des figures marquantes du premier âge moderne.
A la suite de Robert Muchembled, les historiens se sont dabord intéressés en anthropologues à la répression de la culture populaire que les sorciers et les sorcières étaient censés incarner. Sans renier cette approche, léquipe de Lausanne animée par Agostino Paravicini Bagliani et à laquelle appartient Martine Ostorero a récemment privilégié un retour aux sources produites par les démonologues, quils fussent théologiens ou juristes. Le présent volume confirme cette tendance : le jeu des constructions savantes y compte plus que les pratiques folkloriques auxquelles celles-ci renvoient. Mais la principale originalité qui distingue cette publication réside ailleurs, dans le choix dune chronologie longue courant du XIIIe au XVIIe siècle. Est dune part relativisée la coupure de la Renaissance, qui dans ce domaine comme dans beaucoup dautres ne fait que prolonger, tout en le réinterprétant au besoin, lhéritage médiéval. A lamont, le mérite des auteurs est de faire commencer lenquête dès le XIIIe s., quand la scolastique commence à élaborer lidée dun pacte avec le diable et à justifier par ce biais lassimilation de la sorcellerie à lhérésie. Le lecteur dispose ainsi de perspectives suffisamment larges pour suivre le phénomène depuis ses lointains antécédents jusquà son extinction.
Viennent à lappui sept études de cas, souvent érudites, voire peu accessibles au non-spécialiste, mais qui permettent de faire apparaître comme par un effet de grossissement des évolutions autrement imperceptibles. Particulièrement éclairant à cet égard est larticle que M. Ostorero consacre à Guillaume Adeline. Ce théologien ayant prêché lirréalité du sabbat, il fut accusé en 1453 dêtre lui-même sorcier démoniaque et finalement jeté au cachot ; on ne saurait mieux montrer comment une approche réaliste des «faits» démoniaques se substitua au cours du XVe siècle à lancienne tradition de scepticisme (sanctionnée par le canon Episcopi) qui prévalait jusqualors.
Comme cela est inévitable dans ce type de volume collectif, les autres contributions sont dun intérêt inégal, mais lensemble se recommande par la grande variété des démarches adoptées. Le lecteur appréciera entre autres la large place qui est faite à lhistoriographie, initiative fort bienvenue quand on sait combien les controverses des Lumières, puis du Kulturkampf, ont influencé notre vision rétrospective de la chasse aux sorcières. Liconographie est également bien représentée grâce à la contribution de F. Mercier sur limagerie flamande du sabbat.
De ces articles disparates, il ressort néanmoins plusieurs conclusions communes. Sesquisse dabord une géographie différentielle de la sorcellerie et de sa répression : à des régions froides qui ont peu ou prou ignoré les bûchers (Angleterre, Pologne) sopposent des régions chaudes marquées, comme la Bourgogne et surtout larc alpin auquel la revue Heresis vient également de consacrer son numéro de lautomne/hiver 2003, par une poursuite aussi précoce que systématique des sorcières. Pour ce qui est de la chronologie, le volume corrobore lhypothèse de Pierrette Paravy selon laquelle les années du concile de Bâle (1431-1449) jouèrent un rôle crucial en facilitant échanges et confrontations dexpériences entre les juges. Sur tous ces points, notre connaissance du sujet sort donc enrichie car plus sensible aux conjonctures locales et à leur arrière-plan politique.
Comme toute recherche en cours, celle-ci laisse en revanche diverses interrogations en suspens. Ainsi du rapport entre la culture des juges et les croyances propres à leurs victimes. Dans le sillage de Norman Cohn, la majorité des auteurs sattachent surtout aux discours des premiers et à la création des stéréotypes qui sy manifestent. Seule la passionnante étude que Jean-Patrice Boudet consacre à la magie rituelle permet de croiser les regards en donnant accès à deux listes de démons utilisées par les «nigromanciens» eux-mêmes, Le Livre des Esperitz et la Pseudomonarchia daemonum. On y voit sexprimer sans fard une croyance dans la toute-puissance démoniaque, concurrente des pouvoirs en place, qui a pu donner matière aux spéculations des censeurs même si ceux-ci lont ensuite comprise dans leur propre langage et ont occulté les vertus bienfaisantes prêtées aux démons.
Sur ces interactions et ces conflits culturels, le numéro de Médiévales appelle donc de futurs approfondissements : ce nest pas le moindre de ses mérites que de nous faire partager ainsi le provisoire qui marque le travail historique.
Olivier Marin ( Mis en ligne le 05/01/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Médiévales | | |
|
|
|
|