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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
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Une image chargée de sens | | | Anne-Orange Poilpré Maiestas Domini - Une image de l'Eglise en Occident (Ve-IXe siècle) Cerf - Histoire 2005 / 35 € - 229.25 ffr. / 299 pages ISBN : 2-204-07571-X FORMAT : 16,0cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire ; il est actuellement allocataire-moniteur à lUniversité de Nice Sophia-Antipolis, où il prépare une thèse en histoire médiévale sur «les fondements bibliques du discours ecclésiastique sur riches et pauvres aux XII-XIIIe siècles». Imprimer
Peu détudes sérieuses et approfondies, hormis pour les crucifix, ont porté sur les représentations du Christ. Cest une lacune que la thèse en histoire de lart dAnne-Orange Poilpré vient en partie combler. Elle étudie en effet liconographie de la Maiestas Domini, expression qui désigne un thème iconographique défini comme la représentation du Christ en majesté (sous forme humaine ou symbolique) accompagné des quatre «Vivants» le lion, le taureau, laigle et le jeune homme, issus des prophéties dEzéchiel et de lApocalypse et dans lesquels il est courant de voir les symboles des Évangiles ou des Évangélistes. Lauteur suit lévolution iconographique de ce thème dans tout lOccident, sur tous types de supports, de sa formation au Ve siècle en Italie jusquà ses utilisations à lépoque de Charles le Chauve (IXe siècle).
Mais lambition de cette recherche dépasse cette seule analyse iconographique pour sintéresser aux fonctions et aux usages de ce thème. Ainsi les images sont toujours replacées, non seulement dans leur cadre iconographique et spatial, mais aussi dans leur contexte politique et intellectuel. À la suite dYves Christe, lauteur recourt très fréquemment à lexégèse comme indice pour comprendre le sens accordé aux figures. Cest notamment sur cette démarche que se fonde la «thèse» principale du livre, inscrite dans le titre, à savoir que cette représentation du Christ serait utilisée pour justifier le développement de linstitution ecclésiastique.
Lévolution du thème permet de distinguer trois périodes. La première, abordée dans les deux premiers chapitres, est celle de linvention du thème au Ve siècle. Cest là que se situent les analyses les plus intéressantes de louvrage, autour dune double problématique : pourquoi recourir à cette représentation du Christ ? Faut-il y voir la reprise de liconographie de lempereur, comme le pensait Grabar, ou une expression autonome comme le soutient Mathews ? Pour répondre à ces interrogations, Anne-Orange Poilpré étudie à la fois les représentations de maiestas domini et les éléments qui la composent, notamment le trône. Elle en conclut que limage du Christ trônant nest pas une simple reprise de limage impériale, mais quelle résulte de la poursuite de mêmes intentions qui conduisent aux mêmes procédés, en loccurrence le choix du trône comme signe de stabilité. Ainsi rendue plus indépendante de lart impérial, limage chrétienne peut être interprétée dans le contexte de lévolution ecclésiologique. La mise en place de la maiestas domini à Rome répondrait à la volonté dexprimer une légitimation divine dune part à linstitution ecclésiale conçue comme autonome par rapport au pouvoir impérial, et dautre part aux revendications primatiales de lévêque de Rome. Le second pôle de création de cette iconographie est Ravenne où elle servirait aussi à justifier le pouvoir des évêques, même si dans ce cas la démonstration est moins convaincante en raison de limportance de lempereur dans cette ville, et du choix de personnages ambigus comme Melchisédech.
La deuxième période est celle de lévolution du thème aux VIe-VIIIe siècles. Dun point de vue monumental, le thème est essentiellement repris en Italie pour affermir le pouvoir des évêques. Mais les principales évolutions sont son introduction dans un autre support, les manuscrits, et sa diffusion dans le reste du continent qui lui confèrent une signification nouvelle, celle de garant de lautorité et de lunité des Évangiles.
La troisième période est celle de la «royauté sacrée», c'est-à-dire lépoque carolingienne étudiée dans les chapitres 4 et 5. Sy opère une série de mutations formelles et sémantiques qui culminent sous le règne de Charles pour conférer un sens politique inédit à cette iconographie. Initialement conçue pour affirmer lautonomie de linstitution ecclésiastique par rapport au pouvoir impérial, la maiestas domini se voit désormais porteuse dune dimension cosmique universelle, qui inclut en elle le pouvoir royal. Alors que Charles le Chauve reprend le motif disparu de lempereur trônant en signe de stabilité, liconographie de la maiestas «participe à la mise en image dune théorie définissant les rapports entre les différentes composantes de la société terrestre et la manière dont elles se rattachent au monde divin» (p.271).
Cet ouvrage présente donc une réflexion stimulante sur linterprétation et lusage des images : sans un changement iconographique majeur, un même thème, selon le contexte dans lequel il se déploie, peut revêtir des significations très différentes. Il propose en outre une hypothèse stimulante sur la signification ecclésiale de la maiestas domini. Il fournit enfin un guide minutieux, même si nous lavons peu souligné, des variations de la représentation. La contrepartie de cette présentation sérieuse et détaillée est une certaine lourdeur de la lecture, que renforcent le style peu alerte de lauteur et labsence dillustrations pour certaines pièces. Mais cela ne devrait pas arrêter le lecteur guidé par la rigueur de la construction, et aiguillonné par laudace des interprétations.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 05/01/2006 ) Imprimer | | |
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