|
Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
| Pierre Aubé Les Empires normands d'Orient Perrin - Tempus 2006 / 9 € - 58.95 ffr. / 340 pages ISBN : 2-262-02297-6 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Cest dune épopée tumultueuse quil sagit ici, celle des Normands, dont la liturgie des peuples doccident suppliait Dieu de les délivrer. Pierre Aubé retrace la geste de ces aventuriers scandinaves des mers, fils dun peuple paysan soudain entré en mouvement à la fin du VIIIe siècle pour deux siècles («lâge viking»). Notre époque reste fascinée par ces audacieux qui déstabilisèrent des empires, pillèrent et rançonnèrent des sociétés plus riches de lEurope et de la Méditerranée et sy taillèrent même des royaumes. Des «empires», dit Pierre Aubé. Car suivant une ligne classique de lhistoriographie des Normands, l'auteur voit dans la civilisation normande moins un mode de vie dimportation scandinave quune formidable capacité dadaptation et un élément de dynamisation de sociétés closes sur elles-mêmes. Les Normands, par curiosité et désir de fortune, forcent les portes des mondes qui se côtoient sans se mêler et créent des Etats nouveaux, multiculturels et polyglottes, multiconfessionnels et tolérants, des lieux de créativité artistique, de dynamisme commercial, de dialogue et dinventivité intellectuels.
Spécialiste des Normands dAngleterre (Thomas Becket), de Sicile et du roi Roger II (1130-1154), mais aussi des Croisades (Godefroy de Bouillon, le roi franc Baudoin IV de Jérusalem), Aubé passe assez vite sur la «grande peur de loccident» de lâge viking. Il rappelle rapidement les points de fixation de laventure viking de cette époque : occident carolingien, empire byzantin, monde slave et notamment slave oriental où Aubé reprend la théorie normande des origines de lEtat russe ancien - ils créent la (future !) «sainte Russie» (sic), mais aussi Espagne et Méditerranée arabo-musulmane. Mais le livre porte dans sa presque intégralité sur cette aventure des Normands (de Neustrie ou Normandie française et plus spécialement du Cotentin) dans le sud de lItalie : en Sicile et dans les Pouilles, du XIe au XIIIe siècles. Arrivés un peu par hasard au début du XIe siècle comme mercenaires réputés dans loccident entier pour repousser les Arabes du sud de lItalie, ils intéressent la papauté cherchant à se libérer de la pression de Byzance qui revendique lhéritage de lempereur Justinien dans la région. Au problème politique de lindépendance de Rome sajoute le schisme entre chrétiens doccident latin et dorient. Mais les Normands vont bientôt savérer moins malléables quon ne souhaitait.
Au duché normand succède en 1130 un royaume puissant et respecté, à la riche civilisation métissée. Thème qui a donné lieu dans nos programmes dhistoire de seconde à un point dorgue (la cristallisation syncrétique, pacifique et flamboyante) du chapitre «la Méditerranée au XIIe siècle». Etranges rois «normands» de Sicile : séduits par la civilisation arabo-musulmane, protecteurs des arts et lettres, adeptes des sciences les plus avancées, mais aussi vaillants chevaliers et habiles géopoliticiens, ils préfigurent les princes éclairés de la Renaissance du Quattrocento. Tout culmine avec le roi-empereur quest lenfant des Pouilles, Frédéric II roi de Sicile et de Jérusalem, chef du Saint Empire romain germanique. Quel rival pour le pape ! Dautant que son orthodoxie religieuse est suspecte. Sa conception de lempire entre en conflit avec les prétentions de la papauté de la réforme grégorienne et une guerre sensuit qui aboutit à la déposition de lempereur excommunié, plus italien quallemand. On retrouve les descendants des rois normands dans la dynastie dAragon, doù les prétentions ultérieures de la Couronne dEspagne (Aragon-Castille) sur ce qui deviendra Royaume de Naples et des Deux-Siciles.
Le livre est écrit dans un style plus narratif et dramatique que théorique : érudit, il reste sans lourdeur (pas de notes), mais les curieux se reporteront aux cartes et généalogies à la fin du volume, ainsi, pour les plus ambitieux,
quà une bibliographie étendue. Aubé dédie son livre à feu Jacques Benoist-Méchin. Les censeurs grinceront des dents et rappelleront lengagement fasciste de ce dernier, fait pas moins contestable que sa grande culture, ses talents de critique, décrivain et de mémorialiste ou dhistorien («politique» de larmée allemande, admiré par De Gaulle). La dédicace sexplique en loccurrence par la seconde période de luvre de Benoist-Méchin après sa sortie de prison pour populariser lidée dune histoire héroïque de fondateurs de royaumes et dempire, animés par des rêves de grandeur combinant lexaltation (nietzschéenne) de soi et lunification de lhumanité dans des civilisations dynamiques. Or le livre dAubé retrouve deux thèmes de prédilection de la géographie historique de Benoist-Méchin : la rencontre entre monde occidental et monde oriental (depuis Alexandre le Grand, prototype de lempereur dans limaginaire européen et oriental) comme son héros Lawrence dArabie, Benoist-Méchin était un admirateur du monde arabe et un partisan de sa renaissance sous légide dIbn Séoud - et le rôle de la Sicile normande dans laventure impériale germano-européenne de Frédéric de Hohenstaufen (1197-1250).
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 27/06/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:L'Aventure des Normands de François Neveux La Normandie et l'Angleterre au Moyen Age de Véronique Gazeau , Pierre Bouet , collectif | | |
|
|
|
|