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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
| Jesse Byock L'Islande des Vikings Aubier - Historique 2007 / 29 € - 189.95 ffr. / 492 pages ISBN : 978-2-7007-2365-6 FORMAT : 15,5cm x 22,0cm
Préface de Jacques Le Goff.
Traduction de Béatrice Bonne.
L'auteur du compte-rendu : Hugues Marsat est agrégé d'histoire. Enseignant dans le secondaire, il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles. Imprimer
Pour Jacques Le Goff, qui a rédigé la préface de cette première édition française, la grande nouveauté de Jesse Byock et le prix principal de son livre mais pas la seule qualité ni la seule information remarquable - résident dans lutilisation par son auteur des sagas islandaises comme sources historiques, ce que lhistoriographie sétait toujours montrée réticente à faire. Ajouté au fait que Jesse Byock, professeur de vieux norrois à lUniversité de Californie, Los Angeles, fait feu de tout bois, utilisant aussi et entre autres les sources archéologiques qui lui fournissent matière à nombre de plans et de coupes ressuscitant lhabitat islandais médiéval, LIslande des Vikings incarne ainsi un idéal de lEcole des Annales en réunissant des sources aussi diverses. Pour autant ce nest sans doute pas linnovation historiographique qui retiendra lattention du lecteur francophone découvrant un livre dont la version originale date de 2001 et qui se voit aujourdhui publié en français grâce aux soutiens des institutions islandaises.
LIslande des Vikings traite de la période de lhistoire islandaise débutant avec la colonisation de lîle alors déserte au Xe siècle par des Vikings venus de Scandinavie et des îles britanniques. En Islande, le Viking à la figure de marin souvent pillard et parfois marchand, qui terrorise lEurope de lAtlantique à la mer Noire, se fait propriétaire terrien recourant peu à la pêche rendue dangereuse par le climat, lui préférant souvent la chasse aux phoques et aux baleines échouées mais surtout lagriculture et lélevage pourtant précaires pour les mêmes raisons climatiques et la rareté des terres arables. Sils continuent à se dénommer eux-mêmes víkingr pirate en norrois les Islandais tiennent donc davantage des gentlemen farmers, des bndr, soit des paysans libres, comme lauteur, qui a passé une partie de sa jeunesse dans une ferme islandaise, aime à lécrire.
Et libres, les Islandais le demeurent jusquà l'assujettissement à la couronne norvégienne au XIIIe siècle. Pendant quatre-cents ans, lIslande est un État libre à lécart des principautés et républiques urbaines médiévales, mais cette liberté va bien au-delà de lindépendance, car lEtat islandais nen est pas vraiment un. Ne craignant aucune invasion, les colons ne se sont pas pourvus de souverains ou de seigneurs, dautant plus que bon nombre dentre eux fuyaient en fait lautorité du roi norvégien.
LIslande viking est un agrégat de propriétés foncières éparses sur toute lîle et dont les seules institutions sont des assemblées essentiellement destinées à gérer les conflits entre les personnes et des chefferies les godorđ ne correspondant à aucun découpage territorial, ni même à aucune autorité hiérarchique réelle puisque les liens unissant les godorđ à leurs contemporains passent essentiellement par un système de clientélisme révocable à tout instant. LAlthing, la grande assemblée dhommes libres, joue un peu le rôle dune cour suprême dénuée de juges, tout le système reposant en fait sur le consensus et lacceptation darbitres et de médiateurs qui agissent dailleurs souvent en dehors de tout cadre institutionnel. La retenue et la modération apparaissent alors au grès des sagas comme des valeurs essentielles et hautement louées, et le viking, sous la plume de Jesse Byock et dans les sagas, semble un juriste particulièrement retors, et tant pis pour le stéréotype du viking et sa folie meurtrière, le berserk. Il ne faut pas pour autant en conclure à une société dénuée de violence, ne serait-ce que parce que la vengeance y occupe une bonne place légale.
Le lecteur aura tôt fait de chercher à rapprocher les mécanismes de vie commune longuement décrits par lauteur des systèmes politiques quil connaît. Si certains, comme lécrivain David Friedman, fils du prix Nobel déconomie Milton Friedman, ont déjà rapproché lIslande des Xe-XIIIe siècles dun état danarchie acceptant la propriété privée et la recherche du profit, y voyant un exemple de lanarcho-capitalisme quils prônent, Jesse Byock se garde bien pour sa part de tout étiquetage, au point dailleurs de ne pas donner de conclusion à un livre comportant pourtant préface, avant-propos et introduction, sautant directement, après un ultime chapitre évoquant la désagrégation du modèle, à des annexes chronologiques, archéologiques et topographiques qui viennent compléter les nombreuses cartes et schémas déjà présents dans le corps du texte.
Le cur de louvrage, et son plus grand intérêt, réside pourtant dans létude de ce système proto-étatique qui ne saurait être qualifié de simple. Après avoir décrit en quelques chapitres les conditions de colonisation de lîle et les conditions matérielles difficiles de la vie de ses habitants, non sans faire déjà de multiples références aux relations sociales, lauteur consacre de nombreux chapitres à ces dernières, notamment le cadre juridique et les systèmes de pouvoir, dont il est impossible de rendre compte de la subtilité.
Voici un livre pour le moins complexe et pas seulement dans son sujet mais aussi dans sa construction, lauteur ayant tendance à évoquer des aspects sur lesquels il revient par la suite plus longuement. Cest tout à lhonneur de Jesse Byock davoir su le rendre néanmoins abordable, en partie grâce à lutilisation fréquente dextraits des sagas dont il faut reconnaître la puissance dévocation de la vie quotidienne islandaise, faisant de LIslande des Vikings un livre unique et protéiforme qui séduira plus dun lecteur, lethnologue comme lhistorien.
Hugues Marsat ( Mis en ligne le 21/05/2008 ) Imprimer | | |
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