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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
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Sainte et femme : est-ce possible ? | | | Jacques Dalarun Dieu changea de sexe, pour ainsi dire - La religion faite femme. XIe-XVe siècle Fayard 2008 / 28 € - 183.4 ffr. / 439 pages ISBN : 978-2-213-63651-1 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart. Imprimer
Question : de quel sexe est le Dieu des religions monothéistes ? Masculin, bien sûr ! Même si celui des anges est une affaire autrement difficile
Réponse validée par les textes fondateurs, la théologie, la spiritualité, et lhistoire. Dès lors, celui que sa lecture/relecture conduit à une approche non traditionnelle de lhistoire religieuse est confronté à un paradoxe : et le sexe féminin ? La formule percutante qui sert de titre à ce recueil, due à Michelet et déjà utilisée par le même Jacques Dalarun pour son mémoire dhabilitation, braque un projecteur neuf sur quatre siècles de spiritualité médiévale. Nulle offense à la théologie dans cette posture : elle aboutit, dans une démarche purement historienne, à analyser un rapport hommes/femmes, envisagé au cur des comportements spirituels et sociaux dun Moyen Âge réputé misogyne, mais au sein duquel ont cherché à sexprimer des personnalités atypiques.
Tel est le champ des recherches que mène depuis des décennies J. Dalarun. Notons demblée que le présent ouvrage est un recueil de 12 textes déjà donnés par lauteur, entre 1985 et 2007, publiés à lépoque de façon parfois confidentielle et alors destinés à une public restreint (communications à des colloques, articles universitaires, dont loriginal était souvent en italien ou en anglais).
Cette «non-synthèse» ne constitue toutefois pas seulement un «best of». Dabord parce quelle sort de leur ombre savante des études qui seraient restées inconnues des non spécialistes, et aussi parce leur actuelle publication est suivie, à chaque fois, de quelques lignes de mises à jour, de réflexions, dajouts, quy apporte leur auteur en 2008. Bien sûr, jamais de dénégation totale, qui aurait rendu inopportun une réédition. Le lecteur actuel peut regretter, par commodité, de ne pas connaître dès quil aborde un texte sa date et son contexte initial
mais il peut toujours se reporter à la coda avant de lire le début. On appréciera au passage la sûreté dintuition de lhistorien, confirmant aujourdhui le bien fondé de son pressentiment de 1986 selon lequel la Vita de Claire de Rimini est bien, chronologiquement, la première source hagiographique rédigée directement en italien.
La composition du recueil est thématique, et lon peut ainsi accompagner dans son évolution le glissement des centres dintérêt de Jacques Dalarun au fil des années. Elle correspond, dans les faits, à un déplacement logique dans la chronologie (du XIe au XIVe siècle), et dans lespace (de la France de lOuest à lOmbrie, puis plus largement aux cités italiennes). Trois regroupements sont ainsi opérés : la place faite aux femmes dans la pensée et dans la pratique en France de lOuest à lépoque où Robert dArbrissel les installe à Fontevraud ; lattitude des fondateurs franciscains (François et Claire) à légard du sexe opposé ; le cheminement des athlètes italiennes de Dieu dans lItalie de la fin du Moyen Âge.
Le lecteur est tenté de chercher les grandes lignes unifiant les informations qui lui sont ainsi livrées. Par principe, les cas présentés ici se détachent toujours de leur contexte ecclésiologique et historique par leur caractère atypique. Il nempêche quun fil rouge court à travers lensemble : la situation ni valorisée ni valorisante de la femme, depuis Robert dArbrissel recommandant aux hommes de se mettre au service des femmes par amour du Seigneur, jusquaux scandales suscités par la spiritualité pénitentielle dune Claire de Rimini, en passant par la méfiance ressentie par le fondateur franciscain envers la faiblesse féminine. Et même lorsquun culte spontané sinstaure en faveur dune Jeanne de Signa, le personnage qui en est lobjet demeure dans lombre de sa réalité historique. Nest-il pas significatif que les femmes observées par J. Dalarun soient dextraordinaires pénitentes et/ou pratiquent cette forme extrême de vie religieuse quest la réclusion ? Comme pour se rendre «remarquables», en toute humilité spirituelle.
La place pionnière occupée par J. Dalarun dans lhistoire de lhagiographie féminine médiévale se trouve ici confortée. À quoi il faut ajouter que lesprit dinvestigation de lhistorien, à travers sa critique des sources, élargit la portée de ses recherches à des données dhistoire économique, artistique et surtout sociale, voire politique. Quon pense aux caractères particuliers imposés à la vie religieuse féminine par la simple existence de la cité dItalie. Le propos déborde donc la seule histoire du christianisme. Et le souci de proposer la traduction en français des sources italiennes et latines devrait rendre aisée à des amateurs éclairés cette plongée au cur de lhagiographie.
Jacqueline Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 25/06/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Voix de femmes au Moyen Age de Danielle Régnier-Bohler Les Femmes cathares de Anne Brenon | | |
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