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Histoire & Sciences sociales  ->  Moyen-Age  
 

Quand les anges souriaient
Jean Wirth   L'Image à l'époque gothique - (1140-1280)
Cerf - Histoire 2008 /  42 € - 275.1 ffr. / 423 pages
ISBN : 978-2-204-07915-0
FORMAT : 17,5cm x 24,5cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Jean Wirth, ancien élève de l’Ecole des Chartes, est professeur d’histoire de l’art à l’université de Genève. Depuis plusieurs années, il met son érudition et sa curiosité intellectuelle au service d’une somme sur l’image au Moyen Âge. En 1999, les éditions du Cerf en avaient publié le premier volume, L’Image à la fin de l’époque romane, le dernier est actuellement en préparation et traitera de l’image à la fin du Moyen Âge.

On retrouve les qualités de l’auteur, sa remarquable connaissance de la culture médiévale, en particulier en philosophie et théologie, qui lui permet d’analyser de façon argumentée et sûre les systèmes de représentation d’une époque pour nous lointaine, le plus souvent non seulement mal connue, mais trahie par les clichés accumulés au fil des siècles. Jean Wirth, écartant tout anachronisme, analyse la façon dont se construit au XIIIe siècle l’image, essentiellement dans le domaine religieux ; on suit son élaboration, conçue dans le cadre de la pensée scolastique, puis les réalisations artistiques pour lesquelles Jean Wirth donne les clés indispensables qui permettent, au-delà du simple plaisir esthétique, de comprendre le regard médiéval, et des auteurs et des publics.

A suivre Jean Wirth, le lecteur découvre une tout autre image du Moyen Âge que celle de nos préjugés - certes combattus par les travaux nombreux des médiévistes (depuis les historiens du XIXe siècle, et, plus proches de nous : Jacques le Goff, Robert Delort, entre autres) -,mais qui ont encore la vie dure. Des pages de Jean Wirth, ressort la description d’une période en rien obscurantiste, mais au cours de laquelle les artistes, loin d’être englués dans des croyances primitives, expriment dans leurs œuvres les progrès de la pensée philosophique et scientifique de leur temps. Un art destiné à la fois aux lettrés et au «peuple», sans que pour autant les portails des cathédrales soient la «bible des illettrés», tant elle suppose de connaissances érudites pour être sûrement décryptée.

L’ouvrage est divisé en trois parties. Dans la première, «Les scolastiques et l’image» (L’hégémonie du visible, La définition de l’image, Le culte des images), Jean Wirth montre l’évolution du statut épistémologique et théologique des images au XIIIe siècle, ce qui explique leur succès ; succès dû également à la «place croissante qu’elles prennent dans la vie affective des religieux cloîtrés, mais cela n’explique pas tout au temps des cathédrales» (p.73). Cependant, davantage qu’au clergé régulier, l’essor des images au XIIIe siècle est à mettre en relation avec les initiatives du clergé séculier, et le développement au cours de la même période du culte de l’Eucharistie.

Dans une seconde partie, «L’imitation de la nature» (L’organisation sémantique, Art et création, Le reflet du divin), Jean Wirth analyse le rôle de l’évolution des connaissances sur la nature au XIIIe siècle et la façon dont les artistes, désormais observateurs de la nature qui les entoure, reproduisent ses formes (feuilles de chêne, de vigne, etc.). On est alors, vers 1200, au moment culminant de l’imitation de l’art antique et byzantin, mais, dès la première moitié du XIIIe siècle, on peut constater les débuts de l’émancipation progressive des artistes de ces deux tutelles. En même temps, ils cherchent, sinon à produire une illusion totale, du moins à en donner une idée en particulier dans la construction des décors architecturaux qui prolifèrent. La naissance (ou renaissance) du dessin d’architecture, illustrée par Villard de Honnecourt, représente une véritable révolution de l’image : «il s’agit sans doute d’une innovation aussi importante que le sera l’application à la peinture des règles de la perspective et c’en était un préalable incontournable, tout comme la renaissance de l’optique» (p.387).

Par ailleurs, les théologiens, avec saint Thomas, renouvellent leur théorie de l’image : «La substitution de l’image à la personne, qui permettait en particulier de donner une présence physique au corps du Christ, enchanta les théologiens. Aussi, bouleversant progressivement les traditions de l’Eglise tout en prétendant les respecter, ils réclamèrent pour elle le culte de latrie. On peut finalement se demander si la beauté des images gothiques n’a pas contribué à leur faire perdre toute prudence et si leur enthousiasme n’a pas à son tour incité les hommes de l’art à produire des images vraiment divines» (p.205). Les livres de modèles en faveur au siècle précédent disparaissent, les images sont organisées selon des programmes précis et les portails des cathédrales acquièrent une clarté et une lisibilité nouvelles. Miroir de l’âme, les corps s’animent. Sur la façade de la cathédrale de Reims, les anges sourient, comme les élus à Bourges (vers 1240). Ce sourire qui apparaît au XIIIe siècle, et qui reste pour nous emblématique du «beau XIIIe siècle», Jean Wirth l’explique : «il traduit un état d’âme. C’est-à-dire que son existence justifierait plutôt l’hylémorphisme, la doctrine qui présente l’âme comme la forme du corps, que n’importe quelle autre» (p.135).

La troisième partie, «L’univers iconographique» (Incarnation et spiritualisation de la chair, Le culte des morts, Les fins de l’homme), s’intéresse à l’apparition de nouvelles représentations : le Christ, mort en croix, yeux fermés, que les artistes représentent comme pathétique grâce en particulier au choix de n’utiliser que trois clous (au lieu des 4 traditionnels) ce qui met le corps en déséquilibre et en accentue la souffrance. Image de souffrance qui s’accorde à la grande faveur que rencontre dans le public le cycle de la Passion. Autre thème neuf : le couronnement de la Vierge, dans lequel Jean Wirth voit volontiers des noces spirituelles entre le Christ et la Vierge/Église. L’idée du lien nuptial entre la Vierge et le Christ remonte à saint Ambroise, mais elle est renouvelée par la réflexion neuve sur le mariage, que l’Église entreprend à partir du XIIe siècle. Le XIIIe siècle est un grand siècle de dévotion mariale, avec un abandon des représentations frontales des vierges en majesté romanes au profit d’une Vierge souriante, plus souvent debout que trônant, figure de la féminité et de la tendresse ; la polychromie renforce le réalisme des sculptures en leur donnant vie de façon saisissante. L’abondance des saints et du culte qui leur est rendu entraîne également une abondance iconographique. Enfin, au portail des cathédrales, le Jugement dernier, à partir du programme conçu par Suger pour saint Denis vers 1137, connaît une réorganisation des thèmes et de la place des personnages (les rois et les reines y figurent désormais), dans des programmes largement pensés par le clergé séculier et qui affirment tout à la fois que le royaume céleste est destiné aux pauvres et aux miséricordieux, et qu’au ciel toutes les hiérarchies disparaissent, dans un ordre où triomphe la seule charité.

Tout au long de sa démonstration, Jean Wirth renouvelle le travail fondateur d’Emile Mâle (1898), en en reconnaissant l’apport fondamental mais en s’en éloignant de façon assez radicale dans la mesure où Jean Wirth, dans l’art du XIIIe siècle, voit une rupture radicale avec les périodes antérieures, là où Emile Mâle pensait en termes de continuité.

Période d’optimisme esthétique, de progrès, le XIIIe siècle est un grand siècle et Jean Wirth nous invite avec force à dépasser les préjugés habituels : «les responsabilités et le pouvoir que cette société confiait à ses plus grands penseurs seraient strictement impensables dans le monde actuel» (p.388). Un ouvrage de référence, universitaire et d’une belle érudition, d’une lecture parfois ardue (en particulier la première partie sur les scolastiques et l’image), mais toujours stimulante, volontiers polémique, et très au fait des études les plus récentes. S’il s’adresse en priorité à des spécialistes, le travail de Jean Wirth doit intéresser, au-delà de ce cercle restreint, tout lecteur curieux d’histoire religieuse ou/et artistique.

Saluons enfin le très beau travail des éditions du Cerf qui offrent un volume de belle qualité (papier glacé, nombreuses illustrations noir et blanc en coeur de texte et un cahier central en couleurs, notes de bas de page), pour un prix somme toute modique.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 09/09/2008 )
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