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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Un demi-siècle de lumières et d’ombres
Arlette Jouanna   La France de la Renaissance
Perrin - Tempus 2009 /  12 € - 78.6 ffr. / 759 pages
ISBN : 978-2-262-03014-8
FORMAT : 11cm x 18cm

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'État dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen.
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Ce panorama complet et solide de la France de la mort de Louis XI (1483) à celle de Henri II (1559) est la réédition dans la collection ''Tempus'' des éditions Perrin d’un ouvrage publié en 2001 chez Laffont : s’il ne semble pas avoir été mis à jour depuis lors, cela n’affecte pas la grande qualité de l’information scientifique ni la valeur pédagogique du livre, car la bibliographie très riche que le lecteur trouvera en fin de texte comprend toutes les études fondamentales connues en 2000, un corpus dont la valeur reste en substance inentamée par les travaux de la dernière décennie et sera aisément actualisé et précisé sur certains points par le professeur ou l’étudiant sérieux.

Professeur émérite de l’Université de Montpellier, spécialiste reconnue du protestantisme français de cette époque, Arlette Jouanna offre donc aux amateurs passionnés de la Renaissance française, aux étudiants et professeurs d’histoire une introduction très fouillée faisant l’état des connaissances ; à ses collègues universitaires, un outil fort pratique pour s’orienter dans la bibliographie savante et les débats historiographiques.

L’idée directrice du livre (une sorte de manuel, très construit et dense) est que le royaume de France passe de la fin du XVe siècle au début des guerres de religion par une phase extrêmement riche en événements et novations de toutes sortes, ce qui en fait un âge de profonds changements (aux virtualités alors ambiguës) ; pour le public français cultivé d’aujourd’hui, l’intérêt est «généalogique» d’abord, en ce que notre «modernité» s’y invente largement ; et il est passionnant de revenir à ce que le regretté Robert Mandrou nommait l’invention de «la France moderne» (il en faisait «l’introduction» d’un point de vue de «psychologie historique»). Pour les historiens, c’est surtout cette invention difficile et ambiguë, aveugle, dans son caractère de processus complexe, qu’il s’agit de ressaisir, avant les simplifications rétrospectives, car telle est la «matière historique» : il s’agit d’un tournant, qu’il faut décrire et explique sans anachronisme, en mesurant la part des résistances et le poids des traditions et des héritages.

Un âge de lumières, d’une part, selon la formule de Rabelais et aux yeux des humanistes, esprits émerveillés par ces mutations originales (quel contraste avec ce qu’on va nommer au XVIIe siècle «moyen âge» !) dont ils voient surtout ou seulement les effets positifs (accès direct et élargi à la littérature antique, développement de la philologie et de l’histoire, imprimerie, toutes choses porteuses de possibilités enthousiasmantes pour le progrès des arts et des lettres, des sciences et des techniques, ainsi que de l’éducation et de la vraie religion, retrouvée à ses origines évangéliques… car «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme»… Mais un âge d’ombres aussi, en ce que se révèle, immédiatement et dialectiquement, que ces changements constituent des risques de déstabilisation profonde de la société et portent une crise des repères et des cadres (mentaux et «objectifs») qui assuraient la solidarité du corps social : des risques qui commencent déjà à poindre de façon fort inquiétante et s’actualisent en prodromes de guerre civile possible, à plusieurs reprises. Les avancées nombreuses et évidentes à tous depuis la fin de la guerre de Cent ans, justifient d’une part le sentiment et l’idée du progrès moral et matériel, lié à l’idéal médiéval de réforme et de retour aux origines, mais les malheurs reviennent bientôt, certes déplacés sur un autre terrain et ne peuvent apparaître comme de simples effets de la résistance des mentalités conservatrices ou réactionnaires, dont les mises en garde chagrines auraient été performatives et causes de réactions violentes : mais c’est au sein des milieux éclairés et novateurs même que bien souvent éclatent les désaccords insoupçonnés et par eux que les dangers de la «modernisation» apparaissent.

Du premier XVIe français donc, Arlette Jouanna brosse un tableau clair et énergique, en ses dimensions sociales, culturelles, religieuses, politiques et économiques. Le plan est original en ce qu’il ne part pas, comme souvent dans la tradition des Annales, inspirée du marxisme, de la base matérielle, socio-économique, technique, pour remonter aux mentalités et aux cadres politiques, avant de déboucher sur la culture noble ; c’est des faits de la culture renaissante la plus spécifique de ce temps, de la certitude de «re-naissance» que part l’historienne. C’est l’objet de la 1ère partie «Renaître» : en six chapitres, l’auteur y traite de la naissance du mythe d’un Moyen âge comme millénaire barbare, gothique (lire à ce sujet le livre de Jacques Heers) ; de la naissance d’une philologie humaniste revenant aux sources antiques ; de l’idéal corrélatif de dignité humaine, entre références païennes et chrétiennes ; de l’invention de nouvelles pédagogies, parfois plus soucieuses des rythmes de l’enfant, dans le cadre d’un réseau européen de collèges et d’universités ; dans le chapitre 4 sur «La ronde des muses», l’auteur s’intéresse à la culture humaniste et à sa diffusion, mais aussi à la naissance de la littérature française en lien avec le renforcement de la conscience nationale (thème abordé par Colette Beaune dans Naissance de la nation France, qui avait suivi ce processus depuis la Guerre de Cent ans) : c’est l’occasion de revenir sur les débats généalogiques, qui portent alors sur les origines du royaume et les relations entre Gaulois et Francs… Ces recherches passionnées où s’invente la connaissance historique ayant pour nous un caractère prononcé de spéculations hasardeuses, sont surtout l’expression de mythologies identitaires. La première partie se clôt sur «l’épanouissement artistique», la part de la tradition dans l’invention d’un premier «classicisme français», mais surtout la transformation, sous l’influence de l’Italie, du goût, des arts et de la vie de cour.

La seconde partie porte sur «le royaume» et constitue un tableau assez classique dans sa forme des aspects démographiques, économiques et sociaux du «pays le plus peuplé d’Europe» : y défilent les différentes catégories de la population, mais aussi les lieux typiques (les villes et les campagnes, paysages et cadres de la vie quotidienne, de la production) et les cadres institutionnels que constituent les «ordres» (noblesse, clergé, tiers-état) avec leurs composantes (en gros, le haut, le moyen et le bas); à la croisée des réalités objectives et des représentations, «ordre et désordre» tiennent à la différence entre organisation cosmique et organisation sociale (cependant tenue généralement pour «naturelle») et à la tension entre cadres conservateurs et évolutions : «voies et blocages de la mobilité sociale» témoignent d’une société qui sans être figée est hiérarchisée et met des limites à la fluidité et à la possibilité d’ascension sociale.

La troisième partie («Le pouvoir du roi») présente la royauté française dans sa complexité réelle et ses ambiguïtés théoriques, en relation avec l’Europe (le roi «empereur en son royaume» des légistes ?), avec la noblesse (roi souverain ou primus inter pares féodal ?), avec le peuple (devant les ordres, le tiers-état, le roi père du peuple) et avec l’Eglise (le roi «très chrétien» : fidèle soumis et bon fils et/ou lieutenant de Dieu ?). Le discours (exprimé aussi par le symbolisme des arts) a ses équivoques et rois et sujets l’interprètent selon leurs personnalités, les circonstances et leurs intérêts en s’appuyant toujours sur une tradition complexe qui se prête à différentes lectures. Le siècle apparaît comme encore indécis entre tendances absolutistes (administratives, fiscalistes) et centralisatrices, vestiges féodaux encore vivaces et possibilités d’évolution parlementaire : le «conseil» du roi, lieu central de la décision, connaît des variations de dimension, de caractère, de localisation et de fréquence qui en témoignent. Les Guerres de religion seront à la fois le moment d’apogée du modèle représentatif des états généraux, sur fond de régence et de minorité, et celui d'une angoisse du chaos qui décidera le pays à accepter l'absolutisme, sous le sceptre débonnaire d'Henri IV. Là encore, le premier seizième siècle, François Ier surtout, préfigure l'avenir de la royauté, sans que tout soit écrit en 1559...

Du seizième siècle date en un sens notre rapport à l’histoire et la prise de conscience d’une corrélation entre progrès et crise : processus dialectique consubstantiel à l’histoire, diront certains, de montée aux extrêmes et de radicalisation des positions jusqu’à leur point-limite et dont les acteurs ne deviennent conscients, quand ils arrivent à cette lucidité, qu’après coup. Nous ne sommes en ce sens jamais sortis du XVIe siècle. Ironie de l’histoire : Érasme, héros/héraut de l’humanisme, maître à penser des modernes, de plus en plus accusé d’avoir semé des troubles catastrophiques, constatera l’étendue des dégâts de sa retraite de Fribourg-en-Brisgau, où cinq siècles plus tard Heidegger méditera sur les ambiguïtés constitutives de cette vision du monde.

Il est bon de rendre hommage à Huizinga et à d’autres vieux maîtres de l’historiographie et on ne reprochera pas à A. Jouanna de ne pas pousser la mise en perspective jusqu’à des hauteurs «philosophiques», mais pourquoi donc citer, même d’une note laconique, comme par acquis de conscience, les piètres et inutiles travaux d’Emmanuel Faye sur la pensée de la Renaissance française, tandis qu’aucune mention n’est faite de la thématisation du tournant au niveau européen et de son caractère problématique par Heidegger (qu’E. Faye a caricaturé de façon calomnieuse et polémique en idéologue raciste «introducteur du nazisme dans la philosophie» il y a quelques années, montrant ainsi son grand sérieux d’historien de la pensée) ?

On pourrait d’ailleurs ajouter à Heidegger son maître E. Husserl et le grand néokantien E. Cassirer, auteurs dont tant de livres ultérieurs (A. Koyré, M. Clavelin, H. Blumenberg, etc.) se sont inspirés, et qui fournissent évidemment aux études sur la Renaissance un cadre dépassant celui de l’érudition ou des débats étroitement «seizièmistes». Il y aurait là occasion pour des réflexions puissantes et évocatrices sur le contexte international où prend place la Renaissance française : et après tout, les mentions Érasme et de l’Italie vont déjà dans ce sens. D’autant que la très utile bibliographie de Mme Jouanna est imposante.

Mais la «transdisciplinarité» reste timide dans bien des travaux. Il y a là sans doute un effet de la conception «moderne» de la division du travail scientifique et de la spécialisation, dont le caractère artificiel et mutilant relève sans doute d’une méditation sur ladite modernité. Ces réserves ne doivent d’ailleurs nullement empêcher d’apprécier le présent ouvrage, qui rendra bien des services.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 15/06/2010 )
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