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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Georges Bischoff La Guerre des Paysans - L'Alsace et la révolution du Bundschuh (1493-1525) La Nuée bleue-Editions de l’Est 2010 / 25 € - 163.75 ffr. / 487 pages ISBN : 978-2-7165-0755-4 FORMAT : 15,5cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat est agrégé d'histoire. Enseignant dans le secondaire, il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles. Imprimer
Max Weber considérait la guerre des paysans (1524-1526) comme un de ces faits désagréables pour sa propre opinion partisane, ce quil faut comprendre comme des événements qui ne sont guère à la gloire du protestantisme. En effet, au XVIe siècle, les paysans allemands se révoltent contre lordre établi au nom de Luther, mais le réformateur, loin de répondre à leur appel, encourage explicitement au massacre de ceux quil considère comme des chiens enragés. Épisode traumatisant de lhistoire dune Allemagne luthérienne et catholique, cette guerre ne fait a priori pas partie de lhistoire dune France majoritairement catholique. Il faut attendre un autre massacre des guerres de religion pour entacher la mémoire nationale
Georges Bischoff rappelle dans La Guerre des paysans. LAlsace et la révolution du Bundschuh quavec la Souabe et la Thuringe, lAlsace a été un des grands théâtres de cette guerre, un théâtre pas moins sanglant puisquil voit le très catholique duc de Lorraine et ses frères, Vaudémont et Guise, le père et grand-père de nos Guises, débouler par Saverne dans la plaine dAlsace et présider au massacre, au cours de trois rencontres, de plusieurs milliers de paysans révoltés, des Rustauds, avant de repartir. Lexpédition aura duré une semaine (du 14 au 21 mai 1525) et consacré, les propagandistes de lépoque aidant, la famille de Lorraine comme défenderesse du catholicisme.
Le but poursuivi par lauteur, professeur dhistoire médiévale à lUniversité de Strasbourg, nest pas une énième étude sur lesprit de croisade ou une préquelle aux guerres de religion françaises, mais bel et bien décrire une page dhistoire régionale, présente de manière particulière dans la mémoire alsacienne, en en tirant les leçons qui simposent. En plongeant dans les archives de lAlsace, des régions périphériques et du Saint-Empire, Georges Bischoff inscrit la guerre des paysans alsacienne dans le contexte de son époque et dans la continuité des mouvements de contestation menés par le peuple daucuns auraient dit le Tiers État - depuis 1493 sous le nom du Bundschuch, une chaussure à lacet emblème de leur humble condition sociale, et sur lequel vient se greffer le jeune message luthérien pour donner la guerre des paysans de 1525.
Le peuple étant présent, ce nest plus dune émeute dont il sagit mais de révolution. Lhistorien alsacien le démontre sans faille. Il étudie dabord dans une première partie ses origines jusquà son écrasement, massif par le duc de Lorraine, un peu plus mesuré par les autorités qui se partagent lAlsace, en passant par son soulèvement simultané, ses succès et les programmes revendiqués par les différentes bandes. Ensuite il décrypte larrière-plan religieux, économique et politique des paysans, expliquant leurs comportements et celui de leurs adversaires. Enfin, il envisage les conditions du retour à lordre et ses conséquences. Un magistral essai dhistoire globale en somme ; l'auteur y fait appel à tous les outils de la science historique, de larchéologie à lhistoire des mentalités.
Dautant que Georges Bischoff veut une histoire sereine, pensée, dégagée du bruit de lhistoire et du silence de la mémoire, dépolluée mais non dépolitisée, comme lannonce lintroduction. Il ne sagit pas ici de lanalyser à la manière dEngels, auteur dune Guerre des paysans en 1870, comme lécrasement du prolétariat par la bourgeoisie, parce que ces paysans savèrent en définitive dune grande variété de richesse et sont souvent guidés par des artisans, des commerçants, des prêtres parfois quand il ny a pas un prévôt dans leurs directions ou quand un noble recule tout juste à les soutenir. Il ne cache ni la cruauté des temps, relativisant lHumanisme en son berceau rhénan, ni lantisémitisme virulent contenu dans le programme révolutionnaire.
Dailleurs, La Guerre des paysans ne traite pas dune masse anonyme. Il est stupéfiant de constater à quel point son auteur a su tirer de lanonymat ces rustauds, reconstituant à laide de recherches personnelles mais aussi détudes récentes ou anciennes des trajectoires individuelles parfois avec une précision confondante. Il y a dans cet ouvrage de nombreux Louis-François Pinagot. Labsence dindex nen est que plus dommage car cela rend son utilisation ultérieure assez difficile à moins de ne le lire crayon à la main, au risque de sinterrompre souvent et de gâcher son plaisir.
Car plaisir de lecture il y a. Doté dune certaine verve, le professeur Bischoff se soucie de pédagogie et nhésite pas à utiliser ponctuellement le terme de soviet, utile raccourci pour faire comprendre les prises de décision des révoltés. Il pousse jusquà risquer une allusion tintinesque et a largement parsemé son livre dillustrations dépoque alors que le cahier central abrite une riche iconographie montrant que la guerre des paysans en Alsace a laissé des traces dans la mémoire jusquà lart nouveau et parmi laquelle a dailleurs été puisée la couverture du livre.
Voilà un livre qui a le mérite de se pencher sur un pan de lhistoire allemande aux détails peu connus du côté occidental des Vosges sans pour autant basculer dans un régionalisme revendicatif larmoyant mais en posant une grille de lecture parfaitement moderne sur les rapports de forces socio-politiques. Ce genre de livre porte un nom : ça sappelle un chef-duvre.
Hugues Marsat ( Mis en ligne le 12/10/2010 ) Imprimer | | |
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