L'actualité du livre Mardi 23 avril 2024
  
 
     
Le Livre
Histoire & Sciences sociales  ->  
Biographie
Science Politique
Sociologie / Economie
Historiographie
Témoignages et Sources Historiques
Géopolitique
Antiquité & préhistoire
Moyen-Age
Période Moderne
Période Contemporaine
Temps Présent
Histoire Générale
Poches
Dossiers thématiques
Entretiens
Portraits

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Une révolution populaire
Georges Bischoff   La Guerre des Paysans - L'Alsace et la révolution du Bundschuh (1493-1525)
La Nuée bleue-Editions de l’Est 2010 /  25 € - 163.75 ffr. / 487 pages
ISBN : 978-2-7165-0755-4
FORMAT : 15,5cm x 24cm

L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat est agrégé d'histoire. Enseignant dans le secondaire, il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles.
Imprimer

Max Weber considérait la guerre des paysans (1524-1526) comme un de ces faits désagréables pour sa propre opinion partisane, ce qu’il faut comprendre comme des événements qui ne sont guère à la gloire du protestantisme. En effet, au XVIe siècle, les paysans allemands se révoltent contre l’ordre établi au nom de Luther, mais le réformateur, loin de répondre à leur appel, encourage explicitement au massacre de ceux qu’il considère comme des chiens enragés. Épisode traumatisant de l’histoire d’une Allemagne luthérienne et catholique, cette guerre ne fait a priori pas partie de l’histoire d’une France majoritairement catholique. Il faut attendre un autre massacre des guerres de religion pour entacher la mémoire nationale…

Georges Bischoff rappelle dans La Guerre des paysans. L’Alsace et la révolution du Bundschuh qu’avec la Souabe et la Thuringe, l’Alsace a été un des grands théâtres de cette guerre, un théâtre pas moins sanglant puisqu’il voit le très catholique duc de Lorraine et ses frères, Vaudémont et Guise, le père et grand-père de nos Guises, débouler par Saverne dans la plaine d’Alsace et présider au massacre, au cours de trois rencontres, de plusieurs milliers de paysans révoltés, des Rustauds, avant de repartir. L’expédition aura duré une semaine (du 14 au 21 mai 1525) et consacré, les propagandistes de l’époque aidant, la famille de Lorraine comme défenderesse du catholicisme.

Le but poursuivi par l’auteur, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Strasbourg, n’est pas une énième étude sur l’esprit de croisade ou une préquelle aux guerres de religion françaises, mais bel et bien d’écrire une page d’histoire régionale, présente de manière particulière dans la mémoire alsacienne, en en tirant les leçons qui s’imposent. En plongeant dans les archives de l’Alsace, des régions périphériques et du Saint-Empire, Georges Bischoff inscrit la guerre des paysans alsacienne dans le contexte de son époque et dans la continuité des mouvements de contestation menés par le peuple – d’aucuns auraient dit le Tiers État - depuis 1493 sous le nom du Bundschuch, une chaussure à lacet emblème de leur humble condition sociale, et sur lequel vient se greffer le jeune message luthérien pour donner la guerre des paysans de 1525.

Le peuple étant présent, ce n’est plus d’une émeute dont il s’agit mais de révolution. L’historien alsacien le démontre sans faille. Il étudie d’abord dans une première partie ses origines jusqu’à son écrasement, massif par le duc de Lorraine, un peu plus mesuré par les autorités qui se partagent l’Alsace, en passant par son soulèvement simultané, ses succès et les programmes revendiqués par les différentes bandes. Ensuite il décrypte l’arrière-plan religieux, économique et politique des paysans, expliquant leurs comportements et celui de leurs adversaires. Enfin, il envisage les conditions du retour à l’ordre et ses conséquences. Un magistral essai d’histoire globale en somme ; l'auteur y fait appel à tous les outils de la science historique, de l’archéologie à l’histoire des mentalités.

D’autant que Georges Bischoff veut une histoire sereine, pensée, dégagée du bruit de l’histoire et du silence de la mémoire, dépolluée mais non dépolitisée, comme l’annonce l’introduction. Il ne s’agit pas ici de l’analyser à la manière d’Engels, auteur d’une Guerre des paysans en 1870, comme l’écrasement du prolétariat par la bourgeoisie, parce que ces paysans s’avèrent en définitive d’une grande variété de richesse et sont souvent guidés par des artisans, des commerçants, des prêtres parfois quand il n’y a pas un prévôt dans leurs directions ou quand un noble recule tout juste à les soutenir. Il ne cache ni la cruauté des temps, relativisant l’Humanisme en son berceau rhénan, ni l’antisémitisme virulent contenu dans le programme révolutionnaire.

D’ailleurs, La Guerre des paysans ne traite pas d’une masse anonyme. Il est stupéfiant de constater à quel point son auteur a su tirer de l’anonymat ces rustauds, reconstituant à l’aide de recherches personnelles mais aussi d’études récentes ou anciennes des trajectoires individuelles parfois avec une précision confondante. Il y a dans cet ouvrage de nombreux Louis-François Pinagot. L’absence d’index n’en est que plus dommage car cela rend son utilisation ultérieure assez difficile à moins de ne le lire crayon à la main, au risque de s’interrompre souvent et de gâcher son plaisir.

Car plaisir de lecture il y a. Doté d’une certaine verve, le professeur Bischoff se soucie de pédagogie et n’hésite pas à utiliser ponctuellement le terme de soviet, utile raccourci pour faire comprendre les prises de décision des révoltés. Il pousse jusqu’à risquer une allusion tintinesque et a largement parsemé son livre d’illustrations d’époque alors que le cahier central abrite une riche iconographie montrant que la guerre des paysans en Alsace a laissé des traces dans la mémoire jusqu’à l’art nouveau et parmi laquelle a d’ailleurs été puisée la couverture du livre.

Voilà un livre qui a le mérite de se pencher sur un pan de l’histoire allemande aux détails peu connus du côté occidental des Vosges sans pour autant basculer dans un régionalisme revendicatif larmoyant mais en posant une grille de lecture parfaitement moderne sur les rapports de forces socio-politiques. Ce genre de livre porte un nom : ça s’appelle un chef-d’œuvre.


Hugues Marsat
( Mis en ligne le 12/10/2010 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd