| Guillaume Lasconjarias Un air de majesté - Gouverneurs et commandants dans l'Est de la France au XVIIIe siècle Comité des travaux historiques et scientifiques - CTHS-Histoire 2010 / 32 € - 209.6 ffr. / 371 pages ISBN : 978-2-7355-0701-6 FORMAT : 15cm x 21,9cm
Préface de Jean Chagniot
L'auteur du compte rendu ; Matthieu Lahaye, agrégé dhistoire, professeur en classes préparatoires littéraires, achève une thèse consacrée au fils de Louis XIV sous la direction du professeur Joël Cornette à lUniversité Paris-VIII. Imprimer
La thèse de Guillaume Lasconjarias est claire : jusquà la Révolution française les gouverneurs jouèrent un rôle important comme relais du pouvoir royal dans les provinces. Représentants du souverain, ils étaient le roi dans la Province. Contrairement à toute une historiographie, qui a valorisé le rôle de lintendant, symbole de lirrésistible ascension dun État centralisateur, lauteur montre que la mise en place dune administration efficace passa par une multiplication des pouvoirs et des contre-pouvoirs locaux, au sacrifice de la clarté des prérogatives de chacun. Lidée dAlexis de Tocqueville, développée dans son ouvrage LAncien Régime et la Révolution, selon laquelle linfluence des gouverneurs aurait sombré, avec la Fronde, à cause dun Louis XIV méfiant à légard des clientèles polarisées par eux, est donc contestée.
Tout en la nuançant, la démarche de lauteur reprend lintuition ancienne (1962) de Roland Mousnier qui distingua le gouverneur, «agent de gouvernement [...] intervenant soit par autorité, soit comme négociateur, arbitre et conciliateur» et lintendant, «agent dadministration». Il y aurait dans la cohabitation de ces deux agents lexpression de deux réalités distinctes de la souveraineté : dun côté, le représentant direct du roi, qui agirait au nom dune autorité déléguée, et de lautre un acteur administratif qui sinscrirait davantage dans lordre de la contrainte et du pouvoir.
La réflexion de lauteur prend place aussi dans lintérêt renouvelé des historiens pour le fonctionnement administratif de la monarchie et larticulation entre le centre et les périphéries. Il nest quà citer les travaux récents de Thierry Sarmant et de Mathieu Stoll, (Régner et gouverner. Louis XIV et ses ministres, Paris, Perrin, 2010) mais aussi ceux de Stéphane Pannekoucke (Des princes en Bourgogne. Les Condé gouverneurs au XVIIIe siècle, Paris, CTHS, 2011) qui intéressent au plus près notre sujet. Renouveler létude des gouverneurs simposait dans la mesure où la dernière réflexion générale fut celle menée par Robert Harding (Anatomy of Power Elite: The Pronvincial Governors of Early Modern France, New Haven-London, Yale University Press) en 1978. Par rapport à cette étude pionnière, Guillaume Lasconjarias introduit deux décalages salutaires.
Le premier est de se concentrer sur les provinces de lEst, principalement la région des Trois-Évêchés (Metz, Toul et Verdun), mais aussi sur lAlsace et sa principale place, Strasbourg, rattachée à la France depuis 1681. Ce choix nest pas conjoncturel : depuis Vauban et la ceinture de fer, cette région concentrait, dans un nombre important de places fortes, une grande partie de larmée. Cette spécificité régionale, aussi intéressante soit-elle pour mieux comprendre la fonction, avant tout militaire, des gouverneurs, interdit néanmoins toute conclusion densemble dans un royaume qui compte entre 26 et 40 gouvernements généraux au XVIIIe siècle. Le second décalage tient à la chronologie puisque létude se focalise sur la deuxième moitié du XVIIIe siècle, période pendant laquelle lordonnance de mars 1776 tenta de réformer linstitution.
Pour arriver à ses fins, lauteur a dépouillé une quantité considérable darchives. Sa tâche ne fut pas simple car, contrairement aux intendants, dont les papiers ont été regroupés dans des séries autonomes par les archivistes, les papiers des gouverneurs ont été dispersés. Aussi la correspondance militaire du Service historique de la Défense a-t-elle été minutieusement étudiée, ainsi que les documents conservés dans les dépôts municipaux de Metz et Strasbourg et ceux des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, de la Moselle, du Haut et du Bas-Rhin. Les archives du département des Yvelines, où se trouvent déposés des papiers de nombreuses familles dAncien Régime, ont également été exploitées. Néanmoins, la démarche historique de lauteur reste assez descriptive et linéaire comme en témoigne le plan ; dabord, linstitution et les hommes, puis, Gouverneurs et commandants dans lédifice monarchique, et enfin, champs daction au quotidien.
Après un rappel de lhistoire des gouverneurs depuis le XIIIe siècle, lauteur présente un tableau saisissant de lanarchie institutionnelle des provinces de lEst au début du XVIIIe siècle. Les provinces dAlsace et les Trois-Évêchés étaient dirigés par un gouverneur général, issu de la haute noblesse, secondé par un lieutenant général. Ils avaient autorité sur des gouverneurs particuliers, nommés à la tête des places fortes comme celles de Metz ou de Toul, dont les garnisons étaient dirigées par un état-major. Cependant, en hommes de cour, ces gouverneurs ne résidaient que rarement dans leurs gouvernements. Cest pourquoi lhabitude fut prise, non pas dobliger les grands seigneurs à la résidence, mais de créer une structure parallèle en nommant des commandants chargés du maintien de lordre et du commandement effectif des troupes. Ces commandants étaient les supérieurs hiérarchiques des commandants de place et des lieutenants du roi, qui entretenaient, de leur côté, des relations avec les gouverneurs particuliers et létat-major des places. Parfois, il arrivait que les gouverneurs fussent aussi commandants. Durant lété 1743, en raison de la menace impériale qui pesait sur la Haute-Alsace, le duc de Coigny (1670-1759) cumula le gouvernement et le commandement dAlsace.
En exposant les projets de réforme dun État marqué par lesprit des Lumières, Guillaume Lasconjarias nous offre un exemple significatif des faiblesses de la monarchie dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les multiples velléités de simplifications, dont la plus importante fut celle menée par le secrétaire dÉtat de la Guerre Claude-Louis-Robert, comte de Saint-Germain (1707-1778) et ses ordonnances de 1776, aboutirent à quelques inflexions, notamment au renforcement du rôle du commandant, devenu le véritable chef des opérations militaires, tandis que la fonction de gouverneur fut de plus en plus assimilée à un honneur et à une reconnaissance. Mais les nombreuses résistances, le manque de volonté politique et dintelligence de la situation interdirent une réforme rationnelle. Héritage important cependant : cétait moins le grade des militaires qui, dès lors, décidait de lautorité, que la fonction.
Mais il nest pas sûr que la monarchie ait désiré sortir de lambiguïté dune hiérarchie sujette à de multiples contestations, moyen toujours efficace et ancien de rester au centre du jeu politique. Ainsi, dans son chapitre 3, lauteur réfléchit sur le statut juridique des gouverneurs. Bernard Chevalier croit reconnaître en lui un officier, Roland Mousnier un commissaire, ce que Michel Antoine conteste dans la mesure où le verbe «commettre» ne figure pas dans leurs lettres de nomination. Pour lauteur, les gouverneurs nappartenaient à aucune de ces catégories figées, avançant même lidée dun statut atypique, relevant dun autre univers, celui de la délégation de la puissance publique quillustrait le terme de «charge», utilisé dans leurs lettres. Comme pour préserver la liberté du souverain de décider, un flou fut entretenu à bon escient autour de ces représentants du roi, qui ne pouvaient se targuer daucun élément juridique tangible pour ne pas obéir.
Cette tendance anarchique dune monarchie fondée sur une tradition plus que sur le droit, fut lobjet premier de la grande clarification que constitua la Révolution française. La hiérarchie militaire ne put y échapper. En 1791, et en quelques mois, lAssemblée nationale, par la voix de son Comité militaire, abolit les gouverneurs et les lieutenants généraux. Dans sa deuxième partie, lauteur replace les gouverneurs et les commandants dans leur contexte social, politique et institutionnel. Après avoir étudié leur train de vie, linscription symbolique de leur autorité dans lespace, sans sattarder, et cest bien dommage, sur la construction de limposant hôtel du gouverneur à Metz commencée en 1776, Guillaume Lasconjarias analyse leurs relations avec la hiérarchie civile. Il préfère insister sur leurs coopérations, plutôt que sur le thème plus rebattu de leurs oppositions, même si le flou des attributions de chacun conduisait parfois à des malentendus. Cest le cas notamment pour la milice, qui était levée par lintendant avant dêtre mise à la disposition du gouverneur.
Ces tensions existaient dautant plus à léchelon local, avec le Parlement notamment, mais aussi avec les municipalités, que les villes de lEst accueillaient un grand nombre de soldats. Pour cette raison, le duc de Belle-Isle, commandant en chef des Trois-Evêchés depuis 1727 et gouverneur de Metz, en 1733, nhésita pas à placer ses créatures à la tête de la municipalité de Metz. Cest ainsi quaprès avoir fait élire Claude-Joseph Mamiel de Marieulles maître-échevin de Metz, il le fit lieutenant-colonel et commandant de la citadelle de Metz. Son secrétaire particulier devint adjoint au procureur-syndic puis syndic royal, ce qui lui permettait de présider le bureau de ville en labsence de Mamiel de Marieulles. Le receveur municipal Sol fut remplacé par Claude Nicolas Pérain du Buy, trésorier de lartillerie, des fortifications et des fourrages dans les Trois-Évêchés.
Si lauteur névoque pas vraiment linsertion des gouverneurs et des commandants dans les lignages nobles de la région, il revient dans sa troisième partie sur leur travail quotidien. Il rappelle que, sils soccupaient dabord des affaires militaires, le contrôle des troupes les obligeait à des incursions dans la surveillance des civils, pourtant dévolue aux intendants. Ce sont eux, par exemple, qui mettaient à la disposition de lintendant des forces armées pour lutter contre des révoltes fiscales. La subsistance des troupes les obligeait à prendre linitiative sur les questions dapprovisionnement, noubliant pas, en parallèle de lintendant, de tenir informée la cour des ressources agricoles des provinces. Il en allait de même pour les hôpitaux et les problèmes sanitaires en général, ressort de lintendant, mais, de fait, du gouverneur puisque de la salubrité publique dépendait la condition opérationnelle des forces armées. Pour les mêmes raisons, les gouverneurs et les commandants veillaient à la paix publique en se posant comme médiateurs entre les pouvoirs locaux et les minorités religieuses, juives et protestantes, fort nombreuses dans ces régions. Alors que la police était du ressort exclusif des intendants dans les autres régions du royaume, le contrôle des frontières dans les provinces de lEst associait nécessairement la hiérarchie militaire. Les espions, les déserteurs, les fraudeurs du fisc étaient traqués par les hommes du gouverneur et du commandant. En somme, lintendant nétait pas lagent unique de la monarchie dans les provinces et les gouverneurs et commandants nétaient pas les spectateurs impuissants que lhistoriographie a bien voulu retenir.
Ce livre, pour traiter des gouverneurs et des commandants, mais aussi de leurs relations avec le pouvoir central et les autorités locales, est en réalité bien plus quune étude dhistoire militaire ou administrative, mais une réflexion sur la frontière. Peut-être cette étude aurait-elle donc gagné à assumer pleinement cette orientation dans la mesure où sa richesse documentaire en fait, dès à présent, une référence bibliographique solide.
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 12/04/2011 ) Imprimer
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