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Louis XIV a-t-il ruiné la France ?
Katia Béguin   Financer la guerre au XVIIe siècle - La dette publique et les rentiers de l'absolutisme
Champ Vallon - Epoques 2012 /  29.50 € - 193.23 ffr. / 390 pages
ISBN : 978-2-87673-575-0
FORMAT : 15,4 cm × 24,0 cm

L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye, agrégé et docteur en histoire moderne, enseigne en classes préparatoires aux grandes écoles.
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Katia Béguin, historienne remarquée et remarquable depuis la publication d'une histoire des princes de Condé il y a maintenant treize ans, nous offre une réflexion sur le financement de l'État en guerre au XVIIe siècle. En digne héritière de Daniel Dessert, auteur en 1984 d’une somme sur la question, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, l’auteur réfléchit un objet complexe en raison de la technicité du vocabulaire, dont nous sommes peu coutumiers, et l’aridité des sources consultées. Dans ces lignes, il est surtout question d'arrérage, d’assignation, de débets, de constitution de rentes et autres subtilités qui n'ont pas à rougir de la langue des financiers d’aujourd’hui truffée de barbarismes abscons mais dont on devine pourtant l'importance pour le bien-être des peuples et la puissance des États.

Et l'on est frappé de constater combien l’État monarchique était mauvais payeur, «spoliateur» si l’on reprend l’expression de l’auteur. Les moyens utilisés pour se défaire de dettes jugées excessives donnaient lieu à une inventivité redoutable. Durant ce siècle de fer, où les années de paix furent peu nombreuses, l’État n’hésita pas à recourir à des dévaluations successives (entre 1602 et 1689 la livre tournois perdit ainsi un tiers de sa valeur), mais aussi à se laisser aller à des défauts multiformes, parfois majeurs (entre 1595 et 1605, en 1663-1665 et en 1713-1714), parfois partiels. L’État était également coutumier des retards ou même de la réduction des versements des intérêts dus aux 160 000 rentiers français, le plus souvent parisiens, parfois étrangers, aperçus à la faveur d’une belle réflexion d’histoire sociale.

Ce manque de crédibilité financière fut le principal obstacle de la monarchie pour se financer, d’où le recours à de nombreux artifices comptables comme la création des rentes de l’Hôtel de Ville, objet central du livre. Dès 1522, la monarchie utilisa la bonne gestion des rentes émises par la ville de Paris comme garantie pour les siennes. Mais au cours du XVIIe siècle, la monarchie prit peu à peu le contrôle de l’institution en remplaçant le receveur-payeur de la Ville par des officiers royaux propriétaires de leurs charges et en intégrant aux contrats d'affermage passés entre le Conseil et les financiers le produit des taxes auparavant laissé à la gestion de la Ville. De garantie aux emprunts d’État, Paris se transforma bientôt en une simple «coquille institutionnelle».

Cette question de la confiance était d’autant plus épineuse que l’État emprunteur n’avait aucune échéance contractuelle pour rembourser les capitaux prêtés, mais seulement l’obligation de verser des intérêts jusqu’à liquidation complète de la rente. Le seul moyen pour un épargnant de retrouver son épargne était donc de vendre sa rente sur un marché secondaire. Le transfert des rentes entre particuliers fut d’autant facilité quand, à côté de la cession gré à gré devant notaire, procédure connue des historiens, se développèrent des rentes non nominatives, dites en blanc. Katia Béguin établit donc que la rente était cessible sans vérification institutionnelle et que l’illiquidité de la dette française, retenue jusque-là, est très discutable.

Mais alors pourquoi ces rentes de l’Hôtel de Ville eurent-elles un tel succès ? Telle est la question que l’on se pose quand on considère les avanies subies par les épargnants au XVIIe siècle. En dépit du manque d’assurance sur le capital investi et des intérêts que l’on pouvait espérer en tirer, l’intérêt des rentes résidait dans leur statut d’immeubles qui les rendait susceptibles d’hypothèque et de saisie de la part des débiteurs. Elles constituaient donc un bon moyen d’accéder au crédit pour des catégories sociales dépourvues de capital. La possibilité de diviser les rentes permettait une certaine fluidité dans la répartition des capitaux familiaux en même temps qu’une vente assez aisée sur un marché qui comptait en définitive peu d’autres produits. Aussi la rente était-elle toujours présente dans les patrimoines de parisiens modestes, compris entre 500 et 3 000 livres ; la rente représentait même 45 % de la valeur des fortunes ancillaires et 19 % de celles des salariés à la fin du XVIIe siècle.

Tout au long de cette réflexion, nourrie par une historiographie riche mettant en regard la France avec les expériences européennes, une idée centrale chemine : l’irresponsabilité grandissante de la monarchie française en matière financière, qui refusa à toute instance le contrôle qu’exerçait sur ces questions le Parlement en Angleterre. La permanence et l'ampleur des guerres, notamment entre 1688 et 1714, créèrent des dettes à long terme si considérables que leur liquidation ne fut plus même envisageable. À la fin de la guerre de Hollande, la part des revenus nécessaires au paiement des rentes avait largement dépassé le tiers des recettes que les contemporains considéraient comme la limite tolérable. En 1714, le service de la dette ne laissait presque plus de marge disponible puisque à lui seul le service des rentes s’élevait à 36 millions au début de l'année 1715 pour un revenu total de 42 millions. Un mémoire sur l’amortissement rédigé peu après 1715 estimait à 200 millions de dette composée des rentes, des offices supprimés à rembourser et des billets de l’Extraordinaire des guerres.

En même temps, Katia Béguin reconnaît elle-même la difficulté de mesurer la dette française tant elle était composite. Les rentes de l’Hôtel de Ville représentaient un instrument d’emprunt à long terme à côté de la vénalité des offices, des rentes sur les états provinciaux, mais aussi des billets d’État et de l’aliénation du domaine. Par ailleurs, elle insiste sur l’unanimité qui existait au plus haut sommet de l’État pour considérer le recours à l’emprunt comme détestable. Elle souligne par ailleurs qu’après le défaut majeur de 1665, la monarchie s’employa toujours à payer les intérêts dans un souci de stabilité sociale. Les prêteurs constituaient ainsi une base forte pour le régime qui avait trouvé par l’emprunt un moyen de lier une partie de la population, pas toujours très riche, à ses intérêts comme il avait su le faire avec la généralisation de la vénalité des offices quelques années auparavant. Enfin, affirmer que la monarchie était irresponsable d’engager de telles dépenses, c’est postuler que la guerre était évitable. Or, l’extrême concurrence des pays en Europe au XVIIe siècle, les problèmes dynastiques notamment en Espagne, la dangereuse proximité de la capitale avec les frontières septentrionales, le poids culturel de la violence dans la société, ne laissèrent guère le choix à Louis XIV.

Il nous paraît par ailleurs peu opportun d’évaluer la pertinence d’une politique de conquête territoriale en amortissant son coût sur l’exercice financier d’une ou de deux années. Ces investissements doivent être considérés à long terme. Les Flandres françaises, l’Alsace, la Franche-Comté, le Roussillon constituèrent et constituent des atouts formidables pour la France sans parler de l’Outre-Mer. Il nous semble donc difficile de penser que Louis XIV ruina la France. En dépit de cette sévérité un peu excessive à l’endroit de la politique du Roi-Soleil, qui était d’ailleurs plus celle d’une élite que d’un roi seul, ce livre permet de comprendre les mécanismes complexes des circuits financiers et de saisir les ressorts cachés du théâtre social et politique du Grand Siècle. On pourrait même dire du nôtre tant les questions financières sont devenues aujourd’hui centrales.

Pour finir, disons seulement que ce livre montre ce qu’une historienne parvenue à un sommet d’érudition et de finesse d’analyse peut offrir à un public nécessairement averti.


Matthieu Lahaye
( Mis en ligne le 15/05/2012 )
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