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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Faire carrière sous Richelieu et Mazarin | | | Hélène Duccini Guerre et paix dans la France du Grand Siècle - Abel Servien : Diplomate et serviteur de l'Etat (1593-1659) Champ Vallon - Epoques 2012 / 29 € - 189.95 ffr. / 400 pages ISBN : 978-2-87673-612-2 FORMAT : 15,5 cm × 24,0 cm
L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye est professeur agrégé et docteur en histoire moderne. Imprimer
Nous avons pris beaucoup de plaisir à la lecture du livre dHélène Duccini. Est-ce une bonne raison pour en recommander la lecture ? Nous le croyons. Evidemment, nous voyons toutes les critiques quon pourrait lui porter. Certains feront la moue devant ce sujet très classique, la biographie dun grand commis de lÉtat, Abel Servien (1593-1659), licencié en droit qui gravit tous les échelons de lÉtat et devint, au prix dun formidable investissement intellectuel et humain, maître des requêtes (1624), intendant de Guyenne (1628), puis Premier Président du Parlement de Bordeaux (1630), enfin Secrétaire dÉtat de la guerre (1631-1636), et pour finir cette brillante carrière, Surintendant des Finances (1653-1659). Dautres diront que la démarche est plus convenue encore : une biographie suivant un déroulement strictement chronologique. Enfin, un certain nombre de grincheux déploreront le peu darmature théorique et labsence de paradigmes nouveaux. ''Et alors ?'', a-t-on envie de dire.
Car ce livre est dabord un ouvrage mené dune manière exemplaire, contextualisant avec talent la vie de Servien et nhésitant pas à rappeler des points essentiels à sa compréhension : limportance du droit dans la formation de la bourgeoisie, la structure de ladministration, les conflits de compétences entre les différentes juridictions, les us et coutumes de la diplomatie, les procédures de la prise de décision et plus généralement de dresser un tableau méticuleux des murs politiques de lépoque. En effet, la précision et la clarté du propos du livre permettent de mettre en lumière un propos essentiel : les ressorts dune carrière réussie. Elle repose sur trois facteurs.
Dabord une force de travail et une disponibilité hors du commun. On rencontre tour à tour Servien à Bordeaux, Cherasco, Münster et à chaque fois furent loués sa pugnacité et son esprit de méthode qui nétait pas la dernière qualité à un moment où lÉtat administratif devenait toujours plus complexe et dont les défis étaient gigantesques : donner les moyens financiers et logistiques pour soutenir la politique internationale de Louis XIII : poursuivre la lutte contre les Habsbourg en sengageant peu à peu dans la guerre de Trente Ans (1618-1648). Ensuite, sa capacité à se faire remarquer des puissants et à sinsérer dans leur clientèle. Ce fut le cas avec Richelieu (1585-1642) qui éprouva en Guyenne la fidélité du jeune Servien avant de le propulser au sommet de lÉtat afin de consolider sa propre influence sur le Conseil. Enfin, il paraît déterminant, dans ce milieu très concurrentiel, de faire preuve dune capacité de survie politique à toute épreuve. Sur ce point Servien ne fut pas très habile car il ne sut ou ne put anticiper les chausse-trapes de ses ennemis, en loccurrence le réseau Bouthillier-Bullion qui le tint responsable devant le roi des revers militaires de la France en 1635. Et quand le 9 février 1636, Louis XIII en personne adressa les plus vives critiques à Servien, Richelieu, aussi puissant fut-il, dut sacrifier son protégé.
Il est vrai quil revint au devant de la scène dune manière magistrale grâce à Mazarin (1602-1661) qui lui confia les très épineuses négociations de Westphalie, occasion de très belles pages de lauteur qui montre avec brio lopposition entre Servien, partisan dune alliance avec les puissances protestantes pour jouer lEmpire contre lEmpereur, et son collègue, dAvaux, qui préférait une alliance avec les puissances catholiques. Il se jouait entre eux la vieille ligne de fracture qui structura la société politique durant tout le premier XVIIe siècle et que les traités de Westphalie et des Pyrénées tranchèrent en faveur des premiers.
Suivre les déroulements de la vie de Servien sous la plume dHélène Duccini, cest suivre lirrésistible ascension de lÉtat moderne, cest comprendre aussi les mille rouages dune structure étatique en pleine gestation, son perfectionnement dans le prélèvement fiscal et son efficacité à faire de la France la première puissance militaire du continent. En somme, ce livre agréable et intelligent ne doit pas échapper à lamoureux dhistoire qui redoute les ornières de lérudition universitaire et se plaît au livre bien écrit.
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 06/11/2012 ) Imprimer
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