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La chaîne et ses représentations | | | Sylvain Rappaport La Chaîne des forçats - 1792-1836 Aubier - Historique 2006 / 25 € - 163.75 ffr. / 346 pages ISBN : 2-7007-2341-4 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
Lauteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris. Imprimer
Si de nombreux travaux ont analysé le système pénitentiaire, les bagnes et les prisons, manquait un travail historique sur la chaîne des forçats. Cest chose faite avec le livre de Sylvain Rappaport.
Instituée par Colbert, la chaîne assurait le transfert des condamnés aux fers des différentes prisons de France vers les galères. Ferrés au cou, les hommes étaient liés deux par deux, et attachés à une longue chaîne regroupant à son départ entre vingt-six et trente forçats. Partant de Paris vers Toulon, Brest, Rochefort ou Lorient, la chaîne saccroissait à chaque étape de nouveaux condamnés. Les convois pouvaient assembler à larrivée quelques cinq cents hommes.
Lauteur, sil rappelle les origines de la chaîne, sintéresse au premier 19e siècle, cherchant à démontrer que la chaîne est au cur des tensions qui marquent le passage de la pénalité dAncien régime au système de sanction moderne. Car la chaîne, avec la souffrance quelle impose, la fatigue, les violences qui laccompagnent, relève bien de lAncien régime. Elle est partie prenante de la sanction du condamné, et participe dune pédagogie de leffroi. Aussi pouvait-on sattendre à ce quelle disparaisse, comme dautres châtiments, avec la Révolution française. Cest au contraire un nouvel élan : un flot sans cesse croissant de condamnés doit être conduit vers les bagnes de plus en plus nombreux. Bien quelle doive désormais composer avec laspiration à plus dhumanité, la chaîne continue dacheminer en France les condamnés ferrés, en un long voyage public, spectacle ambulant du châtiment et du pouvoir répressif de lEtat, ce jusquà 1836 où elle est définitivement remplacée par un transport à labri des regards, en voitures fermées.
Grâce à louvrage de Sylvain Rappaport, on saura tout, désormais, de la chaîne. Qui sont les forçats, leur nombre, leurs crimes, leurs origines sociales. Comment est organisée la chaîne : et lon apprend que lEtat, par soucis déconomie, confiait, par adjudication, à des entrepreneurs privés, lorganisation du transport, le recrutement des gardes. On saura ce quelle coûte, et ce quelle rapporte. On connaîtra les trajectoires sociales de ces argousins, on questionnera leur attitude à légard des prisonniers. On suivra la longue marche, de la cour de Bicêtre où lon ferre le condamné en une cérémonie publique et codée, à larrivée au bagne. On apprendra que peu sen évadent, peu en meurent mais beaucoup en souffrent. On suivra sa traversée des villes et des villages, lattitude des populations à son passage. Pour se faire, lauteur croise les sources bureaucratiques, administratives, comptables avec les témoignages des différents acteurs, forçats, argousins, entrepreneurs, spectateurs de la chaîne. Mais louvrage est surtout une histoire des représentations de la chaîne, histoire de la chaîne comme spectacle de leffroi offert au peuple et histoire des représentations de la chaîne dans les écrits qui la décrivent, qui la louent ou qui la dénoncent.
Louvrage sinscrit ainsi dans le prolongement des questionnements et des réponses apportées par les travaux antérieurs sur la prison, sur le châtiment et sur les criminels mais, sil ne renouvelle pas des problématiques dont il démontre en revanche la validité, il apporte sur un aspect jusque-là peu connu de fort utiles connaissances.
Mathilde Larrère ( Mis en ligne le 14/04/2006 ) Imprimer | | |