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Un Giro littéraire
François Brizay   Touristes du Grand Siècle - Le voyage d'Italie au XVIIe siècle
Belin - Histoire & société 2007 /  28 € - 183.4 ffr. / 253 pages
ISBN : 978-2-7011-4352-1
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu : Archiviste paléographe, Rémi Mathis est conservateur stagiaire des bibliothèques, en formation à l’ENSSIB. Il prépare une thèse de doctorat sur Simon Arnauld de Pomponne à l’Université de Paris-Sorbonne, sous la direction de L. Bély.
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L’Italie possède une place à part dans la culture des hommes de l’Ancien Régime. La péninsule est le lieu où a fleuri la civilisation romaine, dont on peut encore çà et là voir des traces. Elle est une terre où l’art s’est épanoui en peintures, sculptures, opéras. Elle est enfin terre de catholicisme parsemée de cathédrales et de lieux de pèlerinage ; c’est sur son sol qu’est installé le pape. Elle attire donc et le voyage en Italie constitue, pour une partie de la société, un passage obligé de la formation intellectuelle, jusqu’à la Révolution : qu’on se souvienne par exemple des extraordinaires Lettres d’Italie, pleines d’esprit, du président de Brosses.

Bien souvent, les voyageurs ont laissé une trace écrite de leur périple : cette pratique est si fréquente que le voyage en Italie constitue pratiquement un genre en soi. Dans cette production foisonnante, François Brizay, maître de conférences à l’université d’Angers et auteur d’un manuel sur l’Italie à l’époque moderne, a défini un corpus de trente-six récits de voyage couvrant l’essentiel du XVIIe siècle.

Dans une première partie, il étudie les relations elles-mêmes, de l’expérience du pays à leur rédaction. L’auteur revient donc sur les caractéristiques du voyage, telles qu’elles apparaissent dans les relations elles-mêmes. Le séjour, qui dure en moyenne près de deux ans, suit des itinéraires bien déterminés qui varient dans l’ensemble peu : on visite les villes principales (Rome, Florence, Venise, Bologne…) et l'on s’aventure peu dans le Sud, moins encore dans les îles. Souvent, ces relations ont un certain air de famille : on voyage avec quelques compagnons, on se plaint du logement, on craint les brigands de grand chemin (et l'on cite si possible quelques anecdotes terrifiantes à ce propos). Car la relation de voyage n’est pas un genre littéraire pur. Il mêle souvent autobiographie et fiction, éléments personnels et topos : la frontière entre récit de voyage, guide et considérations étrangères à l’expérience personnelle est perméable. Ainsi, les noms des auberges où loger sont souvent repris d’un livre à l’autre. Les anecdotes pittoresques, qui font le sel de ces relations, sont attendues par les lecteurs : elles se retrouvent donc d’un livre à l’autre sans grands changements. D’une manière générale, le récit est passablement déformé avec une emphase toute particulière mise sur les dangers et tous les éléments spectaculaires, mais bien peu de notation de ce qui fait le quotidien du voyageur. Le vocabulaire lui-même est souvent assez fruste, ce qui rend les descriptions peu précises (les villes sont souvent décrites comme «belles»).

On ignore donc comment les voyageurs prennent des notes ou comment ils rédigent leur relation. Une chose est sûre cependant, il convient d’être extrêmement prudent sur la réalité des événements narrés : la relation de voyage en Italie est bien plus fille de la culture que de l’expérience. Il n’est pas rare que des passages entiers soient repris dans des ouvrages plus anciens. Plus généralement, opinions et descriptions – et même plans des ouvrages – évoluent peu : l’autorité des anciens se maintient. Il est tellement fréquent de reprendre des informations dans d’autres ouvrages que certains livres se présentant comme des récits de voyage ont été rédigés par des personnes qui n’ont jamais mis les pieds en Italie.

On comprend que dans ces conditions, les descriptions nous apprennent plus sur celui qui écrit que sur l’Italie même. Le pays est la plupart du temps admiré. Le climat, bien que parfois violent, est sain ; les campagnes portent la trace de la civilisation. Surtout, la péninsule est le lieu d’une riche histoire, de Tarquin à Constantin, ce que n’oublient jamais de mentionner les voyageurs. Plus que les campagnes, les villes sont décrites avec soin. Rome bien sûr, passage obligé pour un chrétien, mais également les grandes cités dynamiques et marchandes. Enfin, les richesses artistiques sont particulièrement soulignées, ce qui est peut-être l'un des éléments de différenciation de la relation de voyage en Italie avec d’autres pays. Pourtant, là encore, le plan de ces récits est assez peu élaboré et suit des modèles précis. Pour décrire le pays tout entier, l’auteur suit les étapes de son voyage. Pour décrire une ville, le plan est thématique, avec des séquences bien précises.

Finalement, au court du siècle cependant, le genre évolue. Peu à peu, les carcans se desserrent : on voit notamment apparaître les premières relations par lettres, qui permettent des digressions familières et un ton plus enjoué. Dans le même temps, les récits de pèlerinage se font plus rares. Le type littéraire a donc tendance à se diversifier en sacrifiant peu à peu la fidélité à ses modèles. La matérialité même du support joue un rôle dans cette évolution : les livres se font de plus en plus petits, on peut emporter avec soi les petits in-12 dans son voyage tandis que les illustrations se développent et viennent compléter le texte : tout ceci vient modifier les habitudes d’écriture et a une influence sur le contenu des textes.

Soyons franc : les relations de voyage n’ont qu’un faible intérêt littéraire. Le pays qui est décrit est moins l’Italie réelle que celle imaginée par les Français, mélange d’Italie recréée au miroir de la culture des écrivains-voyageurs, d’Italie telle qu’elle est traditionnellement représentée dans les modèles littéraires et de l’Italie attendue par le lecteur. Comment un genre contraint où abonde le cliché et la sempiternelle répétition des mêmes topoï peut être représentatif d’une culture de l’écrit et d’une vision de l’autre, c’est ce que démontre François Brizay tout au long d’une fine analyse qui nous fait voyager dans l’espace et dans le temps.


Rémi Mathis
( Mis en ligne le 27/06/2007 )
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