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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Elisabeth, entre Pierre et Catherine | | | Francine-Dominique Liechtenhan Elisabeth Ire de Russie Fayard 2007 / 28 € - 183.4 ffr. / 526 pages ISBN : 978-2-213-62861-5 FORMAT : 14,0cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié : Les Demeures du Soleil : Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (Champ Vallon, 2003). Imprimer
La biographie de tsar ou de tsarine est devenue en France une manière de genre historique à part entière. DIvan le Terrible à Nicolas II, il nest pas dautocrate russe qui ne trouve régulièrement son historien, tant la chronique des cours de Moscou et de Saint-Pétersbourg est prodigue en figures truculentes et en scènes terrifiantes ou pittoresques. DHenri Troyat jadis à Hélène Carrère dEncausse aujourdhui, empereurs sanglants et impératrices licencieuses font les délices du lecteur français. Les éditeurs savent tirer parti de cet engouement : cest ainsi que Fayard a donné il y a quelques années la traduction du russe en français dun Alexandre Ier, recensé en son temps dans ces colonnes.
Le point commun à la plupart des titres de cette production aussi abondante quinégale est son caractère de seconde main. Le régime soviétique ne se souciait guère dencourager les travaux sur la Russie impériale et les historiens français ne se souciaient pas davantage de mener des recherches dans les archives et les bibliothèques situées de lautre côté du rideau de fer. Le plus souvent, donc, il fallait se reposer sur les mémoires anciens ou les ouvrages dérudition antérieurs à 1917, notamment les textes édités dans le Recueil de la Société impériale dhistoire russe, série connue des initiés sous le nom de Sbornik. Publiée à Saint-Pétersbourg entre 1867 et 1916, la collection ne compte pas moins
de 148 volumes ! Jusquen 1991, hors du Sbornik point de salut.
Tout a changé avec la dislocation de lUnion soviétique. Les archives se sont ouvertes, et la Russie des tsars est devenue ou redevenue un objet dhistoire pour la recherche universitaire. Le livre de Mme. Liechtenhan est un des premiers témoignages de ce renouveau qui soient accessibles au grand public. Lenquête repose non seulement sur une bibliographie rajeunie, sur une impressionnante collecte de sources imprimées dont le fameux Sbornik nest pas absent , mais aussi sur lexamen darchives conservées à Paris, à Rome, à Vienne, à Berlin, à Moscou et à Saint-Pétersbourg. De ce formidable travail, le lecteur naura cependant quune idée fort vague dans la mesure où, dans la bibliographie et les notes, toutes les références en russe sont citées sous forme de transcriptions incompréhensibles pour un non russophone (Russkaja pravoslavnaja cerkov i gosudarstvo pour un livre consacré à LÉglise orthodoxe russe et lÉtat).
Parmi les sources exploitées, les archives diplomatiques se taillent la part du lion. De ce fait, cest souvent par les yeux des ambassadeurs étrangers que le lecteur observe lexistence mouvementée de la fille du tsar Pierre le Grand et de la servante livonienne Martha Skravronska. De façon très classique, lauteur suit le déroulement de la chronologie : cest dabord lenfance dÉlisabeth dans lombre immense de son père (1709-1725), sa jeunesse sur les marches du trône, pendant la période troublée qui suit la mort du réformateur (1725-1741), puis le coup dÉtat qui lui permet de coiffer la couronne et linstallation de son pouvoir (1741-1744). Le récit respecte les inflexions de la politique internationale : dernières années de la guerre de succession dAutriche (1744-1748), entre-deux-guerres (1748-1756), intervention de la Russie dans la guerre de Sept Ans (1756-1763). Au nombre des «bonnes feuilles», on signalera le tableau de loccupation de la Prusse orientale par les Russes (pp.372-388), épisode peu connu en France. Fort logiquement, lhistoire ne se clôt pas sur la mort dÉlisabeth (1761), mais sur la prise du pouvoir par sa belle-fille Catherine (1762), où lopération menée en 1741 semble se répéter à vingt ans de distance.
La succession, fort embrouillée, des intrigues de cour, des négociations diplomatiques et des opérations militaires écrase quelque peu la perspective historique. On peine à sy retrouver, et lauteur elle-même néchappe pas aux redites. Faute de pouvoir sappuyer sur des travaux universitaires solides, le tableau de la situation intérieure de lEmpire, fondé sur les dispositions législatives et réglementaires de la souveraine, est assez superficiel. Mme. Liechtenhan introduit sur la scène de nombreux personnages, mais omet souvent de les présenter et de les caractériser, notamment pour distinguer les familles de lancienne aristocratie de celles élevées sous Pierre le Grand et ses successeurs. Cest dire que les habitués de la plume plus suave du regretté Henri Troyat risquent dêtre déroutés.
Il demeure que le portrait dÉlisabeth ressort plus clairement que par le passé. Princesse sensuelle et fantasque, paresseuse et hésitante, la fille de Pierre le Grand nen poursuit pas moins le dessein de son père : faire de la Russie une puissance mondiale, parlant dégal à égal avec les grands États dEurope et dAsie. Mais une inflexion se dessine ; quand le père mettait sans états dâme son Empire à lécole de lOccident, la fille entreprend une première synthèse entre innovations européennes et exaltation des traditions nationales. Il y a donc une profonde continuité entre Pierre le Grand et Élisabeth, dun côté, entre Élisabeth et la grande Catherine, de lautre.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 25/02/2008 ) Imprimer
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