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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Violence divine de la terreur : «Vouliez-vous une Révolution sans révolution ?» | | | Slavoj Zizek Robespierre : entre vertu et terreur Stock - L'autre pensée 2008 / 20 € - 131 ffr. / 269 pages ISBN : 978-2-234-06076-0 FORMAT : 12,0cm x 20,0cm
Traduction de Christophe Jaquet.
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Un jour, le jeune Degas visita avec sa mère la très vieille veuve dun conventionnel (les Conventionnels étaient souvent assez jeunes, la Révolution était une époque dopportunité de carrière voire de destin pour ces roturiers talentueux). Voyant les portraits de Robespierre, Saint-Just et Couthon, la mère du futur peintre ne put réprimer un cri dindignation : comment pouvait-on honorer la mémoire de tels criminels ! À quoi la veuve non moins émue répondit : «ne dites pas cela ! Cétaient des saints». Le philosophe F. Fédier, qui cite cette anecdote dans un recueil récent, sindigne de cette canonisation laïque des robespierristes dans la mémoire dune partie de la gauche. Au même moment, S. Zizek quant à lui abonde dans le sens de celle par qui le scandale arrive et relève le défi dhonorer saint Robespierre à la face du monde. Le hasard des parutions crée cette étrange confrontation par livres interposés (dans lesprit de ceux qui ont lu leurs livres) entre deux philosophes amateurs de réflexion historique (le heideggerien critique radical des Lumières et le marxiste) sur Robespierre et le sens de la Terreur.
Débat typique de la mémoire française mais au-delà occidentale et mondiale (quon pense au cas russe traité par Tamara Kondratieva dans son Bolchéviques et jacobins), dont on connaît les grands moments, qui sont aussi les rounds dun combat idéologique connaissant des déplacements. Dun côté, la tradition jacobine reprise par le jeune Marx, Jaurès et Mathiez puis une école marxiste, souvent communiste, exaltant la noblesse dintention, la pureté de vie, la simplicité frugale, le projet radicalement démocratique quoique utopique à certains égards de lIncorruptible et de ses amis, et soulignant le caractère circonstanciel mais nécessaire de la Terreur face aux agressions infligées à la jeune République (trahison du roi, guerre civile et invasion étrangère, spéculation et corruption), expliquant enfin la chute de Robespierre par la coalition des pires terroristes (fanatiques sanglants inquiets dêtre purgés), dintérêts bourgeois (inquiets des projets économiques spartiates de Saint-Just et mécontents du Maximum, un blocage des prix et des salaires), tandis que le peuple de Paris (les sans-culottes) inconscient des enjeux de Thermidor (un évènement ambigu sur le coup) et déçu de la politique économique et sociale du Comité de Salut Public, laissait faire.
De lautre, la tradition libérale-conservatrice, héritière dEdmund Burke et de la polémique anglo-saxonne opposant la bonne révolution (modèle britannique de la «Glorieuse Révolution» assez pacifique de 1688) à la mauvaise (modèle français, hyper-violent, interminable cascade, de 1789 à 1875, de renversements armés de régimes avec terreur récurrente) : face à la sagesse anglo-saxonne, à sa conception empiriste du développement graduel et organique de la constitution, à son sens de lenracinement, du particularisme (national et local) et de linégalité naturelle (acceptant une certaine égalité dopportunités et la possibilité dascension pour les talents), mais aussi son sens de léquilibre des pouvoirs et contre-pouvoirs (check & balance), la France fait figure dirréfléchie aux idées folles nées de philosophes délirants (la faute à Rousseau !) et mettant en uvre ces doctrines extrémistes sans se lasser den être punie par Dieu ou la Nature. Théorie providentialiste de Maistre et Cochin du côté catholique-royaliste, reprise et synthétisée avec sa variante libérale thermidorienne chez Benjamin Constant par Tocqueville et entre 1960 et 2000 par Furet. Entre les deux, la synthèse IIIe République, préparée par Hugo (son Quatre-vingt-treize), positiviste (Condorcet, Danton), connaissant vers 1900 un coup de barre radical-socialiste (le «Bloc des gauches» anti-clérical et dreyfusard affirmant après Clemenceau : «la révolution est un bloc»), avant de subir un coup de barre à droite pendant la Guerre froide et au moment de la chute du communisme. Le caractère international du débat est prouvé par les travaux de lAméricain Tackett, qui dailleurs mettait en question les thèses néo-burkiennes sur la violence intrinsèque des jacobins et leur responsabilité dans la dérive terroriste de la Révolution. Citons aussi le colloque de lUniversité de Rouen en 2007.
Zizek sinscrit nettement dans le plaidoyer pour Robespierre et comme toujours chez lui, la meilleure défense est lattaque. Comme il y a près dun siècle Mathiez, il fait léloge des vertus privées et publiques de «lIncorruptible», pratiquant lidéal daurea mediocritas antique et rousseauiste des philosophes de lépoque et mettant ses actes en accord avec ses paroles. Après S. Brunel et N. Wahnich, il honore sa conception de laction publique, le respect de la logique et la recherche de la clarté, le courage de la franchise dans ses discours aux assemblées délibérantes et à ses électeurs, lexigence de conformité des actes (les siens et ceux du pouvoir républicain) aux principes. Prenant le contre-pied des libéraux, Zizek vante cette «vertu» où lon a vu successivement une comédie hypocrite desprit dérangé, de manipulateur ambitieux et jaloux, dhomme du ressentiment (encore à la Rousseau !) ou lincarnation même de la folie meurtrière inhérente à la soif de pureté : or en 1793 comme aujourdhui, cest la tolérance pour les vices de la combine politicarde et de légoïsme «efficace» des affaires que la sagesse libérale, abreuvée au christianisme, présente comme la garantie de la liberté et des «droits de lhomme». À travers le dangereux Robespierre, les adversaires de la démocratie critiquent et caricaturent la souveraineté directe, populaire, dont le populaire député dArras puis de Paris est en lui le héros : héritier de Rousseau, Robespierre sait que toute délégation porte en germe la confiscation du pouvoir par des «représentants» abusant souvent de leur mandat ; de façon emblématique en 1791, en créant le suffrage censitaire ! Robespierre est lun des seuls députés de la Constituante à réclamer le suffrage universel et nul plus que lui ne rappelle ses collègues à lordre à ce sujet : il y a un souverain et cest le peuple. Et ce peuple ne peut être distingué du corps électoral : la division par les «modérés» en «citoyens actifs» (électeurs, eux-mêmes pas tous éligibles !) et «passifs» est un sophisme qui contredit la déclaration des droits de lhomme : être citoyen cest en avoir tous les droits et tous les devoirs.
Ce qui est frappant pour un esprit loyal, cest que la Terreur a toujours été conçue par Robespierre et la Convention comme un mal nécessaire, une politique de salut public imposée par lhostilité dennemis de lintérieur et de lextérieur et non un système de gouvernement («la terreur sans laquelle la vertu est impuissante ; la vertu sans laquelle la terreur est funeste»). Si Maistre voyait en Robespierre le fléau de Dieu pour châtier la France pècheresse (les Lumières libertines et follement utopistes), Louis XVIII reconnaissait à ce même homme qui avait demandé la mort de son frère un rôle positif pour sauver la France de linvasion des puissances européennes : qui peut ignorer que les monarchies voisines voulaient étrangler la république (cette expérience démocratique contagieuse) et dépecer la France à cette occasion ? La dictature de Robespierre nest quun leadership reconnu dans la Convention et le Comité de salut public, et un ensemble de mesures durgence pour maintenir la cohésion nationale et le régime républicain. Quil y ait eu des excès, des «erreurs judiciaires» dues à des procédures expéditives, des crimes commis dans la haine, soit ; mais on idéalise trop les adversaires de lEtat républicain. Certains étaient bel et bien des corrompus narguant les pauvres gens de lépoque, des agioteurs et accapareurs voyant dans la république un cadre formel pour le règne du commerce, des réseaux, du piston, sans parler dagents de lennemi. Quant aux adversaires idéologiques sincères, même à les supposer désintéressés, ils étaient engagés dans une lutte à mort avec le régime («Vieux républicain», Péguy voulait envoyer Jaurès à la guillotine pour trahison pro-allemande et Clemenceau ne tolérait aucune subversion militaire ou civile!). Ce quon reproche à Robespierre, cest dincarner avec tant dhonnêteté la possibilité dun gouvernement républicain dévoué au bien commun et donc si gênant aux intérêts particuliers (qui seuls existent pour le libéralisme).
Pour Zizek, comme pour le jeune Marx, la limite de Robespierre est plus dans un utopisme économique et social antiquisant, que dans son affirmation de la nation, car précurseur du socialisme, Robespierre est à la fois patriote et cosmopolite internationaliste, et cest dans les pauvres et les gens simples du peuple quil voit lhumanité exemplaire sacrifiée dans des guerres absurdes par des élites cupides et cruelles. Si Robespierre sait et dit quon napporte pas la liberté aux peuples opprimés au bout de lépée, il se rallie à la guerre déclarée par les autres quand la république et ses acquis sont menacés, mais avec le rêve de rendre par une politique généreuse les autres nations sensibles aux bienfaits du régime démocratique. La religion civile de lEtre Suprême («un peu ridicule»), procédant de la certitude morale du cur (lathéisme autorise légoïsme et est donc athée, dit Robespierre après Rousseau), scelle pathétiquement lengagement dune vie pour un ordre égalitaire de portée universaliste.
Cette réhabilitation des Montagnards, longtemps jetés aux chiens parce que caricaturés en «terroristes assoiffés de sang» a donc pour enjeu, selon Zizek, rien moins que la défense dune conception radicale de lhumanisme authentique (qui exige la répression des activités anti-sociales) et la démocratie (principe de liberté des peuples organisés et de contrôle de tout ce qui menace la tranquillité des honnêtes gens). LEnnemi, pour Zizek : le Capital mondialisé, dont la logique commerciale anonyme détruit les peuples en se parant des vertus ambigües du libre échange entre individus. Lauteur développe sa démonstration comme toujours en usant librement de ses références habituelles : philosophiques (Marx, Lénine, Mao, Staline, sans souscrire au totalitarisme - sur ce sujet voir son Vous avez dit totalitarisme mais aussi les Foucault, Badiou et Deleuze) et psychanalytiques (Lacan, J.A. Miller).
Robespierre sert de prétexte à une explication avec la théorie et la pratique politique post-moderne : renversant la thèse arendtienne qui présente lEtat comme virtuellement totalitaire, Zizek, en néo-rousseauiste, voit dans lanarcho-libéralisme théorique actuel lidéologie du désengagement de lEtat de léconomique qui à force dindividualisme victimaire détruit toute possibilité de résistance du collectif face à largent et au commerce. Nul doute quil y ait là un débat fondamental. On poursuivra cette réflexion en sappuyant sur la bibliographie proposée, à laquelle on ajoutera deux philosophes kantiens toujours utiles à relire sur ce sujet : le méconnu J.B. Ehrhard, Du droit du peuple à faire la Révolution, et bien sûr LEtat commercial fermé de Fichte. Sans oublier La Sainte Famille de Marx. Reste alors à lire lanthologie des discours du plus grand orateur de la Révolution, avec laide de notes utiles.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 04/04/2008 ) Imprimer
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