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Au cœur de la Renaissance lyonnaise
Raphaële Mouren    Collectif   Quid novi ? - Sébastien Gryphe, à l'occasion du 450e anniversaire de sa mort
Presses de l'Enssib 2008 /  40 € - 262 ffr. / 535 pages
ISBN : 978-2-910227-68-5

L'auteur du compte rendu : Diplômé de l'Ecole nationale des chartes et de l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, Rémi Mathis est conservateur, responsable de la bibliothèque de sciences humaines et sociales Paris-Descartes-CNRS. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne à l'université Paris-Sorbonne sous la direction de Lucien Bély.
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Qui se promène dans les rues des quartiers anciens de Lyon découvre au fil des façades de pierre de très nombreuses plaques qui tentent de rappeler au flâneur l’importance historique de la ville. Parmi elles, bon nombre concernent le XVIe siècle, car la ville des frères Lumière et d’Édouard Herriot fut d’abord une capitale économique et culturelle de la Renaissance française. Confluent des influences germanique et italienne, Lyon est une ville riche, où fleurit le commerce et où se développent les idées nouvelles. Il n’est donc nullement surprenant qu’à mi-chemin entre culture et activités pré-industrielles, Lyon ait été un centre d’imprimerie de première importance – la deuxième ville française par nombre d’éditions et l’un des principaux centres européens. Dans cette activité, des figures surnagent par leur importance et leur influence intellectuelles. Sébastien Gryphe est de celles-là.

Gryphe n’est bien sûr pas un inconnu ; il est reconnu par ses collègues comme l’un des meilleurs imprimeurs de l’époque et les auteurs humanistes le recherchent : quand Conrad Gesner publie ses Pandectes – second volume de la première bibliographie qui ait jamais été –, il décide d’en dédier chaque livre aux meilleurs imprimeurs du temps et Gryphe fait partie du lot (article de Martine Furno). Mais les connaissances sur lui se sont considérablement développées depuis quelques années, rendant nécessaire la réunion de ces travaux afin de faire le point sur les pistes à suivre. C’est pourquoi, profitant du 450e anniversaire de son décès, l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib, installée à Villeurbanne), la Bibliothèque municipale de Lyon et l’École normale supérieure – lettres et sciences humaines (ENS-LSH) ont organisé un colloque international visant à actualiser nos connaissances et ouvrir de nouvelles voies de recherche.

Les travaux des Baudrier sur l’imprimerie à Lyon, puis ceux de Sybille von Gültlingen pour la Bibliotheca Aureliana, sont utilisés comme base de la réflexion mais, au-delà de ces travaux, l’étude de la production de Gryphe pour deux années test montrent encore une fois tout ce que l’ont peut tirer des études de bibliographie matérielle. Les quatre étudiants de l’Enssib qui se sont livrés à cette étude font naître le désir de disposer du même travail pour l’ensemble de la production et pour d’autres époques. Malgré la diversité de la production de Gryphe, il est possible de tirer quelques lignes de force de l’analyse de sa production, et notamment de comprendre l’évolution de sa politique éditoriale dans des champs déterminés, ce que fait A. Laimé pour la poésie latine, qu’elle soit antique ou moderne. Ian Maclean tente de replacer la carrière de Gryphe dans le contexte du paysage de l’imprimerie lyonnaise, en élucidant notamment ses relations avec la puissante «Grande compagnie des libraires de Lyon» pour laquelle il travaille plusieurs années. Ce n’est qu’un peu avant 1536 qu’il se met à travailler pour son propre compte mais, en tant que marchand, échange une partie de sa production contre la leur. Dans tous les cas, en se fondant à la fois sur des correspondances du temps et sur l’étude de la production d’imprimeurs, l’auteur conclut à l’harmonie des relations entre Gryphe et ses confrères.

Ce n’est toutefois pas toujours le cas avec les auteurs qu’il publie. William Kemp tente de comprendre quelle était la place d’Érasme à Lyon avant que Gryphe imprime pour son propre compte et comment ce dernier a pu acquérir la place éminente qui est la sienne dans la bibliographie érasmienne par le nombre et la qualité des éditions qu’il a données en 1528-1529. Car par sa place éminente sur la place de Lyon et, au-delà, parmi les principaux imprimeurs du temps, Gryphe a pu nouer des relations privilégiées avec des humanistes de premier plan.

Jean-François Vallée s’interroge sur les relations de l’imprimeur avec Étienne Dolet, dont le caractère marqué entraîne des relations difficiles avec la plupart de ses amis. À peine libéré des geôles toulousaines où il croupissait, en 1534, Dolet se rend à Lyon et rencontre Gryphe, qui publie plusieurs de ses livres. Gryphe semble également imprimer certains des premiers livres publiés avec la marque de Dolet. Ce dernier semble cependant bien vite (certainement dès l’été 1538) se brouiller avec l’imprimeur lyonnais – mais avec qui Dolet ne s’est-il pas brouillé ? – comme le montre un examen attentif de plusieurs ouvrages, notamment de Marot, publiés successivement par les deux hommes avec de significatives modifications. Les relations avec Rabelais sont heureusement plus apaisées (article de Mme Huchon-Rieu) : à l’exception de ses œuvres de fiction et des almanachs, Gryphe publie toutes les œuvres de celui qui officiait alors comme médecin à l’Hôtel-Dieu de Lyon, notamment des éditions critiques d’Hippocrate et de Gallien et il semble que Rabelais ait joué un certain rôle dans le choix des œuvres françaises imprimées par Gryphe pendant la décennie 1530. L’importance de Gryphe est telle qu’un florentin tel que Piero Vettori va faire éditer chez lui certaines de ses œuvres (R. Mouren).

Les livres qu’il publie possèdent ainsi une influence forte sur la culture des élites de la Renaissance française. Il contribue ainsi à faire connaître d’importants penseurs italiens du temps (Ugo Rozzo) et Lyse Schwarzfuchs rappelle qu’il fut le premier en France à publier un texte biblique entièrement en hébreu. L’imprimeur, qui a publié 46 éditions en hébreu dont des dictionnaires et des méthodes, a ainsi largement aidé à la diffusion de la connaissance de cette langue, notamment chez les érudits et théologiens français. Au fil des études sont également soulignées son importance dans la diffusion des œuvres de Tacite (W. Kemp) ou l’influence de ses éditions dans la manière dont les écrits de Savonarole sont reçus en France, en lien avec la Réforme protestante (Stefano Dall’Aglio).

Le souvenir et l’influence post mortem de l’éditeur ne sont pas oubliés puisque deux contributions étudient la place des éditions de Gryphius dans les collections d’un amateur bolonais de la fin du XVIIIe siècle (S. Renaudin) et des bibliophiles lyonnais du XIXe s. (Y. Jocteur Montrozier).

À bien des égards, les actes de ce colloque sont novateurs. Se plaçant au carrefours d’approches culturelles, économiques et sociales, ne négligeant ni les sources primaires ni la bibliographie matérielle, ils apportent beaucoup sur des sujets que l’on peut croire bien balisés – tels que l’influence de Rabelais sur l’atelier – et en précisent d’autres – comme les rapports de Gryphe avec l’Italie. Les stratégies éditoriales et la diffusion des livres comme objets ne sont pas oubliées, même si l’on aimerait en savoir plus sur ses réseaux et certains aspects financiers de son activité. Il remplit par là parfaitement son rôle, qui est à la fois de conclure (provisoirement) certains dossiers en apportant des réponses précises et d’en ouvrir d’autres, et confirme toute l’importance du centre lyonnais dans la production et la diffusion des textes de la Renaissance.


Rémi Mathis
( Mis en ligne le 02/09/2008 )
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