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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Orient compliqué et idées simples
Hartmut O. Rotermund   Claude Markovits   Thê Anh Nguyen   Alain Delissen   François Gipouloux   L'Asie orientale et méridionale aux XIXe et XXe siècles - Chine, Corée, Japon, Asie du Sud-Est, Inde
PUF - Nouvelle clio 1999 /  44.27 € - 289.97 ffr. / 546 pages
ISBN : 2-13-049978-3
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Quel lecteur des Mémoires de guerre n'a remarqué cette très gaullienne sentence : "vers l'Orient compliqué je volais avec des idées simples" ? La tranquillité toute militaire de l'assertion peut faire sourire. Mais les choses ont-elle beaucoup changé ? C'est d'un Orient toujours compliqué, ou du moins de la portion qui nous demeure la plus puissamment étrangère, qu'il est question dans L'Asie orientale et méridionale aux XIXe et XXe siècles. Pour initier le lecteur occidental à cet autre monde, les Presses universitaires de France lui offrent un gros volume, doté d'une considérable bibliographie (à dominante anglo-saxonne), d'une riche chronologie, de plusieurs cartes et d'un index consistant des noms, des lieux et des matières.

Seuls ces outils de recherche ont fait l'objet d'une mise en facteur commun. Pour le reste, le livre rassemble cinq études indépendantes et de proportions identiques, consacrées respectivement à la Chine, à la Corée, au Japon à l'Asie du Sud-Est et à l'Inde, chacune due à des plumes différentes.

Oeuvre de M. François Gipouloux, la première de ces études est la moins convaincante. L'auteur affronte des problématiques bien connues : la crise de l'Empire chinois tint-elle à des facteurs endogènes ou exogènes ? La modernisation se fit-elle sous la seule contrainte extérieure ? Rejetant la théorie peyrefittienne de l'"Empire immobile", M. Gipouloux se révèle incapable de lui substituer un modèle explicatif cohérent. Le propos est encombré de trop nombreuses références à des études spécialisées et souffre de l'absence d'une démonstration personnelle. Sans doute l'auteur a-t-il quelques excuses. La difficulté d'accès aux sources primaires n'est pas la moindre. Mais enfin il faut prendre un parti, d'être compilateur ou d'être historien. Les réponses de Normand se substituant toujours à la synthèse (exemple caricatural p. 81), on sort de cette longue étude, sans une certitude de plus. Quelques imprécisions desservent la cohérence du propos: le changement de cours du Fleuve Jaune, situé en 1852 par le récit (p. 10), l'est en 1855 par la chronologie (p. CLXIV) !

Retracée par M. Alain Delissen, l'histoire de la Corée est plus intéressante. Ancienne vassale de la Chine, la Corée tombe en effet sous la domination japonaise entre 1895 et 1945. Elle offre un cas unique de colonisation exercée par un dominateur non européen. L'auteur avoue, lui aussi, son impuissance à rendre compte de l'histoire de la Corée du Nord (p.211) et les raisons de la modernisation de la Corée lui demeurent "largement mystérieuses" (p. 175).

La contribution de M. Hartmut Rotermund, consacrée au Japon, n'est guère plus satisfaisante. Cet auteur se montre également incapable d'élucider les causes du décollage japonais du XIXe siècle (p. 250-260). On note, là aussi, des approximations pour le moins étonnantes dans un ouvrage spécialisé. La ville hollandaise de La Haye est appelée "La Hague". Le Shandong semble être pris pour une ville (p. 270 ). Le problème des îles Kouriles est mal exposé (p. 297), etc.

Des différents auteurs, M. Nguyen Thê Ang, qui traite de l'Asie du Sud-Est, a sans doute le mieux tenu la gageure. Paradoxalement, le sujet imposait regroupements et comparaisons. Si l'auteur présente bien la subdivision de sa "région" en deux aires géographiques bien différenciées, la péninsule indochinoise d'un côté, le monde insulaire malais de l'autre, il manque au lecteur non averti un tableau plus net de la distinction entre monde indianisé et monde sinisé. L'équilibre entre l'événementiel et le thématique est cependant plus satisfaisant que dans les études précédentes.

Consacrée à l'Inde, la dernière étude, oeuvre de M. Claude Markovits, donne au lecteur matière à d'amples réflexions. L'auteur retrace avec beaucoup de clarté l'expansion, effectuée sans vraie idée directrice, de l'Empire des Indes et le rôle particulier de l'Inde, coeur et pivot de l'Empire britannique, réservoir de soldats et de travailleurs pour les autres colonies de Britannia. S'il expose les différents points de vue, M. Markovits se risque à proposer ses propres réponses et son propos gagne ainsi en cohérence.

La grande faiblesse de l'ouvrage est d'être une juxtaposition d'études et non le résultat d'un travail d'équipe. Ce travail d'équipe est-il possible ? Est-il souhaitable ? La recherche historique demeure, il est vrai, une aventure essentiellement individuelle. Proclamée dans l'avant-propos, la totale liberté des différents auteurs ne va pas pourtant sans graves inconvénients.

Le plus frappant est l'absence de vues globales. La géo-politique fait ici cruellement défaut : rien sur les interactions entre Inde et Chine - la guerre sino-indienne de 1962, citée dans la chronologie, n'est pas évoquée dans le texte - rien sur la guerre sino-vietnamienne de 1979, rien ou presque rien sur le Tibet, le Sin-Kiang, le Népal et, en général, sur les régions himalayennes. Pour les époques antérieures, le Great Game, opposant Russie et Angleterre, est à peine effleuré.

L'erreur première a sans doute été de donner une importance équivalente à des entités d'importance inégale. Un pays comme la Chine ne peut être traité sur un pied d'égalité avec la Corée, le Vietnam ou même le Japon. Depuis l'origine des temps, la première est une puissance mondiale, que sa taille, sa population, sa civilisation mettent hors de pair. C'est d'elle que ses voisins tiennent une grande part de leur religion, de leur culture et de leurs traditions politiques. De la même manière, l'Inde est davantage un monde qu'un pays. Les cadres étatiques présents ne rendent pas compte de ces équilibres pérennes. D'autres partis pris sont tout aussi critiquables. Pourquoi mettre en exergue la Corée plutôt que le Vietnam ?

Plus généralement, l'ouvrage est exemplaire d'un mal qui touche l'école contemporanéiste française dans son ensemble, à savoir le manque de profondeur de champ. En limitant l'enquête aux deux derniers siècles de l'histoire, on se condamne à ignorer les grands mouvements géopolitiques, culturels et religieux dont le rythme est millénaire. Sans notions générales sur ce que sont le bouddhisme, le confucianisme, l'hindouisme, le taoïsme, le shintô, le récit des convulsions survenues en Orient depuis deux cent ans n'a pas grand sens. On voit aussi combien est néfaste le refus de considérer peuples et nations comme des acteurs de l'histoire, combien les théories marxistes ou libérales sont impuissantes à rendre compte de ces mondes lointains.

Ce livre peut donc être un outil de consultation utile sur des questions ponctuelles. Mais en aucun cas il ne peut être l'instrument d'une première approche ou l'ouvrage de référence sur les grands sujets qu'il aborde. Pour des idées simples sur l'Orient compliqué, on relira, faute de mieux, Tintin et le Lotus bleu...


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 09/03/2000 )
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