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Alter résistance ?
Bénédicte Vergez-Chaignon   Les Vichysto-résistants - De 1940 à nos jours
Perrin 2008 /  27 € - 176.85 ffr. / 773 pages
ISBN : 978-2-262-01993-8
FORMAT : 15,5cm x 24cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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Il y a eu l’ouvrage de Pierre Péan (1994) et «l’affaire Mitterrand»… La France «découvrait» (ou plutôt affectait de découvrir) que les trajectoires de certains hommes politiques n’avaient pas été, durant la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation, aussi rectilignes qu’on l’aurait voulu, et que nombreux furent ceux qui, un temps, crurent en Pétain. Dans la foulée, les cas Frenay (cf. la biographie de référence de R. Belot), de Lattre, Juin, Bénouville… revenaient sur le devant de la scène, imposant une relecture du phénomène résistant sur le mode de la complexité et de la nuance, loin d’une perception simpliste (genre : collabo ou résistant) des attitudes engagées durant la guerre.

Spécialiste de la période (on lui doit une biographie du docteur Ménétrel et d’excellents ouvrages sur la Résistance – Les Résistants, histoire de ceux qui refusèrent -, l’épuration – Vichy en prison – ou encore la vie quotidienne durant le conflit – Les Français au quotidien), Bénédicte Vergez-Chaignon a depuis quelque temps fait la démonstration d’une plume tout à la fois érudite, didactique et agréable à lire. Bref, une historienne accomplie, généralement bien entourée, et dont on guette les ouvrages.

Et avec ces Vichysto-résistants, on revient au conflit, à l’Etat français et à ses perplexités. Certes, l’ouvrage ne se veut pas une bombe historiographique ou une cascade de révélations, mais plutôt une synthèse sur une famille intellectuelle (ou politique) en temps de guerre et d’après guerre. Une synthèse d’autant plus bienvenue que la question demeure complexe, pour ne pas dire ambiguë aux yeux du grand public. Sans parler de tabou (pour le coup, ce passé-là est en train de passer), on remarque que la geste de la France libre a tendance à accaparer les attentions et les curiosités. Mais B. Vergez-Chaignon fait la démonstration qu’il y eut, aux marges de Vichy et de la résistance, des courants significatifs.

Le problème posé par l’ouvrage est simple : peut-on être tout à la fois pétainiste et résistant ? Pouvait-on s’opposer à l’Allemagne tout en militant pour la «révolution nationale» ? Peut-on être avec Pétain et contre Hitler ? C’est l’histoire d’une conjonction qui semble improbable en 2008, mais évidente en 1940, celle du nationalisme d’extrême droite (antiparlementaire, antisémite, anticommuniste…) et de la résistance. Si la défaite fut pour certains une «divine surprise», selon le mot de Ch. Maurras, elle demeurait une défaite contre un ennemi réputé héréditaire (depuis 1870 et 1914-1918), d’où, dans les milieux ultranationalistes français (et généralement au sein de l’armée), des attitudes mêlant maréchalisme et résistance.

Car – et c’est l’un des acquis de la démonstration de B. Vergez-Chaignon - la démarche de ces vichysto-résistants retrouve une certaine cohérence : partageant une commune méfiance à l’égard de de Gaulle (qualifié, au mieux, d’exalté et de déserteur et condamné à mort par contumace) et Londres (forcément envahie - au choix - par les maçons, les juifs ou les radicaux…), ainsi qu’une forme de confiance aveugle envers «le maréchal» (celui de 1918 s’entend), ces hommes entendent profiter de la défaite pour rénover la France, revenir sur les acquis de 1789 et préparer la revanche contre l’occupant (une revanche qui passe toutefois par une victoire anglaise…). Les moyens toutefois différent : certains choisissent effectivement une action clandestine sur le terrain, hors des réseaux gaullistes (le héraut de ce courant sera le général Giraud, largement soutenu par les États-unis) quand d’autres privilégient le service du maréchal, grenouillant dans des postures ambiguës (pour le coup) avec l’occupant, jusqu’à la chasse aux résistants, perçus comme autant d’obstacles au redressement. Un spectre large d’attitudes et de représentations, au crible d’une idéologie protéiforme… Mais au final, combien d’Henri Frenay ? Les adversaires de la république et autres comploteurs des années 30, cagoulards en tête, sont là comme des poissons dans l’eau, jouant à la résistance plutôt qu’ils n’en font.

L’ouvrage se présente un peu comme une galerie de portraits, et autant de destins compliqués : quelques figures emblématiques dominent (les Frenay, Giraud, Dunoyer de Segonzac, La Laurencie…), mais on croise aussi nombre de seconds couteaux, cagoulards impénitents que la défaite révulse autant qu’elle inspire. Tous ont des projets, des idées plus ou moins abouties : si le colonel Mollard, à la tête du CDM, entreprend de réarmer clandestinement la France, si à Uriage, on prépare les futures élites à cette hypothétique revanche, les velléités d’un Loustaunau-Lacau (qui se perçoit comme le chef d’un immense réseau anti-allemand, trait d’union entre Londres et Pétain) relèvent plutôt du rêve éveillé. L’option vichysto-résistante n’est d’ailleurs pas écartée à Londres, où, dans le cadre de l’opération Mercure, on envisage même un temps la main tendue et une résistance conjointe. Mais la politique de collaboration «loyale» menée par Pétain, l’échec de l’affaire Laval, puis les chocs de 1942 (l’invasion de la zone libre) de 1944 (quel parti choisir quand les Alliés ont effectivement débarqués ?) éclairent bien des consciences… et en égarent d’autres. La confusion entre le national et le politique aveugle durablement nombre de ces vichysto-résistants.

L’autre enjeu de cet ouvrage réside dans l’après guerre, pour des hommes souvent convaincus d’avoir servi la patrie et d’être demeurés incompris : autour du thème de l’épée de Gaulle et du bouclier Pétain, les vichysto-résistants, nouveaux martyrs autoproclamés se réorganisent et retrouvent des repères (presse, association, grands combats judiciaires ou médiatiques autour de la réhabilitation…) jusqu’à l’Algérie française, autre «divine surprise» pour des hommes qui sont en quête du «bon» combat, et de la résistance légitime. Cet après guerre, de plus en plus étudié (notamment dans l’ouvrage de J. Cotillon, qui parle lui de «maréchalo-résistants», tant la figure centrale demeure celle de Pétain… mais les deux ouvrages se complètent, l’un explorant les réseaux pétainistes quand l’autre s’attarde sur la mémoire et l’identité politique), est de nouveau questionné au prisme pétainiste. Un après guerre qui se prolonge jusqu’en 1968 (et sa contestation antigaulliste : vichystes, trotskystes, même combat ?) et pose les questions de mémoire, plus classiques du fait des travaux de référence d’Henri Rousso, (le cas Mitterrand faisant toujours figure d’idéal-type, jusqu’au récent téléfilm diffusé en 2008).

Retraçant avec finesse les parcours et les paysages mentaux des uns et des autres, B. Vergez-Chaignon livre ici une histoire de la résistance à l’échelle des individus et à la mode vichyssoise, mais surtout, elle livre le tableau d’une famille politique confrontée à la défaite et aux choix qui s’ensuivirent, choix cornéliens entre le politique et la patrie. Étayé par de vastes dépouillements d’archives, nanti d’un index et de nombreuses références bibliographiques, l’ouvrage fait le point sur une question et sur un domaine historique complexes. Une lecture qui vient, après d’autres, confirmer l’intérêt de cette approche autant que le talent d’exposition de l’auteur.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 21/10/2008 )
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