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Un savant dans l'Affaire Dreyfus
Ursula Bähler   Gaston Paris dreyfusard. Le savant dans la cité
CNRS éditions 1999 /  21.37 € - 139.97 ffr. / 226 pages
ISBN : 2-271-05699-3
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La dernière décennie du XXe siècle aura été marquée par un renouvellement profond des études consacrées à l'Affaire Dreyfus. Un des apports non négligeables des nouveaux travaux et de documents inédits mis au jour à cette occasion aura été de sortir d'une vision manichéenne des engagements, longtemps sommairement partagés entre dreyfusards et antidreyfusards. Il est ainsi apparu que ces termes figés recouvraient des réalités parfois plus complexes recelant de très riches nuances. A cet égard, la publication de documents - correspondances ou journaux personnels qui constituent des sources fondamentales en histoire culturelle - est extrêmement précieuse. Dans la perspective de sortir d'une vision binaire des prises de position sur les seuls critères de la cause d'Alfred Dreyfus, divers travaux - d'ailleurs trop rarement repris de manière synthétique - mettent l'accent sur les modes d'engagement par type d'activité ou par milieu socio-professionnel : Christophe Charle s'est ainsi penché sur les intellectuels et sur les universitaires, Vincent Duclert prépare une thèse de référence sur les savants et d'autres chercheurs se sont penchés sur la magistrature, sur la noblesse et sur la police ou encore sur l'armée.

C'est au croisement de ces nouvelles approches que se situe le travail d'Ursula Bähler, exposé dans un ouvrage intéressant mais desservi par sa forme curieuse. En dépit du titre, ce livre est en effet une édition critique de la correspondance active de Gaston Paris (1839-1903) pendant l'Affaire Dreyfus. Celui-ci, ancien élève de l'Ecole des Chartes, enseignait alors la philologie romane à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes ainsi qu'au Collège de France et il était membre de l'Académie française depuis 1896. De sensibilité politique libérale et conservatrice, il réagit avec mesure et prudence tout au long de l'Affaire, analysant avec le regard du savant les événements judiciaires et politiques.

La première prise de position publique, tardive, date du 30 août 1898, dans une lettre ouverte au directeur du Journal des Débats, dans laquelle Gaston Paris mentionnait son attitude favorable à la révision. Auparavant, il avait refusé à maintes reprises de s'engager publiquement et de mettre son autorité sociale et morale au profit de la cause dreyfusarde. Après août 1898, il demeura extrêmement prudent. Dans plusieurs lettres, il manifeste son hostilité aux manifestations de nombreux dreyfusards libéraux ou socialistes. La crainte de se voir disqualifié par un "compagnonnage" (Daniel Halévy) avec des dreyfusards d'autres sensibilités politiques que lui, privilégiant des formes d'action publiques, joua un rôle important dans la réserve qui fut la sienne.

Par la suite, il marqua son appui à la lettre ouverte de Gabriel Monod parue dans le Siècle le 28 novembre 1898 afin d'appuyer la cause du colonel Picquart, mais G. Paris refusa de témoigner au procès de Picquart comme témoin de moralité. L'engagement se fit plus net en 1899, tout en demeurant prudent. Dans une lettre à Albert Sorel parue dans le Figaro le 3 janvier 1899, Gaston Paris affirma son hostilité à la récente Ligue de la Patrie Française et Ursula Bähler nous apprend qu'il fut, avec son confrère du quai Conti, Ernest Lavisse, un des agents de "l'Appel à l'Union" paru dans le Temps le 24 janvier 1899. Cette pétition, longtemps méconnue par les historiens de l'Affaire, avait pour ambition de regrouper des dreyfusards libéraux affirmant à la fois leur considération pour des institutions et pour des corps constitués ainsi que leur respect à l'égard du verdict à venir de la Cour de Cassation. A l'image précisément de Lavisse, dont Léon Blum écrivit plus tard qu'il fut un dreyfusard du "for intérieur", Gaston Paris fut indéniablement dreyfusard mais extrêmement réticent à l'affirmer clairement et publiquement.

L'auteur a souhaité montrer la façon dont Gaston Paris illustrait l'attitude des savants lors de l'Affaire. De ce point de vue, l'ouvrage est pleinement réussi et les documents choisis montrent que l'engagement des savants ne se superposa pas toujours - loin s'en faut - à celui des intellectuels. Certes, des contre-exemples existent à l'instar d'Emile Duclaux, éminent successeur de Pasteur qui réagit face à l'Affaire en tant que savant tout en utilisant des modes d'action et de mobilisation propres aux intellectuels. Après le Procès de Rennes, la poursuite de l'engagement civique de Duclaux montre d'ailleurs qu'il devint à proprement parler un intellectuel tout en conservant une attitude de savant. La thèse attendue de Vincent Duclert permettra d'ailleurs de savoir si Gaston Paris et Emile Duclaux ont incarné des attitudes isolées ou non et de mieux comprendre les relations entre engagement savant et engagement intellectuel.

Si le projet de l'auteur avait été uniquement d'effectuer une publication de documents, l'attente du lecteur aurait ainsi été pleinement satisfaite. Mais tel n'est pas le cas et l'intention louable d'Ursula Bähler était en fait de proposer comme l'indique le titre, plus qu'un document annoté, un véritable ouvrage sur "le savant dans la cité". Le lecteur remarquera que l'auteur qui s'intéresse à l'histoire de la philologie a utilisé des méthodes curieuses de composition. Une cinquantaine de lettres de G. Paris sont reproduites (du 13 novembre 1897 au 29 octobre 1899), mais la plupart d'entre elles sont tronquées. Les formules de politesse et les préambules de ces documents ont été reproduits mais aucune explication ne permet de comprendre les raisons des coupes faites dans les lettres. Il apparaît rapidement que tous les passages ne relevant pas de l'évocation de l'affaire Dreyfus ont été supprimés. Ce choix est regrettable car il introduit une grave distorsion dans l'analyse que l'on peut faire de l'attitude de Gaston Paris. Ces coupures indiquent précisément que G. Paris n'était pas uniquement préoccupé par l'Affaire Dreyfus et cette nuance est d'autant plus importante dans le cas du philologue que son attitude fut extrêmement modérée.

On regrettera enfin la présentation générale de l'ouvrage où ces fragments de correspondance s'intercalent entre des présentations de chaque lettre résumant le contenu du document qui suit. Ces indications auraient plutôt trouvé leur place en note afin de ne pas gêner la lecture. D'autre part, Ursula Bähler a séparé, en les mettant en "annexes", les lettres reçues par G. Paris: il aurait été plus judicieux de regrouper la correspondance active et passive dans l'ordre chronologique sans les scinder. Ces documents loin d'être annexes, permettent de comprendre les réponses de Gaston Paris. On trouvera quelques maladresses dues à l'emploi de formules un peu rapides: Maurice Bouchor transformé en "littérateur", Clemenceau identifié comme "le tigre", Eugène d'Eichtal comme un "bel esprit". Elie Halévy, philosophe de formation n'était pas à l'Ecole libre des sciences politiques "professeur de philosophie", matière qui n'y a jamais été enseignée.

Si l'attitude du savant ressort très nettement dans les réflexions personnelles de Gaston Paris sur le comportement des "experts" cités par l'état-major et les tribunaux, on regrettera que l'auteur n'ait pas poussé plus loin l'analyse du milieu libéral entourant G. Paris à l'Académie ou au Collège de France. Dans une étude pionnière (" Zola, repoussoir ? Les intellectuels libéraux et le refus du dreyfusisme ", Les cahiers naturalistes, 1980, n° 54), Gilles Le Béguec avait montré les hésitations des libéraux dans l'Affaire, d'abord circonspects puis se divisant finalement en décembre 1898 et en janvier 1899 lors de la constitution de la Ligue de la Patrie Française et du lancement de l'Appel à l'Union. Peut-être de nombreux documents annexes consultés par l'auteur auraient-ils permis de comprendre la cohérence entre l'absence de prise de position de Gaston Paris, et celle de certains de ses amis comme Emile Boutmy et Sully-Prudhomme et de proposer une analyse socio-culturelle d'un milieu encore peu connu. Il y a là un milieu sur lequel abondent les sources manuscrites et qui est évoqué par certains textes publiés comme l'Apologie pour notre passé (1910) de Daniel Halévy. L'ouvrage d'Ursula Bähler demeure néanmoins une première contribution sur les libéraux dans l'Affaire Dreyfus dont l'histoire reste encore à écrire.


Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 10/02/2000 )
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