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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Victime des circonstances
Didier Callabre   Gilles Vauclair   Le Fusillé innocent - La réhabilitation de l'artilleur Eugène Bouret, 1914-1917
Autrement - Mémoires 2008 /  20 € - 131 ffr. / 219 pages
ISBN : 978-2-7467-1201-0
FORMAT : 15cm x 23cm

L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Strasbourg.
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Depuis une vingtaine d’années l’image que le grand public se fait de la Grande Guerre – pour laquelle sont intérêt ne faiblit pas – se limite à quelques clichés entretenus par la littérature (Un long dimanche de fiançailles de Sébastien Japrisot), les bandes dessinées de Jacques Tardi ou le cinéma (Joyeux Noël de Christian Carion). L’époque des héros est bel et bien révolue, et depuis longtemps : ils ont été remplacés par des victimes. Le schéma libertaire, qui correspond bien au fond égalitariste de la société française, s’est imposé : les poilus n’étaient qu’un «troupeau» apeuré de «pauv’ types» envoyés à la «boucherie» par des embusqués qui «s’en sont mis plein les poches», les «marchands de canons», les «quatre cents familles».

Comment ces «gros» ont-ils pu obtenir de la grande masse de la population masculine qu’elle consente au «sacrifice suprême» ? Par la contrainte, bien sûr ! Dont les exécutions constituent la plus éclatante illustration, répondent les tenants de cette vision du conflit. D’autres historiens, eux, préfèrent parler d’une «culture de guerre», qui aurait enrobé toute la société et aurait conduit à un consentement quasi-général des combattants et de l’arrière à la lutte en cours. Les exécutions sont alors considérées comme un phénomène marginal, d’ailleurs présent dans toutes les guerres. Enfin, quelques chercheurs qui se situent hors des diverses écoles essaient de trouver une voie médiane, de se placer entre «contrainte» et «consentement», d’emprunter le chemin du bon sens en somme : oui, la discipline a forcément joué un grand rôle entre 1914 et 1918 ; mais, elle ne peut expliquer à elle seule la ténacité des soldats des tranchées, dont il faut bien admettre que – pour des raisons qui, certes, échappent parfois aujourd’hui à notre entendement – ils croyaient au sens de leur combat. François Cochet, professeur à l’université de Metz, se situe sur cette ligne.

C’est dans ce contexte que paraît le livre de Didier Callabre et de Gilles Vauclair, qui raconte l’histoire tragique du vigneron bourguignon Eugène Bouret. On peut regretter la forme du récit, qui emprunte au genre du «journalisme de proximité» en privant souvent le principal personnage de son nom de famille : Eugène Bouret, l’artilleur Eugène Bouret, n’est plus qu’«Eugène». Dans le même ordre d’idées - ce qui est petit étant mignon -, toutes les localités deviennent (comme chez Jean-Pierre Pernault) des «villages», ainsi ces deux respectables chefs-lieux d’arrondissement de Meurthe-et-Moselle, Blâmont et Cirey-sur-Vesouze. Enfin la narration s’inspire des «docus fiction», entremêlant les faits tirés du journal de marche du régiment, des pièces du conseil de guerre, et des dialogues et anecdotes inventés.

Ceci étant dit, le traitement de fond du sujet est très rigoureux. Les auteurs procèdent à une reconstitution minutieuse du parcours d’Eugène Bouret, âgé de 27 ans. Choqué par un obus au cours des terribles journées de la retraite qui suit les défaites françaises des batailles des frontières, Bouret a semble-t-il perdu la tête et a quitté l’infirmerie où il était soigné pour errer pendant plusieurs jours loin de sa batterie, alors engagée sur le front. Enfin arrêté, il est jugé pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Comme le fait remarquer dans la préface de ce livre le général André Bach, auteur en 2003 de Fusillés pour l’exemple, 1914-1915 (un ouvrage de référence sur le sujet avec celui de Nicolas Offenstadt, Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective, 2e édition en 2002) le syndrome du Shell Shock n’était pas encore connu à l’époque, et encore moins reconnu. Mais peut-on écarter complètement l’hypothèse que Bouret ait sciemment omis de rejoindre ses camarades ? Nous n’en saurons jamais rien. Quand bien même ce serait le cas, il ne serait que l’une des centaines de milliers de victimes de cette découverte du «feu» qui surprit tant les soldats d’août 1914. Aveuglés par les théories d’offensive à tout crin, «hypnotisés» par les exercices et les manœuvres où la mort n’était que simulée, les généraux comme les hommes se rendent subitement compte des effroyables effets des armes modernes : canons allemands de 177, mitrailleuses, fusils à répétition. Ce choc provoque des paniques, des reflux en désordre, des automutilations…

Confronté à cette situation, le haut commandement doit réagir. La plupart des fusillés de la Grande Guerre le sont au cours de cette période qui va d’août 1914 au printemps de 1915, et non pas en 1917 comme la mémoire collective l’a retenu. N’en déplaise à Tardi, ces exécutions ne sont pas seulement ordonnées par des brutes étoilées bien pensantes qui signent l’arrêt de mort de leurs hommes au sortir de la messe, mais aussi par d’authentiques hommes de gauche, à l’image du général Dubail, anticlérical et franc-maçon, commandant de cette 1ère armée à laquelle appartient Eugène Bouret. L’inspiration vient d’ailleurs de plus haut, puisqu’en France ce sont les hommes politiques qui commandent : le ministre de la Guerre, Adolphe Messimy, radical pur jus et "bouffeur de curé" impénitent, télégraphie le 24 août 1914 au général Joffre : «Je reçois votre télégramme signalant des défaillances. Contre celles-ci, il n'y a pas d'autre peine que la mise à mort immédiate : les premiers frappés doivent être les officiers coupables, s’il en est. La seule loi de la France, à l'heure actuelle, est : vaincre ou mourir». Ainsi que le font remarquer Didier Callabre et Gilles Vauclair, la tradition de l’élimination physique est solidement établie dans la démocratie française : les Ire, IIe et IIIe Républiques n’ont pas été avares de sang, des «journées de septembre» (1792) et de la Terreur (1793-1794) jusqu’à la répression de la Commune (1871), en passant par les massacres de juin 1848. Moins de dix ans avant la Grande Guerre, le «progressiste» Georges Clemenceau traite les grèves ouvrières et la grande jacquerie des viticulteurs du Midi à coups de sabre et de fusil.

L’épilogue de la triste histoire d’Eugène Bouret ne peut toutefois que nous rassurer : même en temps de guerre, force est restée à la loi. Sa réhabilitation à l’été de 1917, en pleine «année trouble», montre la permanence de l’État de droit dans une France en guerre où les élus et les magistrats gardent la main. Même dans une période critique où l’on aurait pu croire que le maintien de «l’autorité de la chose jugée» s’imposait pour ne pas entamer la confiance que le pays avait placée dans les dirigeants de son armée et dans ses ministres, justice a été rendue. Victime des circonstances, le jeune artilleur Bouret a payé en septembre 1914 une partie du prix sans doute nécessaire pour maintenir la cohésion de l’immense ensemble qui remportait presque au même moment, de manière totalement inattendue, la bataille de la Marne. En 1917, les décisions des hommes ne le concernaient plus, certes, mais sa famille pouvait affronter ses voisins et la société en général sans plus baisser la tête.

Faut-il alors réintégrer en bloc les mutins dans la mémoire collective, comme le préconisait Lionel Jospin en 1998, suivi – de manière plus nuancée - par Nicolas Sarkozy en 2008 ? La question ne se pose plus guère car de nombreuses réhabilitations, comme celle de Bouret, ont eu lieu pendant la Guerre elle-même ou dans les années vingt. Sans doute quelques malheureux ont-ils été oubliés et un examen des dossiers au cas par cas pourrait réparer encore quelques injustices. Mais il révélera aussi, et c’est une vérité qu’il faudra entendre, l’existence de véritables traîtres, de lâches dont la fuite a causé la mort de leurs camarades, d’assassins, de violeurs, de voleurs. L’opinion publique est-elle prête à ce travail de discernement ou préfère-t-elle conserver ses confortables certitudes, même erronées ?


Jean-Noël Grandhomme
( Mis en ligne le 17/02/2009 )
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A lire également sur parutions.com:
  • Les fusillés de la Grande Guerre
       de Nicolas Offenstadt
  • Fusillés pour l'exemple
       de André Bach
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