Cécile Desprairies Paris dans la collaboration Seuil 2009 / 20 € - 131 ffr. / 648 pages ISBN : 978-2-02-097646-6 FORMAT : 15,5cm x 24cm
Préface de Serge Klarsfeld. Imprimer
De 1940 à 1944, la Ville-Lumière connut un long couvre-feu et dut se plier à vivre à lheure nazie. Elle se vit également dépossédée de ses atours : dinnombrables immeubles, privés ou publics, furent en effet confisqués par loccupant afin dabriter les institutions administratives, économiques, politiques, militaires ou culturelles.
Cécile Desprairies sest attachée à une tâche titanesque en entreprenant de cataloguer exhaustivement les adresses où sétaient installées les autorités du Reich et les instances de la collaboration. En sappuyant notamment sur la consultation scrupuleuse darchives, la chercheuse a passé au peigne fin les vingt arrondissements de cette capitale dont on la devine aussi connaisseuse quamoureuse. Cest une tout autre manière dy déambuler que dapprendre que, derrière des façades aujourdhui muettes ou anodines, survinrent des événements qui décidèrent des tournants de lHistoire ou en ponctuèrent le sombre quotidien.
Qui se souvient encore où eut lieu la sordide exposition «Le Juif et la France» ou celle du sculpteur Arno Breker ? Et dans quel hôtel se tinrent les «déjeuners de la trahison» des comploteurs contre Hitler ? Où logèrent le couple Morand, Jean Cocteau ou Emmanuel Berl ? Dans quelle rue était sis tel bordell autorisé que fréquentait assidûment Drieu la Rochelle ? Le moindre endroit est fiché avec une minutie de philologue, des restaurants aux librairies, des cinémas aux écoles, des sièges de partis aux bureaux de rédaction des grands journaux. Desprairies a adopté une présentation dune lisibilité irréprochable.
Chaque bâtiment ou maison comporte un bref descriptif architectural et historique. Suit lindication de ce à quoi elle a été affectée (ministère, services de la Kommandantur, entrepôt, cour de justice, hygiène, plaisir, etc.), quels faits tragiques ou anecdotiques sy sont produits, etc. Parfois, une notice informative apporte un éclairage nécessaire au profane sur lorgane se cachant derrière un obscur acronyme ou sur la véracité de certaines données. Desprairies rappelle par exemple que le procès de la bande Manouchian (les résistants de «LAffiche rouge») se déroula à lHôtel continental et non à la Maison de la Chimie, comme on le croit en général.
Attraits supplémentaires, insufflant vie et consistance à cet ouvrage qui pourrait sans cela se résumer à une sèche énumération. Dune part, les nombreux propos rapportés, recueillis par des témoins de première main comme Jünger, Céline, Arletty, lAmbassadeur Abetz ou Guitry. Dautre part, les photos saisissantes, émanant pour la plupart de la propagande allemande. Instantanés dune intensité rare et surgis dun continent englouti : ainsi de ce baiser échangé entre un jeune soldat de la Wehrmacht et quelque employée de maison de tolérance ; des tribunes dAuteuil envahies de hauts gradés à loccasion de la réouverture de lhippodrome ; de la Vénus offensée du Louvre dont le marbre se détourne des regards que lui jettent avec concupiscence deux officiers de la Wehrmacht.
Si étrange que cela paraisse, cette référence, authentique guide dune topographie bel et bien disparue, pourrait se lire dune traite, comme un roman racontant les turpitudes dune femme meurtrie et contrainte à la soumission, mais qui sut, après maintes avanies, recouvrer son visage davant lhumiliation. Une femme qui sappelait Paris.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 28/04/2009 ) Imprimer |