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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Une République d'abord coloniale ?... | | | Olivier Le Cour Grandmaison La République impériale - Politique et racisme d'Etat Fayard 2009 / 23 € - 150.65 ffr. / 401 pages ISBN : 978-2-213-62515-7 FORMAT : 15cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Historien des relations internationales à Sciences Po Paris, Pierre Grosser est directeur des études de linstitut diplomatique du ministère des affaires étrangères. Imprimer
Cet ouvrage laisse un peu perplexe. Lauteur a entrepris depuis quelques années une croisade pour montrer à quel point le colonialisme sous ses formes les plus noires est au cur même de la pensée libérale et républicaine. On pourra suivre ses critiques des camps pour immigrés illégaux en Europe, formulées dans un précédent ouvrage. Mais lorsquil fait de lhistoire, en prétendant suivre une approche «dédisciplinarisée», les analyses sont éminemment discutables, comme létaient ses réflexions sur la logique exterminatrice de la pensée coloniale de Tocqueville dans son livre paru en 2005.
Notons dabord que le projet en lui-même nest guère original. Depuis une dizaine dannées se multiplient les travaux destinés à montrer que, loin dêtre un appendice de lhistoire de France ou une aberration, le colonialisme fut central comme jadis les marxismes faisaient de limpérialisme une dimension essentielle du capitalisme français. Que la métropole ait été transformée par le fait même de coloniser est devenu une proposition banale, provoquant des débats très passionnants en Grande Bretagne (le débat Porter/MacKenzie), en Allemagne (autour dune approche transnationale de lhistoire allemande), et aux États-Unis, maintenant quil est de nouveau question dempire américain (ainsi de McCoy, Alfred W. et Scarano, Francisco (eds.), Colonial Crucible. Empire in the Making of the Modern American State, The University of Wisconsin Press, 2009). Les réflexions touchent aussi lItalie, lEspagne, la Belgique et le Japon. Leffet boomerang des massacres coloniaux en Europe, que Hanna Arendt avait esquissé, est désormais scruté au sein dune abondante bibliographie. La question du racisme et de la construction dune vision du monde blanc est également pensée à léchelle globale.
Mais comparer nest pas le fort de lauteur. Il y a certes quelques pages sur lAllemagne nazie, en complément de sa «découverte» dun discours français sur l«espace vital». Il montre la spécificité du projet nazi, mais ses dimensions coloniales auraient pu être développées bien plus sûrement si les nombreux travaux récents sur cette dimension avaient été utilisés. Le problème est quà la hâte de creuser son filon, lauteur ne commence pas par le b-a-ba de la méthode, à savoir lire dabord tout ce qui est déjà paru sur le sujet. Il cite peu de travaux dhistoire. Or, prétendre que des institutions et des disciplines académiques étaient «mitées» par le colonialisme nécessite des analyses complètes et serrées, que des historiens ont entreprises, avec beaucoup de nuances qui auraient été bien utiles. Les questions de la séparation des sexes dans les colonies, des politiques pénales, des manipulations du droit (notamment international) pour saisir terres et territoires ou du social-impérialisme ont donné lieu à pléthore de travaux, systématiquement ignorés ici.
En lisant ces travaux, lauteur aurait aussi appris que la méthode historique impose de la rigueur et de lhonnêteté. Rigueur, parce que le choix des sources doit être justifié. A chaque fois quun texte est cité, il ne faut pas se contenter de dire quil est représentatif, que celui qui la écrit a été honoré dun prix ou dune place. Si dans un siècle, un historien décrit le paysage intellectuel du début du millénaire, pourra-t-il prétendre que La République impériale est représentatif, même si le livre est publié par un grand éditeur et lauteur occupe une position académique ? Honnêteté, parce que citer les phrases les plus choquantes décrivains, de juristes ou de géographes ne donne pas toujours la mesure de lensemble de leur pensée. Elle est souvent bien plus complexe que ces citations ne le laissent accroire. On a limpression dêtre dans un «bêtisier» du discours colonisateur, et non dans un travail scientifique. Honnêteté aussi parce que lauteur sen prend au refus de lassimilation, et à ses soubassements racistes ; mais quaurait-il dit dune politique dassimilation poussée à son extrême, niant les différences ?
Passons sur le fait que le dossier est seulement à charge, ce quaucun historien sérieux nenvisage. Passons sur le fait que les «indigènes» disparaissent, et que leur est déniée toute «agency». Passons sur le fait que lauteur ne sintéresse presque jamais à ce qui se passe sur le terrain, après plus de vingt ans de travaux sur l«encounter» colonial. Passons sur le fait que laction et la pensée de la plupart des groupes les plus actifs dans la colonisation (militaires, hommes daffaires, missionnaires
) ne soient pas pris en compte. Passons sur le fait que les distinctions entre les périodes historiques ne soit pas toujours faites (la «deuxième exploitation coloniale» après 1945 ne peut être mise sur le même plan que les débats des années 1880). Passons sur la quasi-absence des enjeux des relations internationales. Passons sur loubli du débat sur les liens entre colonisation et modernité. Restent quelques intuitions intéressantes, quelques auteurs et citations exhumés, et une contribution à réfléchir à une République qui, si elle nétait pas dabord impériale, était aussi impériale.
Pierre Grosser ( Mis en ligne le 21/07/2009 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Livre noir du colonialisme de Marc Ferro , collectif Massacres coloniaux de Yves Benot Pour en finir avec la repentance coloniale de Daniel Lefeuvre | | |
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