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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Plus qu’un canal…
Caroline Piquet   Histoire du canal de Suez
Perrin - Pour l'Histoire 2009 /  24 € - 157.2 ffr. / 366 pages
ISBN : 978-2-262-02801-5
FORMAT : 15,6cm x 24,2cm

L'auteur du compte-rendu : Hugues Marsat est agrégé d'histoire. Enseignant dans le secondaire, il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles.
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Le vingtième anniversaire de la chute d’un mur obère un peu le cent-quarantième anniversaire du canal de Suez ou son cent-cinquantième si l’on préfère se référer au premier coup de pioche. Délaissant l’histoire des océans dont elle commence à avoir fait le tour, la collection «Pour l’Histoire» des éditions Perrin s’élargit, si l’on peut dire, à une voie d’eau sous la plume efficace de Caroline Piquet, maître de conférences à la Sorbonne, auteur d’une thèse sur la compagnie du canal de Suez. Découpant son étude en une dizaine de chapitres articulés sur les dates charnières de l’histoire du canal, lesquelles se confondent parfois avec celles de l’histoire mondiale et presque toujours avec celles de l’histoire égyptienne, l’auteur délimite en fait des aspects qui font du canal du Suez plus qu’un canal, un symbole.

Si percer l’isthme de Suez est un rêve ancien, sa réalisation relève de la conjoncture entre les intérêts politiques ou économiques, les moyens, bien plus financiers que technologiques dans les plans du départ car c’est à la force humaine qu’il est inconsciemment prévu de faire appel, et l’esprit du temps. Or, concernant ce dernier, Caroline Piquet souligne très bien dans ses premiers chapitres que l’ensemble de la réalisation baigne dans le climat très positiviste du milieu du XIXe siècle avec l’appui des Saint-simoniens au projet et la certitude que l’Occident apporte à l’Orient les bienfaits de son savoir-faire en creusant un lien entre les civilisations. Si Ferdinand de Lesseps entend bien procurer à son pays honneur et profit en bâtissant son projet, il aspire aussi à œuvrer pour le bien de l’humanité : la compagnie universelle du canal maritime de Suez naît en 1858. Le canal de Suez, c’est un peu la prolongation de l’expédition de Bonaparte en Egypte. Le petit caporal y avait d’ailleurs pensé.

Les Britanniques le ressentent bien ainsi et n’ont que méfiance pour ce projet français dont ils craignent qu’il n’engendre la mainmise de Napoléon III sur l’Egypte, étape et rupture de charge sur la route de leur Empire des Indes. D’où une réticence à le financer et une convoitise à le posséder. Financé presque à moitié par le Khédive, creusé en partie par le fellah égyptien, le canal tombe entre les mains britanniques qui s’assurent d’abord le contrôle des actions égyptiennes (1875), soit presque la moitié des parts totales, puis du pays (1882), alors même que celui-ci sort tout juste de la domination ottomane. L’Egypte n’a de cesse pendant près d’un siècle de récupérer le canal dont elle ne touche que les miettes des bénéfices, et dans lequel elle voit un symbole du colonialisme européen, renforcé par le développement des villes de Port-Saïd, Port-Fouad, Ismaïlia et Suez.

Car l’affaire devient diablement rentable alors que la mondialisation s’accélère à la faveur de la colonisation et des débuts de l’exploitation pétrolière au Moyen Orient. De cette naissance d’une économie mondialisée, le canal de Suez est aussi un symbole et Caroline Piquet prend bien soin d’étudier l’évolution du trafic en trois chapitres qui entrecoupent les tribulations géopolitiques, sans oublier d’évoquer la délicate et complexe question des tarifs (une affaire de jauge lestée ou non).

Reflet du commerce maritime, le canal s’adapte au gabarit des navires s’il ne veut pas perdre sa primauté sur la route par le cap de Bonne-Espérance, mais il participe aussi aux mutations de la navigation en favorisant l’essor de la marine à vapeur puis au diesel dont les navires ont plus de marge de manœuvre dans la traversée du canal. Les photos du cahier central donneront au lecteur aussi bien une idée des moyens mobilisés pour la construction et la modernisation du canal que des évolutions navales : au fil du temps, les cargos et paquebots laissent la place aux pétroliers et porte-conteneurs. Ce qui ne disparaît pas, ce sont les navires de guerre, même s’ils changent de nature et si la fameuse photo d’un porte-avion américain traversant la voie d’eau ne figure pas dans le livre.

Dès le début, le canal est un enjeu stratégique. Ernest Renan, que cite Caroline Piquet, l’a bien perçu dès 1885 lorsqu’il prononce le discours d’accueil de Lesseps à l’Académie française (p.138). La convention de Constantinople qui déclare le libre usage du canal de Suez en temps de paix comme en temps de guerre en 1888 ne fait pas long feu. Dès 1914, il en est fini et la Compagnie devient le bon soldat de ses maîtres franco-britanniques, fort heureusement alliés. D’où l’empressement germano-italien d’en prendre le contrôle ou de le fermer durant la Seconde Guerre mondiale, d’où l’inquiétude israélienne de le voir tomber entre les mains de Nasser.

En 1956, les évènements posent le canal en symbole des relations internationales de l’époque, dans une crise où se croisent les derniers feux du colonialisme, la Guerre froide et un problème israélo-arabe qui devient international à cause du canal. En 1967, celui-ci cesse d’être un passage Nord-Sud pour devenir une frontière Est-Ouest par-dessus laquelle durant six ans s’affrontent les deux pays voisins dans deux guerres dont on se demande si elles n’en forment pas qu’une seule.

En définitive, c’est donc bel et bien l’histoire d’un lieu hautement symbolique qu’aura retracé Caroline Piquet à ses lecteurs, sans les perdre dans les méandres des affaires traitées pourtant complexes puisqu’elles relèvent de l’économie, de la navigation, de la géopolitique et de l’histoire de l’Egypte, sans non plus les noyer sous les statistiques inutiles mais en utilisant judicieusement quelques tableaux de chiffres parfois mis en annexe et des graphiques pas toujours rendus très lisibles par l’impression, problème dont souffre aussi les cartes anciennes ouvrant le volume mais heureusement pas les cartes récentes isolées entre les notes et la chronologie suivie de l’importante bibliographie.

Cette Histoire du canal de Suez constitue un bel exercice de synthèse.


Hugues Marsat
( Mis en ligne le 05/01/2010 )
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