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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Une face sombre du romantisme | | | Nicole Savy Les Juifs des romantiques Belin - Littérature et politique 2010 / 23 € - 150.65 ffr. / 248 pages ISBN : 978-2-7011-4896-0 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé, Pierre Triomphe vient de soutenir une thèse sur «Les mises en scène du passé au Palais-Bourbon (1815-1848). Aux origines dune mémoire nationale». Il a publié LEurope de François Guizot (Privat, 2002). Imprimer
La sécularisation de la culture au XIXe siècle se caractérise notamment par le renouvellement des stéréotypes relatifs aux Juifs. Largement répandu au sein de toutes les familles politiques, lantijudaïsme chrétien initial qui condamne le peuple déicide au nom du rôle quil aurait joué dans la crucifixion de Jésus cède peu à peu la place à un antisémitisme qui sappuie sur le savoir (pseudo-)scientifique en voie délaboration, qui distingue des races humaines aux aptitudes différentes.
Ce dernier discours devient vers la fin du siècle lapanage de plus en plus exclusif de la droite extrême. Nicole Savy montre linfluence de ces représentations sur les images du Juif chez les écrivains romantiques français. Ces derniers paraissent définis comme lensemble des hommes de lettres ayant écrit entre les premières années du XIXe siècle et les années 1880, en bref, de la naissance à la mort de Victor Hugo. Nicole Savy entend ainsi contribuer à lhistoire culturelle de cette période. On peut cependant sétonner de lopposition tranchée quelle établit entre des historiens qui ne sintéresseraient quaux sources archivistiques et à la presse (ignorant divers ouvrages importants comme louvrage récent de Judith Lyon-Caen sur La lecture et la Vie. Les usages du roman au temps de Balzac) et des littéraires qui nauraient que répulsion pour ces mêmes sources (alors que là aussi, les contre-exemples sont nombreux, ainsi les ouvrages de Marie-Eve Thérenty et Alain Vaillant sur le journalisme et lécriture journalistique au XIXe siècle). Dailleurs, on peut se demander dans quelle mesure on peut distinguer la littérature dun côté et lécriture politique ou scientifique de lautre à une époque où les sciences sociales ne font quentamer un processus de différenciation. Lon pourrait également ergoter sur un certain nombre derreurs et dapproximations qui font tiquer à diverses reprises le lecteur, comme la présentation de Malesherbes comme un protestant
Ces erreurs de détail ne doivent pas occulter lessentiel. Court, quelque 200 pages y compris les annexes, louvrage est plaisant à lire. Il débute par une présentation synthétique de lévolution de la judéophobie au cours de cette période. Elle met en exergue les évolutions relevant de la judéophobie et donne pour horizon téléologique du siècle lantisémitisme qui se manifeste lors de lAffaire Dreyfus, voire le génocide nazi. Ces prises de position historiographiques marquées auraient pu être davantage explicitées.
Par la suite, lauteure identifie de façon fine et nuancée les différentes figures de Juifs qui parsèment la littérature de lépoque. Elle les analyse à travers une série de petits chapitres qui composent lessentiel de son ouvrage. Le raisonnement sappuie sur des citations en maintes occasions savoureuses. Durant la première moitié du siècle principalement, à une époque où les Juifs ne constituent quune infime minorité de la population française, Nicole Savy observe que la littérature en fait souvent un portrait reposant sur une imagerie venue du passé, et donnant un caractère abstrait à la figure du Juif. Progressivement, limage saffine et se diversifie. La figure du Juif sincarne dans le bourgeois fortuné, le banquier, que la réussite des Rothschild a mis à la mode. Souvent décrié et admiré tout à la fois, il associe la figure du Juif à la modernité économique, à loppresseur bourgeois, vilipendé tant par les contre-révolutionnaires que par les premiers socialistes.
La littérature de voyage, genre en vogue à lépoque, distingue plusieurs types de juifs en fonction de leur lieu de résidence, lEst de lEurope ou lOrient principalement. On observe également que ces représentations sont fortement genrées : à lhomme repoussant physiquement et moralement soppose la femme jeune, belle, sensuelle et vertueuse. Inspirée par Shakespeare et surtout Walter Scott, cette dichotomie aurait selon Chateaubriand une explication théologique : alors que les hommes ont participé à la condamnation du Christ, les femmes juives ont «échappé à la malédiction» car elles «crurent au Sauveur, laimèrent, le suivirent». La dernière figure majeure du juif au XIXe siècle est enfin le Juif errant. Incarnation tragique de lHistoire et du Progrès en marche, il est généralement présenté sous un jour favorable dans les différents ouvrages qui le mettent en scène, à commencer par le roman-feuilleton éponyme dEugène Sue.
La fin de louvrage est plus éclatée. Nicole Savy analyse limage des juifs dans les écrits de trois figures majeures du romantisme (Sand, Balzac et Hugo), avant de proposer en annexe deux textes aussi intéressants que curieusement choisis.
Pierre Triomphe ( Mis en ligne le 01/06/2010 ) Imprimer
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