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La possibilité d’une histoire de France de Lavisse à Cornette | | | Sylvie Aprile La Révolution inachevée - 1815-1870 - Histoire de France, sous la direction de Joël Cornette Belin - Histoire de France 2010 / 36 € - 235.8 ffr. / 670 pages ISBN : 978-2-7011-3615-8 FORMAT : 17cm x 24cm
Préface d'Henry Rousso
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.). Imprimer
Depuis lHistoire de France depuis les origines jusquà la Révolution publiée sous les auspices dErnest Lavisse entre 1900 et 1911, complétée par une Histoire de France contemporaine, publiée en 1920-1922, plusieurs entreprises collectives du même type se sont succédé, qui toutes ont gardé leur intérêt, car elles témoignent du regard que chaque époque porte sur lhistoire de France comme exercice, on pourrait presque dire comme genre. La dernière en date, celle que dirige Joël Cornette aux éditions Belin, ne fait pas exception à la règle : en dehors de lintérêt propre à chaque volume, le parti densemble mérite examen, pour ce quil nous révèle des tendances historiographiques en France au commencement du XXIe siècle.
Le parallèle entre le «Lavisse» et le «Cornette» est de ce point de vue très révélateur. La série de Lavisse souvre sur un premier volume intitulé Tableau de la géographie de la France, dû à Paul Vidal de La Blache ; le deuxième volume porte sur la Gaule indépendante et la Gaule romaine ; le troisième embrasse le Bas-Empire, les Mérovingiens et les Carolingiens. La série de Cornette, au contraire, fait léconomie dune introduction géographique et son premier volume, intitulé La France avant la France, porte sur les années 481 à 888. Ainsi se manifeste le refus du paradigme braudélien, tel quil avait été formulé dans LIdentité de la France : primat de la géographie, revendication de la très longue durée, jusquà embrasser la préhistoire.
La répartition de la matière entre volumes est également riche denseignements. En dix-huit volumes, Ernest Lavisse respecte le plus souvent des césures tirées de lhistoire politique et dynastique : 987, 1226, 1328, 1498, 1559, 1598, 1643, 1715, 1774, 1789. Joël Cornette adopte un plan plus ramassé, qui va de Clovis jusquau temps présent. Les césures politiques retenues étant à peu près identiques à celles de Lavisse, les rares exceptions à la règle ne sont que plus significatives : le volume sur Les Renaissances souvre en 1453 ; celui sur Les Guerres de religion se prolonge jusquen 1629 : la césure retenue passe non seulement par-dessus la limite des règnes, mais ignore même le changement dynastique de 1589. Un «long XVIe siècle» vient donc absorber à la fois le Moyen Age tardif et le début de lâge baroque : faut-il y voir la marque du dynamisme daucuns diraient de limpérialisme des études seiziémistes ?
Le découpage «cornettien» reste en fait fidèle à un certain classicisme. Il représente un compromis entre la tradition lavissienne et les audaces dentreprises récentes, comme celles de lHistoire de France des éditions Hachette, aux signatures prestigieuses (Georges Duby, Emmanuel Le Roy Ladurie, François Furet, Maurice Agulhon), qui souvrait en 987, arrêtait le XVIe siècle en 1610 et faisait commencer la Révolution en 1770.
Le choix des auteurs répond au même souci dadopter une via media. Ni jeunes hussards, ni vieux pontifes : léquipe dhistoriens réunie autour de Joël Cornette, Jean-Louis Biget et Henry Rousso, se compose duniversitaires, maîtres de conférences déjà expérimentés ou professeurs titulaires dune chaire depuis quelques années. En son temps, Lavisse avait adopté un parti analogue : certains des «grands noms» qui figurent au sommaire de son Histoire de France étaient des trentenaires encore inconnus quand ils entrèrent dans lécurie du maître.
Si nous entrons dans le corps des volumes, lévolution de lexercice «Histoire de France» est plus sensible. Un siècle de réflexion sur la pédagogie historique a transformé lapparence des études destinées à un large public : lillustration existait dans lHistoire de Lavisse, mais elle noccupait quune place limitée (une trentaine de planches par tome) ; ici, tableaux, estampes et photographies sont omniprésents et longuement commentés. Dans ce volume sur les années 1815-1870, on retrouve aussi bien des toiles célèbres, comme le Portrait de Charles X en costume de sacre par Gérard ou LImpératrice Eugénie entourée de ses dames dhonneur de Winterhalter, que des lithographies peu connues, des tracts, des affiches ou des images dÉpinal.
Des cartes, des plans, des graphiques appuient le discours. Des textes dépoque, reproduits dans des encadrés, complètent régulièrement lexposé de lauteur. Une chronologie et un dictionnaire biographique prennent place à la fin du volume. Tandis que Lavisse et ses collaborateurs se contentaient dune note bibliographique en début de chapitre, ici, suivant une formule chère à Joël Cornette, chaque tome se clôt sur un chapitre consacré à «latelier de lhistorien». Sylvie Aprile montre ainsi la vigueur du renouveau des études sur le XIXe siècle, qui a longtemps été un «mal-aimé de lHistoire». De grands dossiers historiographiques sont présentés : les historiens au XIXe siècle, histoire et littérature, les premières décennies de la photographie.
Mais la grande différence entre lhistoire de 1900-1911 et celle de 2009-2011 tient à la place accordée au récit. La série dirigée par Ernest Lavisse nignore pas lhistoire économique, sociale et culturelle, mais les développements qui leur sont consacrés restent secondaires, annexes, par rapport à un discours qui est essentiellement factuel et chronologique. Dans le tome que Charles Seignobos consacre aux années 1848-1859, léconomie, la société et la vie intellectuelle sont traitées en fin de volume, en un «livre» qui succède à cinq autres sections politiques ou chronologiques. En 2010, le récit chronologique a perdu sa prépondérance absolue : dans le tome écrit par Sylvie Aprile, il occupe sept chapitres sur onze, lors même que lauteur doit rendre compte des changements de régime intervenus en 1815, 1830, 1848, 1851, 1852 et 1870 !
Comme celle de Lavisse en son temps, lHistoire de France publiée par Belin nest pas le lieu où sopèrent des retournements historiographiques ; elle a plus modestement pour visée de faire connaître les avancées de la recherche historique et den tirer le bilan. Dans le volume rédigé par Sylvie Aprile comme dans celui de Florian Mazel sur Les Féodalités, paru en même temps, on trouve ainsi le souci de dessiner les lignes de force sans trahir la complexité des évolutions : bref, lambition décrire une véritable histoire de France sans être dupe de ce quil peut y avoir dartificiel dans lexercice.
Après son Histoire de la Bretagne et des Bretons, Joël Cornette saffirme donc encore une fois comme le grand «passeur» entre recherche universitaire et grand public éclairé.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 24/08/2010 ) Imprimer
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