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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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La constitution et l'action de la Cour | | | Stephen Breyer La Cour suprême, l’Amérique et son histoire Odile Jacob 2011 / 27.90 € - 182.75 ffr. / 365 pages ISBN : 978-2-7381-2550-7 FORMAT : 14,6cm x 22,9cm
Traduction de Johan-Frédérik Hel Guedj
Préface de Robert Badinter
L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin. Imprimer
A une question que lui posait une habitante de Philadelphie sur le régime dont venaient de se doter les États-Unis dAmérique, Benjamin Franklin répondit que la Convention avait créé «une république, madame, si vous êtes capable de la préserver». En effet, aussi démocratiques et libérales soient-elles, les institutions établies par une Constitution requièrent nécessairement le soutien durable des citoyens, cest-à-dire leur confiance.
Au propos du corédacteur de la Déclaration dIndépendance parait faire écho lidée tocquevillienne selon laquelle la démocratie ne se fonde pas exclusivement sur un texte constitutionnel, car elle sapparente en sus à un «état social», i.e. une culture et des murs politiques particulières. A cet égard, outre-Atlantique, la Cour suprême a joué un rôle décisif, comme lindique Stephen Breyer dans son dernier essai intitulé La Cour suprême, lAmérique et son histoire, dont lambition est de «permettre au grand public de mieux comprendre laction de la Cour».
Demblée, lauteur sinterroge sur ce qui permet «à la Constitution de ne pas seulement fonctionner en théorie, mais également dans la pratique», cest-à-dire sur les fondements de son application effective afin que la loi fondamentale ne demeure pas tout simplement lettre morte. Et le juge à la Cour suprême de préciser plus avant les contours de son questionnement : «comment la nation américaine pourrait-elle sassurer que les limites fixées par cette Constitution soient respectées, que nos concitoyens jouissent de ses protections essentielles, que notre système judiciaire tranche les litiges équitablement et de manière impartiale et que nos tribunaux rendent la justice» ?
Pour rendre la démocratie américaine viable, Alexander Hamilton et dautres des Pères fondateurs de la Constitution pensaient que «la Cour suprême apporterait une partie de la réponse à ces questions. Cette Cour interprèterait la loi et, ce faisant, elle imposerait les limites inscrites dans le texte fondamental. Elle contribuerait à asseoir un système politique démocratique et sauvegarderait ainsi les droits et libertés constitutionnels des individus». Pour reprendre lhistorien Gordon Wood, «en protégeant les droits (
) de minorités contre les majorités populaires», la Cour «deviendrait un instrument primordial tant pour mettre un frein à la démocratie que pour la préserver».
Ces missions éminentes ont été confiées à la Cour suprême, et non pas au congrès ou au président, car linterprétation serait «le propre et le domaine singulier des tribunaux». Les juges disposent à cet égard dune «compétence relative», puisquils «savent fréquemment concilier des lois apparemment contradictoires et (
) étudient les précédents». En fait, conclut Stephen Breyer en reprenant Hamilton, «il nest pas de liberté à moins que le pouvoir de juger ne soit séparé des pouvoirs législatif et exécutif». Attribuer le pouvoir de résolution des conflits entre la Constitution et les lois au pouvoir judiciaire ne menace pas le peuple, loin sen faut. Privé de la «bourse» et de l«épée», le judiciaire serait «le plus faible» des trois domaines du pouvoir.
Le dessein des Pères fondateur sest progressivement concrétisé au cours de lhistoire des Etats-Unis dAmérique, comme le montre S. Breyer via un assez large florilège de décisions quil commente au fil des pages de cet ouvrage. Dans un premier temps, lauteur se penche sur «la reconnaissance par lopinion de la légitimité de la Cour». Initialement, il nallait en effet pas de soi que les interprétations de la Constitution à laquelle se livre régulièrement la Cour suprême soient suivies par les autres pouvoirs et plus largement par les citoyens, alors que ceux-ci les estiment parfois erronées. Les exemples égrainés par lauteur tout au long de lessai «démontrent que le consentement du citoyen nest pas automatique et quil ne peut être tenu pour acquis. La Cour, écrit-il, doit elle-même préserver la foi que le public place en elle, la confiance du corps social dans la Constitution, et lengagement du public envers la règle de droit».
Ensuite, lauteur étudie la façon dont la Cour remplit ses responsabilités constitutionnelles. «La clef, explique Stephen Breyer, réside dans laptitude de la Cour à appliquer les valeurs pérennes de la Constitution à des circonstances changeantes». Pour ce faire, les juges doivent se livrer à un essentiel travail dinterprétation. En effet, «la Cour doit interpréter les mots couchés sur le papier, que ce soit celui de la Constitution ou celui dune loi, en se servant doutils juridiques classiques, le texte, lhistoire, la tradition, le précédent et, en particulier, les intentions et les conséquences qui en découlent, pour rendre la loi plus efficace. Ainsi, elle peut entretenir la confiance du citoyen dans la légitimité de son rôle interprétatif». Cest ce que le juge Breyer appelle «la méthode pragmatique» de linterprétation en matière juridique, laquelle parait nettement plus convaincante que celle quemploient les tenants de loriginal intend.
Alexis Fourmont ( Mis en ligne le 17/05/2011 ) Imprimer | | |
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