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Achtung ! Franktireur !
John Horne   Alan Kramer   1914. Les atrocités allemandes - La vérité sur les crimes de guerre en France et en Belgique
Tallandier - Texto 2011 /  12 € - 78.6 ffr. / 674 pages
ISBN : 978-2-84734-826-2
FORMAT : 12cm x 18,1cm

Hervé-Marie Benoît (Traducteur)

L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram, Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile.

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Cette année 2011 aura vu la disparition des derniers soldats ayant survécu à la boucherie de la Grande Guerre. Plus aucun poilu ni de «casque à pointe» donc pour témoigner des affrontements de la Marne, de l’Yser ou de Verdun, des masques à gaz, des shrapnels, des trêves d’une tranchée à l’autre, des mutineries, des charges dans la boue… Par contre, il reste peut-être encore ici et là quelques centenaires qui conservent de lointains et vagues souvenirs de ces années noires, et en particulier du moment le plus traumatique enduré par les populations civiles, celui de l’invasion d’août 1914.

Ils étaient enfants à l’époque. Ils habitaient Liège (la première grande ville agressée par les troupes du Kaiser) ou quelque village de campagne de la région liégeoise, du Namurois, du Luxembourg, d’Alsace-Lorraine et de Meurthe et Moselle. Ils assistèrent, dans la panique communiquée par leurs parents, à la déferlante des régiments progressant selon les ordres du Plan Schlieffen, qui consistait à contourner la ligne de défense française par le Nord et à fondre sur Paris, en violant au passage la neutralité de la «petite» Belgique. Ils ne comprirent rien sans doute, sur le moment, à la désolation qui s’abattait sur eux et, du haut de leur innocence, ne conçurent pas la chance qu’ils eurent d’échapper à la barbarie déchaînée.

Les historiens John Horne et Alan Kramer ont étudié les exactions des troupes allemandes aux premiers jours de l’assaut. Il était déjà de notoriété publique que les populations belges et françaises frontalières avaient été très durement touchées à l’aube du conflit, mais on ne se figurait pas encore précisément quelles furent les raisons exactes de ces exécutions et de ces répressions sauvages, qui firent pas moins de 6500 victimes en l’espace de trois mois à peine.

Du côté allemand, la réponse est simple : dès leur entrée en Belgique, les soldats eurent non seulement à affronter la résistance (inattendue et tenace) des troupes régulières, mais ils essuyèrent également des tirs isolés ou des comportements agressifs de la part des autochtones. En plus de se faire canarder par des «francs-tireurs» embusqués, il s’agissait, à les en croire, de se méfier du poison dans les repas servis, des arracheurs d’yeux et des mutilateurs de tout crin, des curés toujours prêts à déclencher une rébellion du haut de leur clocher… En somme, d’après les versions «officielles» outre-Rhin, défendues longtemps après la fin du conflit, la Belgique fut le cadre d’une véritable guérilla, urbaine comme rurale, organisée contre l’envahisseur, et la seule façon d’y répondre efficacement était l’exécution sommaire, assortie souvent du pillage et de l’incendie des habitations, voire de quelques viols. Et, oui, les bébés ou les vieillards pouvaient aussi constituer de potentiels terroristes, alors autant s’en débarrasser dans la foulée.

Horne et Kramer ont épluché les archives, confronté les récits, rétabli une chronologie minutieuse des tragédies qui ont émaillé l’avancée allemande, au jour le jour. On revit ainsi le martyre de cette place de Liège qui sera rebaptisée «du XX-Août» en guise de commémoration, mais aussi le terrible massacre de Visé, le saccage de la ville universitaire de Louvain et de son immense bibliothèque. Quelle que soit l’issue du scénario, les conclusions des chercheurs sont formelles : les soldats du IIe Reich ont été moins victimes de réels attentats que des effets d’hallucinations collectives, qui leur faisaient identifier la moindre détonation à la présence d’un tireur caché, et les menait droit à une violence effrénée.

Comment expliquer la récurrence de tels comportements, car enfin, qu’un malentendu ou la fatalité soient à la source d’un épisode tragique, c’est le lot de chaque guerre. Mais des dizaines de cas, qui occupent plus de cent pages et dont la lecture donne le tournis, quand ce n’est la nausée ? Les historiens ont envisagé avec minutie chaque dimension explicative du phénomène. Pour ce faire, ils remontent aux stéréotypes hérités du précédent conflit (la guerre de 1870) et, plus loin, aux racines mêmes des «cultures» de combat appliquées par la France et l’Allemagne au fil des siècles. À partir du moment où s’ébauche une mytho-critique globale des événements, on comprend dès lors que les ressorts de la «guerre des illusions», comme ils l’appellent justement, reposent sur plus d’un facteur : le sentiment naturel de la peur, le rôle des rumeurs forcément mensongères et des messages de propagande, l’incompréhension entre gens de mentalités et de langues différentes, ou encore la persistance mentale de topiques monstrueux (dont celui des «mains coupées», très présent à l’esprit des Belges, encore marqués par les polémiques suscitées par le roi Léopold II au début du siècle).

Partant d’une série de faits oubliés – parce qu’enterrés sous les monceaux de cadavres du conflit de 40-45, avec ses usines de morts et ses champignons atomiques –, Horne et Kramer ont rendu aux Belges et aux Français un pan de leur histoire, qui fut fondateur à maints égards. On lira ainsi avec intérêts leurs développements à propos de l’influence déterminante des «atrocités allemandes» sur l’entrée en guerre de pays attentistes (les États-Unis ou l’Italie), sur les différentes politiques mémorielles adoptées par les gouvernements, sur un courant d’opinion au destin aussi idéologiquement tortueux que le pacifisme, sur les ordres donnés en 1939 par Hitler à ses soldats en matière de discipline au moment de l’entrée sur le territoire polonais…

Cet ouvrage clé tire sa force de cohésion d’une double articulation, balançant en effet en permanence entre l’exactitude scientifique et la prise en compte du facteur humain. En outre, il apporte une réponse, en soi partielle mais traitée exhaustivement, à la question de fond posée en préambule : «Étant européen et transnational par vocation, le livre s’adresse en bonne logique au lectorat du même ordre. Mais un tel espace européen existe-t-il ? Au-delà des questions de la construction de l’Europe dans un sens économique et institutionnel, construit-on une Europe qui réfléchit sur les diverses questions de son histoire et de ses identités, et ceci dans un esprit qui n’exclut ni le monde extérieur ni les différences internes ? Ou restons-nous cloisonnés dans des discussions parallèles à l’intérieur des nations d’Europe ?»

C’est de clercs de cette trempe-là, qui ne trahissent pas, dont nous avons un urgent besoin pour mieux nous comprendre, au passé et au présent.


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 20/12/2011 )
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