L'actualité du livre Vendredi 19 avril 2024
  
 
     
Le Livre
Histoire & Sciences sociales  ->  
Biographie
Science Politique
Sociologie / Economie
Historiographie
Témoignages et Sources Historiques
Géopolitique
Antiquité & préhistoire
Moyen-Age
Période Moderne
Période Contemporaine
Temps Présent
Histoire Générale
Poches
Dossiers thématiques
Entretiens
Portraits

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

A tout vent !
Jean-Yves Mollier   Bruno Dubot   Histoire de la librairie Larousse (1852-2010)
Fayard 2012 /  28 € - 183.4 ffr. / 736 pages
ISBN : 978-2-213-64407-3
FORMAT : 15,3 cm × 23,5 cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
Imprimer

Le ''Larousse'' : quelle maison en France n’a pas eu son dictionnaire, avec ses pages roses centrales, ses deux parties, l’une pour les mots et la seconde pour les noms propres, ses petites vignettes illustrées ? Et l’image de la semeuse qui «sème à tout vent» (devise adoptée en 1876) en soufflant sur le pissenlit (dent de lion) fané, dispersant ainsi le savoir au plus grand nombre… Tant de souvenirs pour tous les jeunes français scolarisés qui ont souvent reçu un «Larousse» en livre de fin de scolarité primaire. Larousse, devenu synonyme de dictionnaire, bien davantage que le «Littré» son contemporain (1863-1872). Or la librairie Larousse est une des plus vieilles maison d’édition française : elle a été fondée en 1852, 2 rue Pierre Sarazin à Paris, avec pour voisin Louis Hachette, et existe encore aujourd’hui dans ses locaux installés rue du Montparnasse, le nom de Larousse inscrit au fronton de l’immeuble. En 1869, Pierre Larousse s’installe tout près, au 49 rue Notre-Dame-des-champs, comme libraire-éditeur-imprimeur ; mais ne cherchez pas de plaque l’évoquant : les Petites Sœurs des Pauvres, propriétaires de l’immeuble, ont refusé sans explication qu’on en appose une à l’occasion du centenaire en 1975. Pour les auteurs, la raison est claire : «Sans doute l’anticléricalisme de l’auteur du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, condamné par l’Eglise et inscrit à l’Index librorum prohibitorum, était-il encore trop vivace, dans la mémoire de la hiérarchie de cette congrégation bretonne, contemporaine de Pierre Larousse, pour accepter sur ses murs la moindre inscription en l’honneur de ce mécréant et de son œuvre dédiée à la libération de l’humanité» (p.609).

En dépit de son ancienneté, Larousse n’avait jamais donné lieu à travail historique scientifique, c’est désormais chose faite : Bruno Dubot, auteur d’une belle thèse de doctorat sur la maison Larousse de 1895 à 1952, et Jean-Yves Mollier, spécialiste de l’histoire de l’édition (auteur d’un récent Edition, presse et pouvoir en France au XXe siècle, 2008), publient un épais (trop ?) volume (736 pages) sur l’Histoire de la librairie Larousse (1852-2010). Ouvrage écrit par deux universitaires (on aurait aimé savoir à qui attribuer les différents chapitres), il est doté d’un appareil critique complet : liste des sources, abondante bibliographie, index. Un plan chronologique qui se divise, selon la tradition, en trois parties : ''Aux temps de Pierre Larousse et d’Augustin Boyer'', ''La librairie Larousse au temps de l’apogée du capitalisme familial (1895-1951)'', ''De la librairie familiale à l’intégration dans un groupe à vocation mondiale (1952-2010)''. Plus un cahier de photographies central.

Une histoire à rebondissements qui a sa part de romanesque : le choix de deux amis d’enfance, Pierre Larousse (1817-1885) et Augustin Boyer (1821-1896) de fonder une maison d’édition, puis leur mésentente et leur séparation ; sa part de sordide : les démarches des neveux de Pierre Larousse pour tenter sans succès de s’opposer au testament de sa collaboratrice de toujours, qu’il avait épousée à la fin de sa vie, Pauline Caubel, morte en janvier 1890. Celle-ci, à leur grand dam, ne fit pas hériter les neveux mais Constant Noleau, le compagnon de ses dernières années. D’où une accusation d’empoisonnement portée par eux contre ce dernier pour tenter de l’empêcher d’hériter, feuilleton judiciaire au terme duquel la Justice, en 1893, déboute les neveux avides (finalement, Noleau, en 1895, acceptera un arrangement avec Jules Edmond Hollier-Larousse, le neveu que Pierre Larousse avait associé à son travail).

1895 est le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de la librairie : celle de la seconde génération. Un homme l’incarne plus particulièrement : Claude Augé, directeur de la rédaction, époux d’une petite nièce de Pauline Caubel-Larousse, et qui va largement contribuer à engager définitivement la maison dans la politique de lexicographie qui lui donne aujourd’hui encore son originalité. C’est lui qui a l’idée en 1905 du Petit Larousse illustré qui va assurer la fortune et la renommée de la maison. Parallèlement, le second responsable, Georges Moreau, lui aussi petit neveu par alliance de Pauline Caubel-Larousse, développe le secteur de l’encyclopédisme et de la vulgarisation de bonne qualité, choix qui ne seront jamais démentis par la suite.

La librairie Larousse a donc connu ses figures héroïques, au premier rang d’entre elles le fondateur, Pierre Larousse, républicain convaincu (ce qui ne sera pas toujours le cas de ses successeurs…) qui conçut seul ou presque (ce fut l’occasion de sa rupture avec Augustin Boyer) l’œuvre de sa vie - le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, vendu par souscription -, animé de la conviction qu’il fallait transmettre le savoir le meilleur au plus grand nombre, que c’était faire œuvre politique. Autre grande figure, sa collaboratrice, devenue son épouse, Pauline Caubel donc, que les auteurs réhabilitent en insistant sur son rôle essentiel. Mais aussi le neveu Jules Hollier qui, après la mort de Pierre Larousse, poursuivit son énorme encyclopédie en 15 volumes. Une somme de connaissances dont son auteur voulait faire pour le XIXe siècle l’équivalent de ce qu’avait été l’Encyclopédie pour le XVIIIe ; mais pour éviter les mésaventures de Diderot, il avait choisi d’être lui-même son libraire éditeur. Les articles se répondent, et, par le jeu de renvois, construisent une culture, des choix, des orientations. On se souvient de l’article sur Bonaparte («le nom le plus grand, le plus glorieux, le plus éclatant de l'histoire, sans excepter celui de Napoléon, général de la République française, né à Ajaccio (île de la Corse), le 15 août 1769, mort au château de Saint-Cloud près de Paris, le 18 brumaire, an VIII de la République française, une et indivisible (9 novembre 1799)») qui avait convaincu les censeurs de Napoléon III, alors que l’article suivant, intitulé «Napoléon Ier», est une critique féroce de l’empereur ; mais celui-ci parut après Sedan et la chute du régime impérial...

Le succès du dictionnaire fait souvent oublier que la librairie Larousse fut aussi - comme son concurrent direct Hachette -, un éditeur de manuels scolaires et de revues pédagogiques. En 1856, c’est le Nouveau Dictionnaire illustré de la langue française qui rencontre d’emblée un succès jamais démenti pendant plus d’un siècle et qui assure à la maison des rentrées d’argent régulières. Pour faire connaître sa production, Pierre Larousse choisit la diffusion par un réseau de libraires correspondants, choix qui s’avérera très judicieux pour la réussite ultérieure de son entreprise.

En dépit des épisodes évoqués plus haut, la transmission se fait, et le Grand Dictionnaire Universel est achevé après la mort du fondateur. Certes l’environnement devient moins favorable, avec la publication de la Grande Encyclopédie de Marcelin Berthelot (1885-1902) mais alors la stratégie adoptée par les dirigeants est de développer les dictionnaires et le Nouveau Larousse illustré va d’emblée conquérir un vaste public. Un des aspects novateurs est le soin apporté à l’illustration. Les responsables de Larousse s’adjoignent des collaborateurs de talent, tel le peintre Maurice Denis, et tiennent à la qualité et à la variété des illustrations, faisant aussi une large part à la photographie. Ces nouveautés sont bien accueillies par le large public auquel s’adressent ces ouvrages de bonne vulgarisation, encyclopédies, dictionnaires, qui sont le fonds éditorial de la maison. Jusque dans les années 50, la supériorité absolue de Larousse dans ce domaine s’impose. Il faut ajouter que durant toute cette période Larousse rencontre assez peu de concurrents vraiment dangereux. Une politique de bas prix, rendue possible par la publication en masse, assure également le succès des ouvrages. Les encyclopédies de la «Bibliothèque Larousse» couvrent de vastes champs (arts ménagers, cuisine, médecine…), à l’exception des guides de voyage, sans doute parce que dans ce domaine Hachette avait une position acquise difficile à concurrencer. Autre atout : la possession de l’imprimerie. Enfin, Larousse a une politique de revues - La Revue encyclopédique (1890-1900), La Revue universelle (1900-1905) et Le Larousse mensuel (1905-1957) -, à une époque où les revues sont un média très lu.

C’est au début des années 1960, alors que la France vit la période d’expansion des «Trente Glorieuses» et que la quatrième génération (Claude Moreau, Etienne Gillon, Jacques Hollier-Larousse, Jean-Louis Moreau) arrive aux responsabilités, que le bel équilibre se dégrade ; certes le dictionnaire continue à régner, relooké par Christian Lacroix ou Karl Lagerfeld, mais il a perdu sa position de quasi monopole. Le «Robert» devient un concurrent efficace. Jusque dans les années 1970, la maison se maintient, mais les dirigeants sont plus incertains et se lancent dans des choix discutables au vu des résultats, mesurent mal la révolution informatique qui s’annonce ; en 1973, la décision est prise de fermer l’imprimerie Larousse ce qui entraîne un conflit social de plusieurs mois et l’imprimerie sera définitivement fermée le 16 février 1974. 1983 sonne la fin de l’entreprise familiale rachetée par le groupe... Hachette ! S’ensuivent une trentaine d’années difficiles que Larousse partage avec toute l’édition française qui voit les restructurations se succéder et dont les auteurs relatent avec minutie la complexité.

Aujourd’hui, Larousse a conservé sa production dans le domaine encyclopédique, appuyant souvent ses ouvrages sur des sites internet, et tente de garder intacte sa supériorité en fondant une encyclopédie sur le web, qui fonctionne, comme Wikipedia, sur la collaboration des lecteurs ; mais la concurrence est rude et le pari pour le moins ambitieux.

En conclusion : un ouvrage riche d’une belle documentation, une encyclopédie pour l’auteur le plus connu d’encyclopédies, qui désormais appartient à la mémoire politique nationale. Cependant, pour intéressante que soit la lecture, un ouvrage un peu élagué aurait sans doute davantage conquis le grand public qu’il mérite.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 16/10/2012 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Edition, presse et pouvoir en France au XXe siècle
       de Jean-Yves Mollier
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd