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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Jouir du spectacle du monde
Sylvain Venayre   Panorama du voyage - (1780-1920) - Mots, figures, pratiques
Les Belles Lettres - Histoire 2012 /  35 € - 229.25 ffr. / 600 pages
ISBN : 978-2-251-38115-2
FORMAT : 15,2 cm × 21,6 cm

Sylvain Venayre a collaboré à Parutions.com

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).

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«Parmi les occupations que la mode encourage depuis trente ans», écrivait Alexandre de Laborde en 1808 dans son Itinéraire descriptif de l’Espagne, «il n’en est peut-être pas de plus raisonnable que le goût des voyages, soit qu’on le considère comme un moyen de s’instruire, de rétablir sa santé, de distraire des chagrins, ou, comme l’ambition, d’être utile et d’avancer les progrès des sciences». C’est par cette citation que Sylvain Venayre, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ouvre son ouvrage consacré au voyage en tant qu'objet d’histoire. Il a choisi de l’étudier dans la période 1780-1920 car, remarque-t-il, «une époque est une plage de temps à laquelle on reconnaît une certaine cohérence interne. Il ne fait guère de doute que, du point de vue de l’imaginaire du voyage, les décennies qui se succédèrent entre les alentours de 1780 et les alentours de 1920 en forment une» (p.488). Après les années 1920, la fin des grandes explorations et les nouvelles représentations de l’espace de la planète ouvrent d’autres pratiques, comme les années 1780 avaient elles-mêmes marqué une rupture avec la période précédente issue de la Renaissance, même si le XIXe siècle conserve des habitudes et des lectures du voyage qui en sont héritées. Toutefois Sylvain Venayre souligne la rupture essentielle avec les temps modernes (XVIe-XVIIIes) : «Plus aisé, plus sûr, moins utile aussi, du point de vue de la connaissance, le voyage fut en revanche de plus en plus volontiers considéré comme le moyen d’un plaisir rare» (p.483).

Pour étudier l’évolution du voyage dans cette période, Sylvain Venayre s’est livré à un inventaire systématique des livres présents dans le catalogue informatisé de la Bibliothèque nationale de France en choisissant d’isoler comme premier critère ceux dont le titre comportait les mots ''voyageur'', ''pèlerin'' ou ''touriste'' ; il a ainsi rassemblé un corpus de 1524 livres (dont 480 guides de voyage en France) publiés entre 1800 et 1914, qui constitue sa source principale. Choix dont il s’explique dans son introduction (p.21), en se référant à l’article de Georges Duby sur «l’histoire des mentalités» (L’Histoire et ses méthodes, Pléiade, Gallimard, 1961) : «Parmi ces «outils», dont l’étude, en effet, s’impose, vient en premier lieu le langage - entendons les divers moyens d’expression que l’individu reçoit du groupe social où il vit, et qui servent de cadre à toute sa vie mentale». Tout comme il se réfère à Michelet cité par Lucien Febvre (p.25) : «dater finement la grande qualité de l’historien».

Le livre comporte six parties : ''Le premier moyen du progrès'', ''A l’école du monde'', ''Le goût de la découverte'', ''La quête de la santé'', ''La modernité des pèlerinages'', ''Le désir de jouir''. Ouvrage universitaire, il est complété de solides annexes : la présentation synthétique des sources, les notes (malheureusement, comme le veut la mode actuelle, repoussées en fin de livre !), une belle chronologie, et trois index (noms de personnes, noms de lieux, index thématique).

L'auteur repère et présente les différentes figures de voyageurs. Celle qui s’impose d’emblée est inévitablement la figure du touriste, mot qui apparaît en anglais vers 1780, en français vers 1810, et s’impose dans les années 1830 (Stendhal, Mémoires d’un touriste). La pratique du ''grand tour'' des élites aristocratiques anglaises se modifie, ouverte désormais à d’autres milieux, avec une géographie différente (un détour par la Suisse et ses paysages) ; le modèle s’épuise au début du XIXe siècle, remplacé par des voyages plus courts et moins lointains. Dans ce siècle de révolution industrielle, d’autres voyagent pour leurs métier tels les compagnons du tour de France dont les récits remportent un grand succès (Agricol Perdiguier, Livre du compagnonnage - 1839 ; George Sand, Compagnon du Tour de France - 1841). Succès qui s’explique par plusieurs raisons mais entre autres car ces récits parlent du «peuple» (les compagnons) et de la France. Le XIXe siècle sera (en France comme ailleurs) le siècle des récits des «tours» à vocation pédagogique ; en France, le plus célèbre est sans aucun doute Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno (pseudonyme de Mme Fouillée, 1876). Le voyage peut ainsi renforcer le patriotisme.

Le pèlerin est lui aussi une figure traditionnelle, mais qui garde toute son importance, du voyageur. Alors qu'il est très étudié pour les périodes précédentes (Moyen Age et temps de la Réforme catholique), les historiens du XIXe siècle s’y étaient moins intéressés. Or cette période est celle du retour en masse des pèlerinages, facilités par l’avènement du chemin de fer, encadrés par des groupes efficaces, au premier rang la congrégation des Augustins de l’Assomption (fondée en 1845 par Emmanuel d’Alzon, surnommé le «commis voyageur des idées romaines»), encouragés par les apparitions mariales et les miracles dont Lourdes est l’exemple le plus connu.

Parmi les figures neuves au XIXe siècle encore : le voyageur de commerce, personnage haut en couleurs, que Balzac est l’un des premiers à avoir repéré dans L’Illustre Gaudissart, au métier différent du colporteur qui l’avait précédé. Un personnage sur lequel n’existe aucune étude monographique et dont la profession, nouvelle, s’organise au milieu du siècle, et que reprend au service de la république Gambetta («La crise du 16 mai 1877 constitua ainsi un mythe d’origine, par lequel furent noués les destins communs de la IIIe République et des voyageurs de commerce» - p.92). Autre figure, neuve également, du XIXe siècle : le malade, le curiste qui va prendre les eaux, les bains de mer, dans une géographie nouvelle, marquée par les saisons ; curiste qui est en général accompagné, et dont l’accompagnateur se livre à la distraction du tourisme. Tout un discours médical prend forme qui analyse les maladies du déplacement : liées à l’éloignement de son pays, celles qui ont pour symptôme le goût du voyage, celles provoquées par le voyage. Dans les années 1870, le docteur Foville invente la catégorie des ''aliénés voyageurs'', alors que le goût excessif des voyages se voit nommé ''apodémalgie''. Des guides à destination des malades sont édités, tels en 1864 le Guide médical et hygiénique du voyageur, en 3 volumes, du docteur Decaisne. Entre autres effets bénéfiques du voyage, il permet d’apaiser le spleen, ou encore à la fin du siècle ce mal qui reçoit un nouveau nom : la neurasthénie. Cependant, dans la même période, les médecins s’inquiètent également des maladies contagieuses que peuvent rapporter les voyageurs de pays lointains. Adrien Proust, le père du romancier, inspecteur général des Services sanitaires de France, est l’un des premiers en France à se préoccuper de ces questions dans son ouvrage paru en 1873 : Essai sur l’hygiène internationale, ses applications contre la peste, la fièvre jaune et le choléra asiatique (p.312).

Les voyages sont également le lieu de découvertes de pratiques scientifiques neuves : ainsi l’anthropologie, même si plus tard Lévi-Straus inscrit en incipit de Tristes Tropiques son célèbre : «Je hais les voyages et les voyageurs». Un genre littéraire neuf nait : celui du monde perdu, illustré entre autres par Conan Doyle et Rider Haggard. Dans un esprit voisin, marqué par le goût de la découverte et la curiosité, apparaît le reporter (mot repéré dans les années 1820). Autres formes neuves : l’enquête sociale, les voyages d’étude, en particulier à l’étranger ; visiter les prisons et comparer les systèmes pénitentiaires est une pratique fort en vogue dans le premier XIXe siècle (on parlera même à ce propos de «tourisme pénitentiaire»), pratique à laquelle se livrent Gustave de Beaumont et Alexis de Tocqueville, partis aux États-Unis entre mai 1831 et février 1832, ce qui permettra au second d’écrire De la démocratie en Amérique(1835). Toutefois, l’intérêt du voyage d’études déclinera avec Durkheim qui veut que l’enquête sociale soit désormais fondée sur les statistiques.

Cette curiosité inhérente au voyage se porte sur des lieux neufs, ainsi les musées, parcourus par une autre figure de voyageur : l’artiste, pour lequel des guides sont rédigés (en 1850, un Guide du voyageur et de l’artiste à Fontainebleau, p.177). Les visites au musée deviennent un but de voyage, tandis que le modèle du musée monde s’impose : le Louvre à Paris, le British Museum à Londres et, à partir de 1841, la construction de la Museumsinsel à Berlin.

A tous ces voyageurs, héritiers infidèles de la pratique aristocratique du grand tour, sont fournis des guides, des précis, des conseils. Toute une littérature pour préparer son voyage et en tirer le meilleur profit, mais aussi des lectures pour tromper l’ennui durant le temps des transports, avec le développement des bibliothèques de gare et de la littérature qui l’accompagne. Sylvain Venayre montre bien l’évolution qui, des «arts apodémiques» (arts de bien voyager) de la Renaissance, conduit aux pratiques du XIXe siècle : de Montaigne à l’inénarrable famille Fenouillard campée par le dessinateur Christophe (La famille Fenouillard : «ouvrage destiné à donner à la jeunesse le goût des voyages», publié dans le Petit Français illustré en 1889).

Voyager exige aussi de rendre compte de son voyage, de se livrer à l’exercice du carnet de voyage, éventuellement illustré de dessin, pratique masculine mais tout autant féminine. Car les femmes apparaissent aussi dans ce paysage et Sylvain Venayre les repère et les montre, traque la féminisation du vocabulaire, tel le mot exploratrice qui apparaît vers 1870/80, analyse les rôles qui leur sont dévolus.

Pour lui, la mutation la plus éclairante dans la pratique du voyage et la figure du voyageur est sans aucun doute le plaisir neuf à voyager qui définit le touriste du XIXe siècle et apparaît dans de nouvelles pratiques comme celle du voyage de noces dans les années 1870, alors que le mot ''sport'' venu de l’anglais s’impose dans la même période. On constate la démocratisation du tourisme avec ses avantages et ses inconvénients, un touriste soucieux de rapporter des objets souvenirs... L’objet, comme la littérature de voyage, acquiert la fonction de «prolonger la jouissance intime du voyage», et le récit de voyage y gagne un statut littéraire officiel.

Une réflexion rigoureuse très stimulante sur une pratique qui nous est devenue familière mais que l’on voit se construire ici. Un ouvrage bien écrit ; au plaisir de la découverte intellectuelle, s’ajoute celui de la lecture qui lui ouvre un public beaucoup plus large que le seul milieu universitaire. Les éditions des Belles lettres publient simultanément un second ouvrage de Sylvain Venayre qui permet de mieux comprendre les enjeux scientifiques du livre : Disparu ! Enquête sur Sylvain Venayre.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 13/11/2012 )
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