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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Une généalogie de la violence politique
Gilles Ferragu   Histoire du terrorisme
Perrin - Tempus 2019 /  11 € - 72.05 ffr. / 570 pages
ISBN : 978-2-262-07935-2
FORMAT : 11,2 cm × 17,7 cm

Première publication en mars 2014 (Perrin)

Gilles Ferragu collabore à Parutions.com

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur habilité de l'université de Paris I, Thierry Sarmant est conservateur en chef au Service historique de la Défense. Spécialiste de l'histoire de l'Etat, il a publié en dernier lieu une biographie de Louis XIV, Louis XIV homme et roi (Tallandier, 2012), 1715 : la France et le monde (Perrin, 2014) et Vincennes. Mille ans d'histoire de France (Tallandier, 2018).

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Depuis le 11 septembre 2001, le terrorisme fait partie de notre vie quotidienne. Dans les pays occidentaux, la lutte contre les réseaux terroristes a affecté la fiscalité, les taux des assurances, la législation sur les correspondances et la circulation, et démesurément accru les moyens et les pouvoirs des organes de sécurité et de renseignement. Le terrorisme a pour corollaire l'«antiterrorisme» ou pour reprendre la phraséologie du président G. W. Bush, la «croisade globale contre le terrorisme».

L'enquête de Gilles Ferragu invite à dépasser cette phraséologie pour comprendre le phénomène au-delà des jugements moraux et des constructions juridiques. L'auteur établit tout d'abord que le terrorisme, tel que nous le connaissons, n'est pas de toute éternité. Le mot apparaît dans le Dictionnaire de l'Académie française en 1798, pour qualifier un régime politique gouvernant par la terreur, en référence à la Terreur des années 1793-1794. La chose - l'usage de la violence politique comme arme des faibles - est plus récente encore : née au XIXe siècle, elle est un produit de l'ère des masses et des révolutions.

La généalogie du terrorisme le fait descendre du régicide ou du tyrannicide : un homme seul ou un petit groupe d'hommes décidés élimine un dirigeant néfaste. La pratique existe dans toutes les cultures et ne manque pas de théoriciens, penseurs antiques ou chrétiens, pour la justifier. Le glissement de l'attentat tyrannicide à l'attentat terroriste commence au lendemain de la Révolution française. Le 24 décembre 1800, un attentat dirigé contre Bonaparte, rue Saint-Nicaise, manque son but, mais la charrette piégée visant le premier consul fait quatre morts, de nombreux blessés et d'énormes dégâts matériels. La novation technique - la bombe qui se substitue au poignard ou au pistolet - entraîne une novation politique : les «dommages collatéraux», l'effet de stupeur sur l'opinion... et son exploitation immédiate par un pouvoir déjà «antiterroriste».

On assiste, dans les décennies qui suivent, à un déplacement ou à un élargissement des cibles de la violence politique. Une épidémie de régicides ou de tyrannicides se répand à travers l'Europe et l'Amérique entre 1814 et 1914, visant les rois, les empereurs, les présidents. Bombes ou «machines infernales» aidant, les attentats se font de plus en plus sanglants : l'attentat de Fieschi, le 28 juillet 1835, rate Louis-Philippe, mais tue dix-huit personnes, dont le maréchal Mortier. L'attentat d'Orsini, le 14 janvier 1858, manque Napoléon III, mais entraîne douze morts et 144 blessés. Surtout, la violence politique ne vise plus seulement le tyran, réel ou supposé, mais frappe aussi ses suppôts. Le dramaturge réactionnaire Kotzebue, assassiné à Mannheim le 23 mars 1819, est le premier d'une longue liste. Dans la Russie des années 1870 et 1880, les nihilistes ne visent plus seulement le tsar mais aussi les grands-ducs, les ministres, les chefs de la police. On passe de l'attentat isolé à la série d'attentats.

La France inaugure le régime moderne du terrorisme un peu plus tard, dans les années 1880 et 1890, quand la violence politique ne vise plus exclusivement des personnes, mais plus largement les lieux de pouvoir ou les classes sociales dominantes : le 20 octobre 1881, un anarchiste tire sur un «bourgeois» pris au hasard, croisé à Neuilly ; le 5 mars 1886, un autre anarchiste jette une bombe dans la salle de la Bourse ; le 9 décembre 1893, Auguste Vaillant lance une bombe dans l'enceinte de la Chambre des députés ; le 2 février 1894, une autre bombe frappe les bourgeois du café Terminus, «cette masse bête et prétentieuse qui se range toujours du côté du plus fort».

Des liaisons souterraines peuvent rattacher terrorisme et «terreur d'État». Les services chargés de lutter contre les terroristes font usage de la manipulation et de la provocation, comme dans la Russie des tsars, où l'on en arrive à ne plus toujours savoir qui manipule qui. Il conviendrait cependant de distinguer, davantage que ne le fait Gilles Ferragu, une violence d'État, qui a toujours existé, d'une terreur d'État, propre aux organisations politiques contemporaines et aux États totalitaires.

Dans l'histoire du terrorisme comme dans l'histoire générale, 1914 marque une rupture. À un premier âge du terrorisme, principalement politique et social, succède un second âge de la violence, aux motivations plus diversifiées, politiques et sociales, mais aussi nationales, religieuses ou sectaires. Le terrorisme s'affirme comme l'arme du faible contre le fort : Irlandais contre Anglais, Arméniens contre les Turcs, Français occupés contre Allemands occupants, Juifs contre Britanniques, Algériens contre Français, Palestiniens contre Israéliens, Islamistes contre les Américains et les régimes qui leur sont inféodés. Avec la diffusion de nouveaux moyens de destruction, la cible devient de plus en plus diffuse. Le terrorisme se définit désormais par l'universalité de ses victimes, en une dilatation absolue du tyrannicide originel. Et cette arme s'avère parfois efficace. Israël lui doit sa naissance, l'Irlande et l'Algérie leur indépendance, le Hezbollah son hégémonie sur le Liban.

Depuis l'effondrement des Tours jumelles, le terrorisme international est volontiers associé, dans l'opinion, à l'extrémisme islamiste. L'enquête de Gilles Ferragu rappelle opportunément que les méthodes et les doctrines terroristes ont été élaborées en Occident. Par une ironie assez noire, leur adoption par d'autres cultures apparaît ainsi comme une manifestation de l'emprise croissante de la civilisation occidentale sur le reste du monde.


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 29/04/2019 )
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