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Des décisions délibérées
Gerd Krumeich   Le Feu aux poudres - Qui a déclenché la guerre en 1914 ?
Belin 2014 /  23 € - 150.65 ffr. / 299 pages
ISBN : 978-2-7011-9090-7
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

L'auteur du compte rendu : administrateur territorial, agrégé d’histoire et diplômé en Etudes stratégiques, Antoine Picardat a enseigné dans le secondaire et en IEP, et travaillé au ministère de la Défense. Il est aujourd’hui cadre en collectivité territoriale.
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Cent ans après, la question de la responsabilité du déclenchement de la Première Guerre mondiale n’est pas close et continue de susciter des discussions et parfois même des controverses. L’enchaînement des faits, notamment entre le 28 juin, attentat de Sarajevo, et le 4 août, date à laquelle les principales puissances sont toutes entrées en guerre, est bien connu. Mais les débats portent sur leur analyse et sur la compréhension des desseins de chacune des puissances et de la portée exacte de leurs différentes actions. La disproportion entre le fait déclencheur, l’attentat, et ses conséquences désastreuses, une guerre mondiale qui fit dix millions de morts et ruina l’Europe, fascine et horrifie à la fois. La rapidité de l’enchaînement et sa complexité, avec le jeu diplomatique croisé de cinq puissances majeures, en font un cas d’école de crise internationale.

La publication du Feu aux poudres ne relève donc pas du seul opportunisme éditorial. Le centenaire est bien entendu l’occasion, mais le sujet mérite à coup sûr une nouvelle synthèse. Celle-ci est d’autant plus intéressante pour un lecteur français qu’elle est l’œuvre d’un historien allemand, qui figure parmi les spécialistes les plus réputés de la Première Guerre mondiale dont il a contribué, avec Jean-Jacques Becker, Jay Winter ou encore Stéphane Audouin-Rouzeau, à renouveler en profondeur l’approche et la compréhension.

L’ouvrage de Gerd Krumeich se décompose en trois parties. La crise de l’été 1914 ne pouvant être comprise hors de son contexte, Gerd Krumeich consacre la première partie de son livre, une petite cinquantaine de pages, à la situation politique de l’Europe dans les années d’avant-guerre. On y trouve les alliances, les crises des Balkans, l’impérialisme européen et les rivalités coloniales, notamment les deux crises marocaines, l’agitation nationaliste dans la plupart des pays, les rapports de force militaires et les plans de campagne des principales puissances. Il en ressort que l’Allemagne a joué d’une part un rôle essentiel dans la dégradation de la situation internationale, et d’autre part que ses dirigeants étaient obsédés par la peur de l’encerclement et du déclin relatif de leur puissance, notamment face à celle grandissante dans tous les domaines de la Russie.

La deuxième partie porte sur la crise elle-même, du 28 juin au 4 août, de l’attentat à la guerre. Gerd Krumeich se concentre sur les trois acteurs principaux selon lui : Autriche-Hongrie, Allemagne et Russie. L’Angleterre et surtout la France sont présentées comme très en retrait et nullement motrices dans la crise. L’auteur expose méthodiquement et clairement la manière dont l’Autriche-Hongrie décide d’utiliser l’attentat pour régler son compte à la Serbie et comment l’idée d’une guerre localisée défendue par l’Allemagne échoue complètement et aboutit à la réalité d’un conflit européen généralisé. Les quelques quarante pages d’annexes sont à rattacher à cette partie, puisqu’elles contiennent plusieurs documents essentiels de la crise, comptes-rendus de réunions de cabinets ou notes diplomatiques, qui sont une partie de l’abondant matériel historique sur le sujet.

La dernière partie, à laquelle il faut rattacher certaines pages de l’introduction qui abordent déjà cette question, porte sur le débat historiographique sur les responsabilités de la guerre, qui se trouve précisément être le cœur du livre. Il n’est d’ailleurs pas tout à fait exact de parler de débat historiographique, puisqu’il a commencé dès l’automne 1914, avec la publication par toutes les puissances concernées de quantités de documents diplomatiques destinés à rejeter sur l’autre camp la responsabilité du déclenchement du conflit. Mais à partir des années 20, c’est bien d’histoire et d’historiens, comme Pierre Renouvin, qu’il s’agit. Depuis cette époque, le débat a toujours tourné autour de la responsabilité de l’Allemagne, tantôt désignée comme principale, sinon seule responsable, tantôt considérée comme responsable au même titre que d’autres puissances, et parfois même moins que d’autres, notamment que la Russie.

Tout au long de son travail, Gerd Krumeich se concentre sur les décideurs et ignore délibérément les opinions publiques, considérant qu’elles ne jouèrent aucun rôle dans la crise. Il donne également la priorité à l’étude des décisions allemandes, ce qui est compréhensible compte tenu de sa thèse et du fait que son livre était destiné en priorité au public allemand. Pour lui, l’Allemagne porte bien la responsabilité principale du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Elle est tout d’abord responsable d’avoir laissé l’Autriche-Hongrie faire le choix de la guerre en réponse à l’attentat de Sarajevo, en faisant le pari que le conflit resterait localisé mais en prenant le risque qu’il devienne général. Elle n’a ensuite entrepris aucune action diplomatique sérieuse pour éviter la généralisation du conflit lorsqu’elle est devenue probable. Enfin, elle a même, à partir d’un moment, fait en sorte que la guerre éclate. Poussés par les militaires, qui avaient pris l’ascendant psychologique et politique, les dirigeants allemands en étaient venus à penser que, quitte à ce qu’une guerre éclate, mieux valait que cela soit maintenant quand l’Allemagne était encore la puissance continentale dominante que quelques années plus tard, quand la Russie l’aurait peut-être dépassée. D’autre part, le plan de guerre allemand, le fameux plan Schlieffen, prévoyait de commencer les opérations contre la France, avant de se retourner contre la Russie. Il n’y avait pas de plan de rechange et il fallait donc que la guerre éclate sur les deux fronts en même temps.

La présentation du débat historiographique depuis cent ans est la partie décevante de l’ouvrage. Elle est courte, une vingtaine de pages, et ignore totalement ses évolutions depuis les années 1960. Elle ne traite par exemple pas de l’ouvrage de l’historien australien Christopher Clark, Les Somnambules, paru en 2012, et qui connut un vif succès dans les pays anglo-saxons et en Allemagne, avec une thèse très différente de celle de Krumeich, à savoir une responsabilité principalement russo-serbe, et qui présente l’Allemagne comme une puissance plutôt pacifique, mais victime d’une enchainement qu’elle n’a pas su maîtriser, mais qu’elle n’a pas non plus souhaité ni activé. S’il s’agit d’une vision très discutable, c’est sa réception qu’il aurait été intéressant d’étudier, car elle marque sans doute une étape importante dans la manière dont l’Allemagne d’aujourd’hui regarde son passé, au-delà du nazisme, l’autre catastrophe du XXe siècle.


Antoine Picardat
( Mis en ligne le 23/12/2014 )
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