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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Didier Fischer Le Mythe Pétain Flammarion 2002 / 20 € - 131 ffr. / 330 pages ISBN : 2080683047 Imprimer
Le recours au sauveur répond volontiers à lidée quun peuple ne peut se redresser quau prix dun rétablissement politique et moral à proportion du traumatisme subi. La figure de lhomme providentiel a croisé à plusieurs reprises les chemins de lhistoire de France, souvent à ses heures les plus tragiques. Selon Didier Fischer, ce fut le cas, le 16 juin 1940, lorsque la France fit appel au maréchal Pétain, traumatisée par une défaite dune rapidité et dune ampleur sans précédentes. Ce choix, qui paraît dune évidence rebattue au regard de la situation politique, militaire et morale du pays, ne simposait peut-être pas autant aux contemporains du désastre.
Lauteur part à la recherche des raisons profondes et immédiates du processus qui conduisit le vainqueur de Verdun à la tête dun État français réactionnaire. Comment ce vieillard de 84 ans parvint à escalader le sommet de cette pierre levée à la hâte au milieu des décombres dune République vaincue et honnie, sinon dans son principe, du moins dans sa forme et sa représentation, par une opinion publique déboussolée et décousue? Comment et pourquoi les Français adhérèrent si vite et massivement à la personne de ce vieux soldat blanchi sous le harnois des armes et de la politique, se rassurèrent-ils dans son regard céruléen, réglèrent-ils leurs sextants quelque peu déréglés sur ces «sept étoiles de France»?
Ce livre est avant tout la déconstruction, la compréhension régressive, dun mythe qui se situe au coeur de limaginaire politique de la guerre et de laprès-guerre, mais puise sa source plus en amont. Ses structures sont anciennes et senracinent progressivement par le biais de ladhésion dune large part de la population. Le «mythe Pétain» sébauche en effet à travers les différentes figures (toutes hautement symboliques, mais apportant chacune sa touche spécifique) que prend lhomme : le chef militaire victorieux, le héros national, le maréchal, lacadémicien, le ministre, lambassadeur.
Militaire respecté comme tant dautres et proche de la retraite aux débuts de la guerre 1914-1918, Philippe Pétain sort brutalement dun relatif anonymat le temps dune bataille. Il se distingue par ses qualités de stratège mais aussi de chef autorisé et apprécié par des troupes jusqualors en proie aux défaites et à une crise morale accusée. Une des conditions de la construction du mythe est la brièveté et la densité symbolique de son événement fondateur. Si lopinion associait Foch à une guerre gagnée, elle regardait Pétain à laune dune seule bataille remportée. Le «vainqueur de Verdun» était né pour ses contemporains, le «Pétain de 17» viendrait plus tard sinon absoudre le chef de lÉtat français, du moins en atténuer limage de traître dans lesprit et le discours de ses défenseurs nostalgiques.
Volontiers loué par la presse de lentre-deux-guerres, le maréchal Pétain gagne une stature nationale que vient renforcer la disparition progressive des autres héros de la Première Guerre mondiale et conforter sa participation au gouvernement de Doumergue. Cette expérience politique, complétée cinq années plus tard par son ambassade madrilène, ajoute, selon lauteur, à limage de héros aux faits darmes si prestigieux une dimension de possible recours politique et moral.
La défaite de 1940 propulse Pétain à la tête de lÉtat français et le campe provisoirement dans la posture de sauveur dont la gloire, lexpérience et lautorité étaient promptes à rassurer un peuple vaincu et désorienté. Pour autant, sagit-il véritablement de la «réalisation» du mythe de lhomme providentiel ou plus simplement de lirruption consentie dune autorité morale, dune figure paternelle dans le sombre horizon dune opinion orpheline? Il est à parier quaucune explication totalement ignorante de lautre nest satisfaisante. Sil y eut bien lébauche dun mythe Pétain ancré à Verdun, il y eut surtout une «offre» Pétain - «Cest Pétain quil nous faut» déclara Gustave Hervé en 1935 -moins portée par un imaginaire doré que mise en exergue par leffondrement du régime républicain et de tout un pays.
Jérôme Cotillon ( Mis en ligne le 25/01/2003 ) Imprimer | | |
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