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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Vichy sous l’objectif : photographie et propagande | | | Françoise Denoyelle La Photographie d'actualité et de propagande - sous le régime de Vichy CNRS éditions 2003 / 39 € - 255.45 ffr. / 420 pages ISBN : 2-271-06131-8 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Au regard de lampleur des publications concernant le régime de Vichy dans tous ses aspects, on a parfois limpression que le sujet est près dêtre tari. Cest pourtant loin dêtre le cas et louvrage de Françoise Denoyelle, maître de conférence à lENS Louis Lumière, illustre un nouvel aspect peu connu dune période qui, décidément, hante les historiens. La propagande par limage est certes un sujet bien exploré, grâce à de nombreuses publications (signalons entre autres le riche catalogue de lexposition organisée par la BDIC en 1988)
mais le cas de la photographie était étrangement absent. Cet ouvrage comble heureusement une lacune, mais son utilité est loin de se limiter à cette problématique.
Demblée, Françoise Denoyelle - résumant ses travaux précédents - constate que dès les années 30, et contrairement à lAllemagne où la photographie a nettement conquis sa place dans le débat idéologique (Goebbels comme Heartfield sillustrent en ce domaine), le milieu artistique français engagé en particulier les surréalistes naccorde guère dintérêt à la photo ni aux photographes (à quelques exceptions notables). Cette moindre sensibilité expliquerait le peu dattention porté par la suite à cet outil médiatique, que ce soit par les gouvernements de la IIIe République agonisante, ou par le régime de Vichy. Du reste, la révolution nationale dans ses premiers temps se montre assez éloignée dune conception «moderne» de la communication politique et ce nest pas un hasard si la photo ne conquiert que fort lentement un statut de propagande, notamment via les portraits du maréchal Pétain. Par ailleurs, Vichy se passionne trop pour les conflits dantichambres pour pouvoir élaborer une politique suivie en ce domaine.
Il sensuit un exposé fort éclairant concernant lorganisation de la propagande en France, de 1939 à 1944, avec, en creux, une première réflexion sur le rôle assez mince accordé à la photographie. Ce nest pourtant pas faute dinstitutions dédiées à la communication politique (depuis le commissariat général de linformation de Giraudoux, jusquau secrétariat général de linformation et de la propagande dHenriot) ni de bonnes volontés. En loccurrence, la figure de Georges Reynal illustre certaines ambiguïtés du régime : cet ancien combattant, maréchaliste fervent et résistant de la première heure au sein de lORA Organisation de Résistance de lArmée - (ce qui lui vaudra la déportation à Buchenwald), se révèle un propagandiste ambitieux ainsi quun amateur éclairé convaincu de lenjeu photographique. En janvier 1941, soutenu par le docteur Ménétrel, il met en uvre le Service central photographique, qui, sans véritable autonomie institutionnelle, parvient néanmoins à se prévaloir dune réelle expérience administrative et technique pour sopposer aux projets allemands concernant les agences françaises et élaborer une propagande conséquente. La tâche est du reste aussi vaste que variée, tant les conditions diffèrent de la zone sud à la zone nord. Finalement, cette officine de la propagande photographique du régime, où lon fait également de la résistance, est fermée en 1944, après avoir témoigné de la Libération : le temps de la Documentation française est venu.
Il ne faudrait toutefois pas borner cette problématique au seul régime de Vichy : à Paris, les agences photographiques anciennes et récentes, françaises et étrangères, bénéficient largement de loccupation et collaborent avec les Allemands ou avec Vichy (le visa de censure, obligatoire, impose cette collaboration). Écartelées entre les projets de fusion de la Propaganda Staffel et les idées réorganisatrices du SCP, les agences travaillent dans un sens ou un autre, selon leurs convictions et surtout selon leurs intérêts (signalons tout de même le cas particulier de lagence Keystone, qui, la seule, sillustre dans la résistance). La thèse de Françoise Denoyelle montre dailleurs tout le profit que ces agences ont pu tirer de la défaite et de loccupation. Cette dimension économique vient nuancer la pauvreté artistique - déplorée par Reynal - ainsi que le piètre enthousiasme idéologique : cest en Allemagne, quil faut rechercher une vraie politique photographique, y compris dexportation (et significativement, aucun photographe français nest envoyé sur les théâtres dopérations militaires). Denoyelle aborde également la question de laryanisation des entreprises parisiennes (alors même que quelques photographes indépendants, comme Willy Ronis ou Gisèle Freund, échappent à cette politique, nétant pas inscrits dans les registres du commerce). Elle sinsère par là dans une production historiographique renouvelée (Cf. La Caisse des dépôts et consignations, la Seconde Guerre mondiale et le XXème siècle, Albin Michel, 2003) dans la foulée du rapport Mattéoli de 2000.
Le secteur de la photographie aura également fait lobjet des velléités organisatrices de Vichy, via le ministère de la Production et du Travail, et sa Charte du Travail de 1941. Depuis la fabrication dappareils jusquau commerce des photos, cest une industrie à la fois cohérente et diversifiée que Vichy voudrait intégrer dans lindustrie du cinéma : contre ce projet, un comité national dorganisation provisoire de la photographie se met en place en 1941. La partie nest pourtant pas évidente et ce comité doit batailler pour conquérir une autonomie. Évoluant sous de multiples appellations (Comité dorganisation des laboratoires et studios photographiques, ainsi que conseil interprofessionnel de la photographie), il parvient à une existence officielle en juin 1945 sous létiquette de la Confédération française de Photographie
La Libération achève ainsi un projet né sous le régime précédent.
Dexcellente facture, cette étude très dense couvre donc la plupart des questions soulevées par loutil photographique, à la fois objet politique, artistique et économique, et cela à partir dun dépouillement darchives qui semble exhaustif. De plus, lauteur, en rappelant systématiquement la situation du secteur dans les années davant-guerre, démontre parfaitement le bouleversement opéré par la défaite ainsi que ses conséquences. Lévocation de lépuration et des années daprès-guerre permet enfin un bilan complet de la période, et conclut efficacement cette recherche. Si lon peut regretter par endroit la légèreté du cahier iconographique, il faut en revanche souligner la richesse des annexes qui éclairent un texte à la fois érudit et bien écrit. Au final, il s'agit là dune thèse fort intéressante, dont le titre ne dit peut-être pas lampleur, et qui comptera désormais parmi les ouvrages indispensables sur cette période.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 15/10/2003 ) Imprimer
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