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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Epure de la France occupée ?
Marc-Olivier Baruch    collectif   Une poignée de misérables - L'épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale
Fayard - Pour une histoire du XXe siècle 2003 /  26 € - 170.3 ffr. / 612 pages
ISBN : 2-213-61529-2
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte-rendu: Sébastien Laurent, agrégé et docteur en histoire, est maître de conférences à l’Université Bordeaux III et à l’IEP de Paris. Chargé d’études au Service historique de l’armée de terre, il consacre ses recherches depuis plusieurs années aux services de renseignements militaires et policiers aux XIXe et XXe siècles. Il est le fondateur de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com.
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Les balles qui frappent Pierre Pucheu à Alger en mars 1944 sont les premières des pelotons officiels d’exécution. La condamnation à mort de ce jeune ministre de l’Intérieur de Vichy avant même que les armées alliées ne libèrent le territoire est emblématique du souci précoce de juger ceux qui collaborèrent avec les Allemands. Mais les serviteurs zélés de l’occupant ont-ils été cette «poignée de misérables» dont parlait le général de Gaulle en octobre 1944 ?

L’objet de cet ouvrage collectif rassemblant vingt-et-une communications est de regarder, au-delà de la légende d’une France unanimement résistante qui s’installe dès la Libération, la réalité de la situation. Le travail collectif est impressionnant : presque tous les secteurs professionnels ont été scrutés et chaque contribution propose une dimension à la fois juridique et statistique. Sur le sujet de l’épuration, aux implications politiques, juridiques et mémorielles complexes, trop de livres partisans ou approximatifs ont été écrits pour que le sérieux de celui-ci ne soit pas souligné.

Une poignée de misérables permet de tirer des enseignements passionnants sur l’attitude des Français au cours de la guerre mais sûrement plus encore sur la façon dont l’Etat et la société ont géré cet héritage encombrant. Ce n’est pas l’épuration spontanée et illégale de l’été 1944 dont on connaît maintenant assez bien les contours, qui est disséquée mais l’épuration officielle, judiciaire et administrative, entre l’été 1944 - début de l’installation des commissaires de la République - et 1953 - année marquée par la dernière loi d’amnistie. Au-delà des quelques dizaines de procès en Haute cour de Justice pour les responsables politiques et les hauts fonctionnaires de Vichy, ce sont les commissions d’épuration et les chambres civiques qui ont le plus travaillé.

L’on savait depuis les années 1950 que le chiffre de 100 000 exécutions sommaires, avancé par les nostalgiques de Vichy, n’était qu’un slogan destiné à masquer une tentative de retour politique et que le chiffre réel devait être divisé par dix. C’est par l’activité des multiples instances judiciaires et administratives que l’on peut mesurer l’implication de l’Etat en matière d’épuration. L’ouvrage énonce des chiffres impressionnants : 350 000 dossiers furent instruits par les cours de justice, débouchant sur 125 000 procès. 95 000 personnes furent frappées «d’indignité nationale» et près de 30 000 fonctionnaires sanctionnés. L’un des enseignements majeurs de cet ouvrage est que l’épuration ne concerna donc pas une «poignée» d’individus mais bien au contraire qu’elle fut un «phénomène social massif» (p.532) comme l’indique Marc-Olivier Baruch.

Pour autant, les procès de l’épuration ne fonctionnent pas comme un miroir parfait de la réalité de l’Occupation. L’épuration en dit finalement plus sur la longue sortie de guerre du pays que sur la France occupée. En effet, les jugements ont inévitablement interféré avec le climat politique, avec certaines campagnes d’opinion mais aussi avec les enjeux propres à chacune des professions. A cet égard, les études confirment les hypothèses antérieures en mettant notamment en avant le fait que l’épuration fut particulièrement sévère dans certains domaines de l’administration (police, magistrature, armée). Il ressort également de l’ouvrage que l’après-guerre fut une période d’étonnant foisonnement juridique : pas moins de cent neuf ordonnances et lois (dont la liste exhaustive figure en annexe) prises entre 1943 et 1953 et de très nombreux arrêtés et décrets encadrèrent l’épuration. Le droit administratif est par nature contentieux et l’épuration des commissions donna lieu à de multiples recours. A cet égard l’étude par Alain Bancaud et Marc Olivier Baruch des décisions du Conseil d’Etat à propos de l’épuration administrative est tout à fait novatrice. En évoquant la «désépuration», ils montrent tous deux que cette autorité eut à faire le partage, parmi les fonctionnaires, entre ceux qui relevaient selon elle de fonctions politiques (les directeurs de cabinets ministériels), et ceux relevant de fonctions administratives (les directeurs de ministère et les préfets), permettant ainsi de très nombreuses réintégrations de fonctionnaires sanctionnés dès la Libération. L’épuration ne fut donc pas seulement un processus morcelé entre les différentes administrations et les corps professionnels les plus variés; elle s’étira dans le temps jusqu’aux années 1970, bien au-delà de 1953.

A la lecture de ce grand livre l’on perçoit qu’au-delà d’un mot – l’épuration – c’est une réalité multiforme qui est en question, intéressant à la fois l’histoire de la société française, mais aussi celle du droit et celles des pratiques de l’Etat. Cet ouvrage associant l’histoire du droit à celle des groupes socioprofessionnels et à l’histoire culturelle propose ainsi une nouvelle façon de faire l’histoire de l’Etat.


Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 07/11/2003 )
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