| Stuart-E. Eizenstat Une justice tardive - Spoliations et travail forcé, un bilan de la Seconde Guerre mondiale Seuil - L'Epreuve des faits 2004 / 23 € - 150.65 ffr. / 412 pages ISBN : 2-02-059156-1 FORMAT : 15x24 cm
L'auteur du compte rendu : Claire Laux est maitre de conférences en histoire contemporaine à L'université de Bordeaux III, et l'auteur d'une thèse sur les missions en Océanie.
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Lancien ministre des Finances de Clinton, Stuart E. Eizenstat, livre un témoignage personnel de tout premier ordre sur les longues et très délicates négociations qui ont abouti à une série daccords de règlement définitif de lindemnisation des victimes des spoliations nazies et du travail forcé. De tout premier ordre, car Eizenstat a reçu du président Clinton la redoutable mission de conduire les négociations. Cest par hasard que cet avocat, éminent membre des administrations démocrates, se voit confier cette mission. Lélection de William Clinton laisse espérer à lancien principal conseiller politique de Jimmy Carter le porte-feuille de sous-secrétaire dEtat chargé des Affaires européennes. En dernière minute, il est écarté de lentourage immédiat du président, comme tous les anciens proches de Carter, la nouvelle administration souhaitant éviter tout amalgame avec cette présidence. En 1993, Eizenstat est donc envoyé à Bruxelles comme ambassadeur auprès de lUnion européenne, ce qui nest pas dailleurs un poste insignifiant. En 1995, Washington le nomme, en outre, ambassadeur extraordinaire en Europe de lEst, avec mission dencourager la restitution des biens confisqués aux communautés religieuses par les nazis, puis nationalisées par les communistes. Cette mission «spéciale», conçue comme limitée à quelques mois, va en fait occuper Eizenstat jusquen 2001. Leffondrement de la dictature soviétique et la chute du rideau de fer libèrent les justes revendications des victimes du nazisme, bâillonnées par cinquante ans de terreur communiste. Eizenstat se trouve au cur des négociations relatives aux victimes de lavidité helvétique, aux biens culturels en déshérence, à lindemnisation des travailleurs forcés et esclaves des nazis.
Hasard ou prédestination ? Déjà à lépoque de Carter, Eizenstat avait joué un rôle essentiel dans la création du musée de lHolocauste à Washington, lequel, après bien des difficultés, est finalement inauguré par le président Clinton. Lui-même descendant de juifs russes et lituaniens immigrés aux Etats-Unis depuis deux générations, Eizenstat découvre peu à peu que des membres de sa famille, demeurés en Europe, ont été exterminés par les nazis. Il sait toutefois conserver son objectivité et une grande rigueur danalyse. Cette impartialité lui vaut dêtre considéré au fil des ans comme un excellent médiateur, capable de concilier les points de vue radicalement opposés des parties en conflit et de parvenir à un accord, imparfait certes, mais réaliste.
Sans complaisance avec lui-même, ni avec son propre pays, il en relate, dans un style alerte, les détails, les chicaneries, les bassesses, mais aussi les moments grandioses, sans jamais pour autant perdre de vue lessentiel, à savoir le devoir de rendre justice, même imparfaitement, à tous ceux qui ont été martyrisés par les nazis. Quelques survivants, dignes et émouvants, forcent le respect et imposent le silence même au cours des réunions les plus houleuses. Eizenstat brosse en quelques traits précis les portraits des principaux protagonistes.
Il incarne une diplomatie pragmatique et humaniste qui entend servir la plus noble cause qui soit : la justice. On retrouve là le messianisme propre aux Américains, surtout sils sont démocrates. Toutefois, aucune morgue ou arrogance de la part du ministre : sil a clairement conscience de ce quil faut bien le poids de la superpuissance mondiale pour obtenir que justice soit rendue, il parvient, autant que possible, à éviter que les «méchants» ne soient humiliés par des sanctions ou des campagnes haineuses. Des difficultés quil a rencontrées dans la gestion de laffaire des banques suisses, il retire les leçons pour les négociations avec les Allemands et les Autrichiens.
Eizenstat donne une belle leçon doptimisme, lorsque lon voit les chemins tortueux et ardus quil a dû parcourir pour parvenir à ces accords. Son récit est fondamental pour qui veut comprendre la manière dont justice a été enfin rendue aux victimes de la Shoah. Comment peut-on régler humainement les irrémédiables souffrances causées par linhumain ? Sans doute en faisant preuve de toute la compassion possible et, surtout, en noubliant jamais ces millions dêtres dépouillés de leurs biens, de leur famille, de leur dignité, de leur intimité, de leurs rêves et, pour six millions dentre eux, de leur vie même.
Laissons conclure Elie Wiesel qui, dans sa préface, écrit avec une grande justesse : «Le véritable sujet de ce livre, où se côtoient suspense et émotion, intrigues politiques et diplomatie internationale, nest [
] pas réellement largent. Plus profondément, ce livre parle de quelque chose dinfiniment plus fondamental et significatif : limportance et la valeur morale du souvenir».
Claire Laux ( Mis en ligne le 07/04/2004 ) Imprimer
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