| Myriam Chimènes Mécènes et musiciens - Du salon au concert à Paris sous la IIIe République Fayard 2004 / 30 € - 196.5 ffr. / 776 pages ISBN : 2-213-61696-5 FORMAT : 15x24 cm Imprimer
Si les salons littéraires ont joué un rôle déterminant dans la vie politique du XVIIIe siècle, assurément, les salons musicaux sont leur équivalent pour la vie artistique de la fin du siècle suivant. Cest ce que sattache à démontrer Myriam Chimènes, dans son récent ouvrage, Mécènes et musiciens, du salon au concert sous la IIIe République. Cette somme (plus de 700 pages) fourmille de détails sur la vie de ces espaces privés et publics accueillant les musiciens grâce à la passion, la générosité et au snobisme aussi de quelques uns.
La première partie de louvrage, qui en constitue aussi la majorité, décline sous tous ses aspects la notion de salon musical, de la quasi-institution hebdomadaire, aux «bufs» qui simprovisaient chez tel musicien, peintre ou écrivain. La seconde, plus courte, se penche sur les espaces publics, et sur le mécénat à proprement dit, à travers le financement de concerts, lorganisation de soirées de charité, ou encore la commande duvres, à une heure où lEtat boude encore les spectacles et la création musicale, jugés trop élitistes.
Cest avec moult précisions (trop ?) que sont brossés les portraits de ces riches amateurs dart, qui ont concouru de manière irremplaçable au développement de la vie musicale. On sy retrouve dans latmosphère dun roman de Proust (nombre de ces mécènes ont dailleurs inspiré ses personnages), dans lambiance dun quartier vivant ses heures de gloire, autour du Parc Monceau. Certaines figures simposent au premier plan, telles la Princesse de Polignac, Marguerite de Saint Marceaux, Misia ou la Comtesse de Greffulhe. Dautres se perdent un peu dans labondance dinformations et de noms cités au fil des pages.
De grandes problématiques sociales se dégagent néanmoins, comme la place des femmes dans cette haute bourgeoisie et aristocratie de fin de siècle, limperméabilité des univers sociaux ou encore la politique culturelle de lEtat, en chantier, pour ne pas dire en germes. Dun point de vue plus musical, on notera le professionnalisme exceptionnel démontré dans ces salons : rendez-vous réguliers, programmes dactylographiés, ou même parfois, comme chez Martine de Béhage, vraies salles de concerts. Cur de lavant garde et de la création, ces salons sont aussi pour de nombreux artistes des moyens de simposer et de tisser le réseau de relations qui leur permettra de lancer leur carrière : Isadora Duncan, Ravel, Debussy, Satie, Diaghilev, Stravinsky, Satie et bien dautres doivent leur célébrité à la confiance que leur ont accordée ces précieux appuis, à linfluence radicale.
La démonstration de Myriam Chimènes est claire : que lon soit interprète ou compositeur même le défunt Wagner ! lentrée dans le monde musical passe par les salons, ce qui confère un rôle stratégique déterminant à ces mécènes. Le contraste est néanmoins grand entre les salons de réels amateurs, souvent eux-mêmes excellents interprètes, et ceux des «suiveurs», bruyants et snobs, où les musiciens se rendent sans enthousiasme, sur engagement de leur agent, en vue de consolider leur carrière.
Myriam Chimènes signe ici un ouvrage désormais indispensable sur le sujet, à la fois méconnu et passionnant. Outre la richesse des exemples et précisions au fil du texte, lauteur nous livre une abondante et indispensable bibliographie qui ravira tant le musicologue que lhistorien sintéressant au monde aristocratique et aux hautes sphères de cette période. On regrettera cependant quelle nait pas mis plus en en valeur les grandes problématiques, ou même défini plus précisément son objet : est-on mécène quand on paye un cachet à un musicien pour jouer chez soi ou le devient-on seulement quand cette action sétend à la sphère publique ? Alors même que lEtat tente de redynamiser le mécénat (dentreprise !) avec la loi du 2 août 2003, en relevant les incitations fiscales, cette question de la définition même de ce quest le mécénat et de ses motivations est au cur des débats. Méditons donc sur la figure passionnante de la Princesse de Polignac, qui, à travers ses commandes aux plus grands musiciens de son temps, dessina un répertoire, à la manière dun collectionneur.
Blandine Maléfant ( Mis en ligne le 25/05/2004 ) Imprimer
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