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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Erreurs stratégiques et méthode de l'histoire | | | Bernard Schnetzler Les Erreurs stratégiques du IIIe Reich - pendant la Deuxième Guerre mondiale Economica - Campagnes et stratégies 2004 / 19 € - 124.45 ffr. / 238 pages ISBN : 2-7178-4855-X FORMAT : 16x24 cm
Lauteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques, Antoine Picardat a été chargé de cours à lInstitut catholique de Paris et analyste de politique internationale au Ministère de la Défense. Il est actuellement ATER à lIEP de Lille. Imprimer
LAllemagne nazie pouvait-elle gagner la guerre ? Depuis plus de cinquante ans, nombre dhistoriens se sont penchés sur cette question. Ils partagent en général la conviction quelle disposait datouts militaires et stratégiques suffisants pour contrebalancer les handicaps bien connus du manque de ressources, de main duvre ou de la confrontation avec des adversaires gigantesques comme les États-Unis et lURSS. Chacun y va alors de son explication, cherchant le chaînon manquant dune victoire heureusement avortée. Lexercice est un peu futile, mais il est souvent passionnant et, sil est bien mené, peut déboucher sur des enseignements très intéressants.
Dans Les Erreurs stratégiques du IIIe Reich pendant la Deuxième Guerre mondiale, Bernard Schnetzler nous livre sa vision du problème et apporte ses réponses. Selon lui, lAllemagne aurait pu, voire aurait dû, gagner la guerre sur le front soviétique et/ou en Méditerranée. Même avec lentrée des Etats-Unis dans le conflit, sa situation stratégique aurait été alors suffisamment solide pour quelle obtienne, au pire, le match nul. Charmante perspective !
La quatrième de couverture nous apprend que Bernard Schnetzler «Fort dune triple formation et pratique de physicien, dinformaticien et dhistorien (
) a consacré plus de vingt ans, dans lombre,(
) à létude des questions stratégiques». Si le pedigree est original et surprenant, la lecture de louvrage a vite fait de convaincre du sérieux de son approche. Ses connaissances factuelles et techniques sont nombreuses et précises, et il a de toute évidence beaucoup réfléchi à son sujet avant décrire.
Alors pourquoi un tel gâchis ? Pourquoi la lecture de ce livre met-elle mal à laise ? Le ton tout dabord : agressif et suffisant, avec un goût prononcé pour le règlement de comptes permanent. Bernard Schnetzler multiplie les critiques, pas toujours anonymes, contre les auteurs incompétents, dilettantes, mal informés, incapables de sélever au niveau de la réflexion stratégique, quils confondent dailleurs avec le niveau opérationnel, voire tactique pour les cas les plus désespérés. Avec lui, tout le monde y passe, même Clausewitz, qui a pourtant peu écrit sur un conflit survenu plus dun siècle après sa mort (!), est tiré de lHadès pour se voir reprocher sa nullité. Quil y ait discussion ou polémique est normal, mais il devient vite pénible dêtre ainsi constamment pris à témoin, appelé à arbitrer entre les uns et les autres. Dautant quil apparaît rapidement que Bernard Schnetzler tient autant à la reconnaissance par tous de son talent, de ses compétences, de la dimension stratégique de ses analyses quau fond du débat. Il y aurait certainement des moyens plus élégants dassouvir une soif de reconnaissance.
Ensuite, cette manie de refaire lhistoire. Bien sur, le genre y pousse. Réfléchir à ce qui naurait pas dû être amène naturellement à envisager ce qui aurait pu être. Mais là, lauteur va souvent trop loin. Un exemple : si larmistice navait pas été signé en juin 1940, la Wehrmacht aurait débarqué en Libye avant la fin de lété, se serait rapidement emparé de lAfrique du Nord et de lÉgypte puis aurait réveillonné à Bagdad ! Pourquoi pas, mais laffirmation est gratuite. À ce stade là, il existe de très bons jeux, sur ordinateurs ou sur table, qui permettent de rejouer des situations historiques et parfois de leur donner toutes sortes de développements inattendus. Mais ceux qui sy adonnent savent quil sagit de jeux, ils ne prétendent pas détenir la vérité. Alors quici, tout y passe : si Hitler navait pas été Hitler, si Staline navait pas été Staline, si Churchill, Pétain, Franco, navaient pas été eux-mêmes ; si tout avait été différent, figure-vous que rien naurait été pareil. La belle affaire ! Lacharnement ad nomines ne se limite dailleurs pas aux auteurs, mais touche aussi les dirigeants de lépoque. Bernard Schnetzler fait léloge de Franco, le seul stratège du lot. Celui à qui nous devons la liberté (sic). Il est indulgent avec Pétain, qui, sans sen rendre compte, fit de bonnes choses pour la France et contribua à une issue favorable de la guerre (sic). Il déteste Churchill, un politicien raté (ce nest pas une révélation), un incapable en qui il voit un cas psychiatrique de paranoïa (page 155) ! Le clou du spectacle est une annexe, de quatre pages tout de même (sur 235), consacrée à la question passionnante de savoir ce quaurait donné une confrontation Churchill-Lénine ! À tomber de sa chaise ! On croirait lire un classement du siècle des plus grands champions cyclistes, où lon compare Merckx, Coppi ou Armstrong. Sauf que ceux qui établissent ces classements en connaissent les limites et ne se prennent généralement pas au sérieux.
Le match Churchill-Lénine est révélateur dun autre défaut, celui de séloigner du sujet. Que viennent faire neuf pages sur «la plus grande erreur stratégique de toute la guerre», à savoir Mers el-Kébir (sic), dans un livre consacré aux erreurs stratégiques du IIIe Reich, puisquil sagit dune «erreur» anglaise ? Même chose pour les douze (!) pages consacrées aux Conséquences politiques de la paix, essai écrit pas Jacques Bainville (1879-1936) en 1920 ? Longtemps mis à lindex, ce remarquable livre est aujourdhui redécouvert. Bernard Schnetzler le connaît. Bravo ! Il nous le fait donc savoir avec doigté. Il ny a en effet aucune autre raison pour mêler Bainville à tout cela. Quoi dautre ? Signalons quun chapitre entier est consacré aux erreurs des dirigeants civils et militaires de la France et au désastre du printemps 1940 et on aura compris que, soit le titre est mal choisi soit lauteur ne conçoit pas de limites lexpression de son savoir.
À part cela ? Que tirer de ce fatras ? Plusieurs réflexions intéressantes et assez convaincantes, qui nous rappellent que Bernard Schnetzler a sûrement des choses à dire, mais quil ne sait pas les dire. Le chapitre le plus intéressant, car le plus cohérent et le moins hors-sujet, est le premier, consacré au front soviétique. Lauteur y montre que Hitler commit lerreur de ne pas accepter à temps que cette guerre durerait plus que quelques mois et quil confondit objectifs militaires et économiques, privilégiant ceux-ci au détriment de ceux-là. Ce qui lui coûta certainement la victoire. Si, au lieu dessayer de prendre Moscou à tout prix avant la fin de 1941, larmée allemande avait établi ses quartiers dhiver fin octobre, sur des positions défensives, et attendu tranquillement le printemps en reconstituant ses forces, elle aurait probablement gagné la guerre lannée suivante. Il montre ainsi que lerreur ne fut pas de perdre du temps en détruisant les armées dUkraine en septembre, mais de ne pas savoir sarrêter à temps sur la route de Moscou. Loffensive de 1942 en direction du Caucase fut une autre erreur révélatrice. LAllemagne, qui disposait du pétrole roumain, navait pas besoin de celui de Bakou. Et plutôt que den priver lURSS, il aurait été plus efficace dadopter une stratégie directe et de détruire lArmée rouge. Quimporte ensuite que les Soviétiques disposent de ressources économiques pour poursuivre la guerre, sils navaient plus darmée pour cela.
De la même manière, Bernard Schnetzler montre bien que lAllemagne se lança trop tard dans la guerre totale, en 1943 seulement. Que Hitler aurait dû semparer de Malte, quitte à sacrifier pour cela ses parachutistes. Quil consacra trop de forces et de moyens à la bataille de lAtlantique ou à la défense de la Norvège, moyens qui manquèrent sur le front russe ou en Afrique du Nord, les deux théâtres où la guerre sest jouée. Au passage, il estime que les bombardements alliés sur le Reich jouèrent un rôle déterminant dans lissue du conflit, car ils contraignirent lAllemagne à consacrer une partie significative de son effort de guerre à la défense anti-aérienne, et que ces moyens manquèrent évidemment ailleurs.
Bref ! À Chacun de savoir sil réussit à surmonter lénorme obstacle dune forme franchement repoussante, pour aller creuser dans le fond et en extraire quelques échantillons de valeur
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 22/09/2004 ) Imprimer
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