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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Jean-Claude Farcy La Jeunesse rurale dans la France du XIXe siècle Editions Christian 2004 / 20 € - 131 ffr. / 220 pages ISBN : 2-86496-114-8 FORMAT : 14x21 cm
Lauteur du compte rendu : Ludivine Bantigny est agrégée et docteur en histoire. Elle enseigne à lInstitut dÉtudes Politiques de Strasbourg et à lIEP de Paris. Ses travaux portent sur lhistoire sociale et culturelle de la France dans la deuxième moitié du XXe siècle. Sa thèse, soutenue en 2003, sintitulait «Le plus bel âge ? Jeunes, institutions et pouvoirs en France des années 1950 au début des années 1960». Imprimer
Faire lhistoire de la jeunesse rurale au XIXe siècle est extrêmement difficile tant les archives sont rares. Jean-Claude Farcy le dit lui-même : cette entreprise tient de la gageure. Mais il relève cependant le défi, et ce en multipliant les sources et en croisant les approches : biographies et autobiographies sont évidemment très précieuses pour écrire cette histoire, de même que les écrits des folkloristes et des ethnologues. Lenquête sapparente parfois à une étude de type anthropologique, lorsquelle examine notamment les grandes étapes dinitiation, rites amoureux et apprentissages sexuels en particulier. Lauteur, que lon connaît aussi comme lun des grands spécialistes de lhistoire de la justice, utilise également les sources judiciaires, quil sait évidemment manier avec prudence : celles-ci ne dévoilent que les événements sortant en général de lordinaire.
Tout au long de louvrage, Jean-Claude Farcy se montre sensible au rapport entre autonomie, conditionnement et contraintes sociales. Il décrit le processus qui mène à une plus grande liberté pour les jeunes, tout en insistant sur le fait que cette liberté nouvelle, acquise progressivement au XIXe siècle, concerne surtout les murs et les loisirs, en bref la sphère privée. Dans le domaine du travail, les jeunes restent la catégorie la plus exploitée dans le monde rural, et ce bien que le nombre douvriers agricoles diminue au cours du siècle. En dépit, donc, du recul de la domesticité, «il nest pas exagéré de dire que les véritables prolétaires de la terre, ce sont les jeunes» (p.53). Cest, on le sent bien, un thème auquel tient beaucoup lhistorien, à juste titre ; il avait déjà souligné lampleur de cette exploitation très dure dans son article pionnier, «Jeunesses rurales dans la France du XIXe siècle», paru dans le numéro spécial de 1848. Révolutions et mutations au XIXe siècle consacré à la jeunesse, en 1992. Car il ne sagit pas pour Jean-Claude Farcy de faire de cette «jeunesse» un bloc : tout au contraire, dès les premiers chapitres de louvrage, lauteur décline les différenciations sociales existant parmi les jeunes ruraux. Quoi de commun en effet entre le berger ou petit «vaque-à-tout» et les fils et filles des élites rurales calquant le modèle bourgeois citadin ?
Ce qui frappe à la lecture de ce livre, cest de constater combien la force de contestation des jeunes est toujours mise au service de la communauté villageoise, et non utilisée contre elle. Bien sûr, les conflits intergénérationnels peuvent exister. Mais ils sont le plus souvent étroitement canalisés. En revanche, la violence juvénile, lorsquelle sexerce et lon notera que la délinquance des jeunes est cependant beaucoup moins importante quà la ville est toujours tournée contre lextérieur : les jeunes du village voisin, les gardes forestiers, les gendarmes. Ce sont surtout les représentants de lÉtat qui sont alors visés. Du moins est-ce toujours son village, et lhonneur de celui-ci, quil y a lieu de défendre.
Cela vaut également pour les pratiques de régulation sociale dont les jeunes ont la primeur, et qui sexpriment notamment dans les charivaris. À lheure où eux-mêmes font lapprentissage des normes sociales, ils sont chargés de les faire appliquer à lensemble de la communauté et éventuellement de châtier les contrevenants. Doù ce paradoxe : ces pratiques de régulation sont en fait éminemment conservatrices et se placent au fond sur le même terrain que celui de lÉglise notamment ; mais dans la mesure où celle-ci sarroge lexclusivité du contrôle moral, elle supporte mal la concurrence que représentent les jeunes à cet égard ; les curés de campagne condamnent dès lors des coutumes telles que le charivari, dont ils peuvent à leur tour devenir les victimes en raison de leur rigorisme. Plus généralement, on retiendra que cette jeunesse ne se fait jamais véritablement contestataire : elle demeure une main-duvre docile qui ne se rebelle guère contre ses conditions de travail pourtant très pénibles.
Le livre étudie enfin le processus deffacement de la communauté villageoise au profit de lintégration nationale. Les facteurs de cette acculturation sont multiples et variables selon les régions, et même dun village à lautre. On retiendra pourtant, parmi les principales raisons de cet affaiblissement des solidarités et des contraintes communautaires, le désenclavement des villages et le progrès de la petite exploitation familiale. Lencadrement par lécole, par certaines organisations de jeunesse comme les orphéons ou les sociétés de gymnastique et de tir, par larmée aussi évidemment, contribue à désarrimer le jeune de son village. Jean-Claude Farcy revient ainsi sur limportance de la conscription dans cette intégration nationale, à la suite des travaux de Michel Bozon, dAnnie Crépin et dOdile Roynette, et démontre une fois de plus combien ce passage par larmée se révèle important, à léchelle de lindividu et de la communauté.
Louvrage de Jean-Claude Farcy se veut «une invitation à la recherche». De fait, il pose des questions stimulantes à lhistorien et ouvre des pistes, en indiquant, en particulier, que lhistoire de la jeunesse rurale au XXe siècle reste à faire.
Ludivine Bantigny ( Mis en ligne le 07/03/2005 ) Imprimer
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