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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Le temps béni des colonies… | | | Olivier Le Cour Grandmaison Coloniser, Exterminer - Sur la guerre et l'Etat colonial Fayard 2005 / 22 € - 144.1 ffr. / 365 pages ISBN : 2-213-62316-3 FORMAT : 15x24 cm Imprimer
Voilà un essai historique qui promet de faire du bruit. Dans Coloniser. Exterminer, Olivier Le Cour Grandmaison revisite en effet le passé colonial de la France, éclairant une page bien peu glorieuse de son histoire.
On parle encore du «Je vous ai compris» de de Gaulle, des porteurs de valise, de lOAS, du FLN, des accords dEvian, etc. Mais que sait-on réellement aujourdhui de la politique de conquête de la France depuis son arrivée et son installation en Algérie suite au coup déventail donné par le grand dey au consul français Deval, en 1827 ? Fort peu de chose en somme, pour une période de près dun siècle au bilan désastreux.
Il faudrait commencer à lire cet ouvrage par sa conclusion, soit au moment où Grandmaison rappelle la proposition de loi 667, enregistrée à lAssemblée Nationale le 5 mars 2003 et reconnaissant publiquement «loeuvre positive de lensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française.» Et puis il sagit de remonter dans le temps, vers 1830, au sortir des Trois Glorieuses, et voir sinstaller le régime colonial (soutenu aussi bien par la Monarchie que par le Second Empire et la République)
Grandmaison restitue alors dans leur plus choquante vérité les discours plus ou moins ouvertement haineux des défenseurs de loccupation française de lAlgérie. Il fait apparaître clairement les stéréotypes raciaux et culturels sur lesquels se fonde la certitude de la paresse, de la dépravation, de la perfidie et de linfériorité de «lArabe». Pas un n'y échappera parmi ceux quon aurait pu croire les esprits les plus éclairés de lépoque, ni Tocqueville ni Lamartine. Rarissimes seront ceux qui sopposeront à lentreprise ; Victor Hugo lui-même, dhabitude si prolixe en matière de défense de la dignité humaine, restera muet sur la question.
Animalisé et brutalisé, «lindigène» naura quune alternative : se soumettre aux règles édictées par un nouvel et tentaculaire appareil législatif, ou subir les conséquences expéditives de sa rébellion (internement judiciaire arbitraire, torture, peine de mort).
Parmi les oppresseurs, des figures sortent du lot, notamment celle du Général Bugeaud, ardent partisan de la soumission du pays, qui utilisera toutes les techniques de guerre possibles (enfumades, razzias, massacres, brimades envers les populations civiles) pour parvenir à ses fins. Cest dailleurs lévocation dun tel personnage qui permet à Grandmaison de soutenir que lidée de «guerre totale», réservée dhabitude à la guerre de 14-18, remonterait en fait aux opérations militaires menées dans les territoires coloniaux. Alors quen Europe les nations déploient leurs arsenaux diplomatiques et juridiques pour humaniser les conflits qui viendraient à éclater entre elles, la sauvagerie est de mise, revendiquée et même applaudie quand elle sapplique aux Kabyles et autres barbares du désert
Grandmaison montre bien à quel point le gouvernement français en Algérie fait figure dEtat dexception, laissant tout loisir à son Gouverneur de déplacer, tyranniser et exploiter les populations. Louvrage complète par moment le Surveiller et punir de Michel Foucault, notamment quand il évoque la société de contrôle et le régime pénitentiaire mis en place, ainsi que sur les projets de transformation du territoire en vaste bagne destiné à accueillir les criminels jugés les moins dangereux et quon ferait uvrer là à la prospérité de lEmpire. Enfin, un parallèle saisissant est opéré dans le dernier chapitre de louvrage entre dune part la vision de lautochtone méprisable et les techniques de répression utilisées à son encontre dans les colonies et, dautre part, le combat mené en France par le pouvoir contre les prolétaires de la «Sociale», considérés par les représentants de lordre (souvent des anciens de lAlgérie en personne, tiens, tiens
) comme des «Bédouins de la métropole».
Lanalyse de Grandmaison convainc : sans minimiser les bilans des conflits et des massacres ultérieurs, elle relativise et remet en perspective léclosion du «siècle des extrêmes», en allant rechercher ses racines les plus lointaines et les moins attendues. Une lecture essentielle et bouleversante.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 06/06/2005 ) Imprimer
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