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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Une poésie d’or et de pourpre
Yann Mortelette   Histoire du Parnasse
Fayard 2005 /  27 € - 176.85 ffr. / 570 pages
ISBN : 2-213-62352-X
FORMAT : 15,5x23,5 cm

L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV).
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Le Parnasse souffre de sa mauvaise réputation. Le stéréotype du poète maudit a jeté une ombre sur les Parnassiens souvent vus comme «bourgeois», trop sérieux ou pédants. Le symbolisme et le surréalisme ont jeté un voilé d’oubli sur leurs poèmes. L’art engagé du XXe siècle n’a pu avoir que mépris pour des partisans de l’art pour l’art, jugés insensibles et égoïstes. On comprend dans ces conditions qu’aucune histoire du Parnasse n’ait été tentée depuis 1929. Il convenait donc de nuancer sérieusement ces jugements hâtifs et de tenter de redéfinir la place du Parnasse dans l’évolution de la poésie du XIXe siècle.

Pourtant le Parnasse a été une avant-garde présentant une vision exigeante de la littérature et de l’art. Le considérer à la seule lumière du Coppée des années 1890, c’est oublier que Mallarmé a dû quitter son poste de professeur après avoir publié dans le Parnasse contemporain ; c’est oublier la bataille politico-littéraire en faveur de Victor Hugo et de la liberté de l’art, à l’encontre du Second Empire ; c’est oublier leurs efforts pour intégrer les nouvelles découvertes scientifiques et historiques à leurs écrits.

Le groupe se structure lentement autour de la génération de 1840 : les premiers parnassiens ou «compagnons de route» sont Gautier, Théodore de Banville, Leconte de Lisle ou Baudelaire. Ces poètes ont une grande influence sur la génération suivante, celle des Heredia, Sully Prudhomme, Coppée mais aussi Mallarmé ou Verlaine. Les styles de tous ces poètes sont certes très différents mais ils possèdent une conception commune de la poésie et de la place de l’artiste dans la société, publient dans les mêmes revues et participent aux publications collectives du Parnasse contemporain. Ces conceptions s’imposent peu à peu avec le déclin du romantisme tandis que les parnassiens abordent de nouveaux thèmes : la guerre de 1870 laisse des traces dans la poésie, certains prennent des voies divergentes. Le Parnasse se fait alors rattraper par son époque : en accord avec la pensée positiviste, parfois proches du patriotisme, de plus en plus reconnus, ses représentants deviennent peu à peu des poètes officiels, abondamment cités dans les anthologies ou mis à contribution lors de la visite du tsar à Paris. Un déclin inexorable, hâté par l’émergence de nouvelles conceptions artistiques s’amorce alors.

Yann Mortelette, auteur de ce livre, est chercheur au CNRS. Il s’agit là de sa thèse de doctorat, soutenue en Sorbonne en 2002. Ses travaux l’ont déjà amené à publier de nombreux articles : il a notamment collaboré au catalogue de la passionnante exposition sur Marie de Régnier à la bibliothèque de l’Arsenal (BnF, 2004), il a publié des inédits de Heredia et est l’auteur d’une bibliographie complète du même auteur. Cette étude bénéficie de sources inédites ou peu mises à profit jusqu’à aujourd’hui : la correspondance des poètes, assez dispersée (Bibl. de l’Arsenal, Bibl. de l’Institut, BnF…) et aussi nombre de petites revues de l’époque, patiemment dépouillées. L’entreprise est large : on cherche à traiter une bonne part des problématiques qui apparaissent lorsque l’on étudie une école ou un groupe. Les influences, les modèles, le positionnement par rapport aux autres théories poétiques, les moyens de diffusion, les lieux de sociabilité et les hommes.

Pour ce faire, l’ouvrage s’articule en quatre grandes parties. Dans la première, l’auteur étudie la constitution du groupe, l’homogénéisation progressive de leur conception de la poésie et la place qu’il occupe dans le champ littéraire. Signalons particulièrement le chapitre consacré aux rapports entre Parnasse et romantisme, question qui a partagé les parnassiens eux-mêmes. M. Mortelette, effectuant la généalogie de la théorie de l’art pour l’art, prouve qu’elle n’est nullement romantique avant de souligner les différences dans les conceptions du rapport à la société, de l’exotisme et surtout de l’homme et de l’art : à la mièvrerie de l’élégie romantique, le Parnasse oppose une poésie sobre et puissante, à l’inspiration le travail sur la forme, au poète-prophète un poète-savant d’un élitisme de bon aloi.
La deuxième partie considère le mouvement à ses débuts, comme avant-garde de la poésie française qui s’oppose à la vulgarité bourgeoise du Second Empire : c’est l’époque où sont publiés les deux premiers Parnasse contemporain qui donnent leur nom au groupe tout en le structurant.

Le Parnasse gagne en notoriété : Leconte de Lisle et des poètes de la deuxième génération comme Coppée ou Sully Prudhomme s’imposent comme des poètes presque officiels. Plusieurs poètes obtiennent des places importantes dans la presse, ce qui leur permet de diffuser leurs idées et d’avoir une influence grandissante. Plusieurs parnassiens sont élus à l’Académie, Heredia le plus largement dès sa première candidature en 1894. Pourtant la nouvelle génération est porteuse de théories nouvelles qui doivent certes beaucoup au Parnasse (l’inverse étant d’ailleurs également vrai) mais qui apparaissent comme son rival. Le symbolisme et le décadentisme s’imposent sur le Parnasse.

Enfin, une quatrième partie considère le rayonnement du Parnasse d’un point de vue géographique (à travers la poésie régionaliste et les parnassiens étrangers) et temporelle. La trace laissée par le mouvement reste bien visible au début du XXe siècle chez des auteurs aussi différents que Guérin, Péguy ou Valéry. Il connut ensuite une longue période d’oubli que ne vinrent troubler des études sérieuses sur le mouvement que dans les années 1970.
Mais, bien que le plan soit chronologique, le récit n’est jamais linéaire. Les analyses sont souvent pénétrantes et l’auteur n’oublie jamais de s’interroger sur son sujet et remet sans cesse en cause son travail : l’interrogation sur ce qu’est un parnassien se trouve ainsi en filigrane tout au long du livre. Il ne s’agit pas seulement de faire l’histoire du Parnasse mais également d’analyser leur manière, leur vocabulaire, leurs relations et leur pensée.

L’ouvrage est très agréable à lire : Yann Mortelette nous emmène de la boutique de l’éditeur Lemerre au salon de Leconte de Lisle avec une élégante sobriété dans l’écriture. Les nombreuses citations de correspondances et de poèmes nous donne un échantillon de la production parnassienne. On se prend toutefois à regretter qu’une seule et simple lettre de Banville à Heredia soit présentée en annexe : on aimerait pouvoir lire plus de documents originaux (à moins que M. Mortelette ne cherche à allécher le futur lecteur de la correspondance de Heredia, dont il prépare l’édition…). Tout juste peut-on relever une tendance un peu agaçante à utiliser plusieurs fois les mêmes citations, ce qui donne une impression de redite (par exemple pp.60, 82, 150).

Cet ouvrage, loin d’être un livre d’érudition, fait donc revivre une période d’ébullition artistique et analyse finement cette avant-garde qui a réussi. On espère qu’Yann Mortelette saura ainsi faire évoluer les mentalités et contribuer à redonner au Parnasse la place qui est la sienne. Exercice difficile quand on songe au silence qui accompagne le centenaire de la mort de Heredia.


Rémi Mathis
( Mis en ligne le 25/09/2005 )
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