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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Une race innommable, longtemps indigne de mémoire... | | | Heinz Heger Les Hommes au triangle rose H&O - Poche H&O 2006 / 6.90 € - 45.2 ffr. / 179 pages ISBN : 2-84547-112-2 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Traduction d'Alain Chouchan.
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Ce livre a été publié en Allemagne en 1972 et traduit en français une première fois en 1980 de façon relativement confidentielle aux éditions Persona. LOccident développé procédait à sa «révolution sexuelle» de la fin des années 60 et prétendait à un retour historico-critique sur les conceptions sociales dominantes, les discours normatifs de justification, les transgressions et leur répression. Aussi lhomosexualité pouvait-elle espérer, avec un temps de retard certes, bénéficier dune remise en cause fondamentale des repères «hétérosexistes» pour faire entendre sa voix et son histoire en première personne. Au risque dinjures publiques et dindignations vertueuses, bourgeoises ou prolétariennes : ainsi le secrétaire général Duclos du PCF frôlait-il lapoplexie en 1972 quand des militants du FHAR (Front Homosexuel dAction Révolutionnaire) osaient linterroger en plein meeting sur la position de son parti quant aux droits des homosexuels. « Comment osez-vous, pédérastes !
la femme française !
» etc.
Les publications allemande et française correspondaient dans chaque pays à une évolution récente. En Allemagne, le paragraphe 175 du Code pénal réprime depuis lépoque impériale lhomosexualité : conservé par le IIIe Reich, il reste en application en RFA jusquen 1969, quand la coalition social-démocrate et libérale du chancelier Willy Brandt décide de le supprimer. Significativement, Josef Kohout jugeait préférable encore de signer «Heger» : un pseudonyme. En France, la loi réprimait les atteintes aux «bonnes murs», avec le soutien actif de la police et des tribunaux, jusquen 1974, avant que des instructions ne tempèrent lapplication des lois sous le «libéralisme sociétal» de VGE. La traduction de 1980 précède de peu la victoire de la gauche de 81, les instructions immédiates de Gaston Deferre à la police et labolition officielle de 1982.
Etrangement, peu de gens se choquaient que ces lois fussent un héritage de régimes autoritaires voire militaristes ou fascistes ! Cétait pourtant bien le régime de Vichy qui avait aboli le libéralisme de la Révolution Française en cette matière, auquel Napoléon, si soucieux de la stabilité de la famille patriarcale, n'avait rien trouvé à redire, que ce fût sous linfluence du grand juriste Cambacérès homosexuel notoire et référence du 1er Consul et Empereur ou pour faciliter la vie de certains valeureux chefs de guerre du régime. Cependant le retour de la démocratie avait eu lieu dans un besoin «manichéen» de recommencement pur et moral et la sexualité ; lhomosexualité en particulier avait joué leur rôle traditionnel de bouc-émissaire. De Gaulle et la IVe République, soucieux de re-fondation «morale», avaient maintenu cette pénalisation entre autres dispositions d«ordre moral» familialiste de la Révolution Nationale (contre lavortement, pour la natalité patriotique, etc.). La Ve République gaulliste, sous linfluence conjuguée des très catholiques Yvonne de Gaulle et Edmond Michelet («saint» résistant devenu ministre de la justice) devait se montrer particulièrement répressive. (Cela se fait encore dans le sud des Etats-Unis, où demeure, depuis lépoque des chasses aux sorcières puritaines, le crime de «sodomie» à lencontre de citoyens majeurs ayant des rapports sexuels mutuellement consentis dans lenceinte de leur domicile privé !!). Drôle de «libération» pour les victimes homosexuelles du nazisme !
Mais quelles victimes ?! Car le scandale que dénonce Heger est double : à la politique déradication de lhomosexualité par le camp, au nom dune improbable rééducation à la schlague ou à défaut par la castration, plus souvent par la liquidation physique, sajoute en 1945 la négation par la société et les autorités «démocratiques» de ce martyre. Comment oser comparer la souffrance de ces dégénérés avec le sacrifice noble des résistants de lIdée ? De même que lextermination programmée des Juifs met le doigt sur lambiguïté de la société européenne devant le phénomène juif avant 1941 et suscite dabord un embarras (avant le déchaînement de la mémoire et de la culpabilisation), de même la société de 1945 manque de maturité pour faire face aux origines idéologiques de la volonté dexterminer les homosexuels. On a beau prétendre refonder lordre social sur la résistance «humaniste» au nazisme, cet humanisme de la personne, souvent régressif et simpliste, est habité de puritanisme et dune angoisse profonde devant le défi que représente lhomosexualité par rapport à la vision normative qui doit rassurer la majorité. Et puis na-t-on pas accusé les SA dhomosexualité dans les années 30 ? Que les nazis aient purgé leur régime et continué à appliquer une loi de lEtat de droit antérieur, voilà qui ne pose aucun problème. Parmi les prisonniers des camps, ceux enfermés pour homosexualité sont donc avec les droits communs ceux qui "méritaient" dy être de toutes façons, et si peut-être leur châtiment fut excessif, qui sen soucie à la sortie dun tel carnage ? Parler des souffrances en camps de vicieux tarés, bientôt catalogués comme malades mentaux, est-ce bien décent ? Voilà le silence et le tabou que Pierre Seel lAlsacien et lAutrichien Heinz Heger (1917-1994) veulent briser.
Il se trouve que langoisse collective devant lhomosexualité et sa reconnaissance légale et sociale a été bien formulée par
le Reichsführer SS Heinrich Himmler le 18 février 1937: «Lorsque nous avons pris le pouvoir, nous avons découvert les associations dhomosexuels. Elles comptaient deux millions de membres. (
) Si la situation ne change pas, cela signifie que notre peuple sera anéanti par cette maladie contagieuse. A long terme, aucun peuple ne pourra résister à une telle perturbation de sa vie et de son équilibre sexuel.» En mars-avril 1938, lAutriche est annexée par le Reich (Anschluss) et le jeune étudiant viennois Heinz Heger ne soupçonne pas comme sa vie va en être bouleversée. Depuis lâge de 16 ans, il connaît son orientation sexuelle et la grande compréhension de ses parents lui permet à 19 ans de compenser la difficulté dun jeune homme de lépoque à assumer cette découverte. A luniversité, il rencontre fin 1938 un jeune Allemand venu étudier la médecine à Vienne, Fred. Mais ce premier amant est le fils dun officier allemand (peut-être nazi, il se suicidera en 45) et on ne sait comment Heinz et Fred sont pris dans une enquête de la Gestapo. Convoqué en mars 1939, Heger se présente dans les bureaux de la police politique un peu inquiet mais sans soupçonner le motif de ce quil imagine une formalité ou un malentendu. Il est immédiatement convaincu dhomosexualité sur la base dune carte de Noël à son amant, insulté et présenté à un juge, qui le condamne de façon expéditive à six mois de maison de redressement dont un de jeûne «pour pratiques répétées sur personne de même sexe» ! Il ne sortira en fait de lenfer quen 1945. Fred est protégé par son père. Cest bientôt la guerre : Heinz quitte la prison pour Sachsenhausen ! Son père multiplie de vaines démarches, mais insulté et humilié, sans nouvelles de son fils, il finit par se suicider en 1942. Aux Américains qui les libèrent, les «pédés» se présentent prudemment en «déportés politiques». Entre temps, une sinistre cure par des normaux fous et pervers.
Le témoignage est poignant et instructif sur le sort des 10.000 à 15.000 homosexuels des camps, sans parler des 60.000 détenus de prison. On dit beaucoup que le travail de mémoire et dhistoire se fait désormais et l'on y voit parfois la main dun puissant lobby gay. Quoiquil en soit, il était temps et l'on espère seulement que ce travail reposera de moins en moins sur le réseau des auteurs, éditeurs et librairies «gay» et rencontrera une sympathie non feinte au-delà de son premier public et plus de considération dans le monde universitaire, ce qui reste loin d'être le cas en 2006 encore.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 27/06/2006 ) Imprimer | | |
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