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L'histoire (ré)écrite
François Delpla   Nuremberg face à l'histoire - Avec 1 DVD
L’Archipel 2006 /  23.95 € - 156.87 ffr. / 348 pages
ISBN : 2-84187-781-7
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.
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L’ouvrage particulièrement stimulant de François Delpla nous donne à suivre et à comprendre l’un des procès majeurs du 20e siècle, qui n’a pourtant pas suscité beaucoup de travaux historiques : le procès de Nuremberg. Ce procès s’ouvre le 20 novembre 1945 dans le saint des saints du nazisme ; vingt et un dirigeants du IIIe Reich vont répondre de leurs actes ou de leurs complicités, pendant dix mois, devant une cour internationale composée par les quatre puissances alliées, jusqu’au verdict du 1er octobre 1946.

La première richesse de l'ouvrage tient à la multiplication des sources et à la variation des points de vue qu’elle permet. L’auteur s’appuie en effet majoritairement sur les comptes rendus d’audiences, sur les articles alors publiés, mais mobilise également les papiers personnels (journaux puis souvenirs) des différents protagonistes (on retiendra notamment les mémoires abondamment utilisées de Telford Taylor, procureur américain). Pour tenter de saisir les réactions des accusés, l’auteur utilise également une source d’une grande richesse, le Journal de Nuremberg de Gustav Gilbert, soldat psychologue attaché aux prisonniers, jouant à leur côté un rôle ambiguë de confesseur et d’espion, et qui a transcrit au jour le jour l’état d’esprit des inculpés.

La progression de l’ouvrage en 32 chapitres – qui eussent certainement gagné à être resserrés en un plan permettant de mieux dégager les problématiques récurrentes, et donnant moins l’impression de procéder par fiches – suit d’abord une progression chronologique. Si la volonté de punir les Allemands des atrocités qu’ils commettent se fait jour dès le début de la guerre, si des listes noires sont dressées et complétées tout au long du conflit, à l’approche de l’issue, un désaccord se noue entre les Britanniques qui préfèreraient procéder à l’exécution sommaire des principaux responsables, et les Américains attachés à la mise sur pied d’un procès de justice et de mémoire (car dès le début, leur ambition est de juger le nazisme mais aussi d’éviter ce qu’on appellera plus tard le négationnisme). L’un des premiers apports de l’ouvrage est bien de suivre les tractations américaines (menées de main de maître par le procureur Jackson), qui reçoivent l’appui des Soviétiques (les Français n’intervenant pas dans cette phase préparatoire), pour imposer aux Britanniques le procès international.

L’ouvrage suit ensuite l’établissement délicat de la liste des inculpés (entre les désirs britanniques d’une liste restreinte aux principaux dirigeants politiques et les surenchères des soviétiques qui souhaitent, eux, insister sur les responsables économiques) et des crimes jugés. Sur ce dernier point, si l’ouvrage glisse rapidement sur l’histoire (connue) de la fabrication du «crime contre l’humanité», il retrace en revanche avec précision les difficultés à qualifier les guerres d’agression, et la difficile mise en accusation des crimes nazis qui précèdent la guerre.

Après avoir abordé l’ample travail de collecte des preuves et la délicate rédaction de l’acte d’accusation, l’ouvrage entre dans l’enceinte du Palais et nous invite au procès de Nuremberg. Vingt chapitres suivent ainsi les débats, les principales interventions des accusés, des accusateurs, des témoins, rendant les moments de tensions (notamment le duel entre Jackson et Göring), suivant (grâce à Gilbert) les réactions des accusés, leurs stratégies. Certains passages sont un peu longs, un peu descriptifs, mais ils permettent de bien rentrer dans le procès, d’en suivre les longueurs, et l’imprégnation l’emporte finalement sur une compréhension plus synthétique – comme si l’auteur faisait le même choix que Jackson, le procureur : prendre son temps, au risque d’ennuyer, mais pour mieux servir la justice et l’histoire. Les derniers chapitres, plus thématiques, suivent la façon dont le procès a rendu compte de l’histoire du nazisme : installation du régime, Nuit des Longs couteaux, marche à la guerre, année 40, opération Barbarossa, et surtout, le génocide des juifs. Deux ultimes chapitres reviennent sur le grand «présent» de Nuremberg, Göring, puis «le grand absent» (dernier chapitre), Hitler.

Tout au long de cette présentation du procès, l’auteur s’attache à quelques questionnements récurrents. François Delpla donne à comprendre l’ambition du procès. Il s’agit de juger des hommes, physiquement présents dans le prétoire, d’établir leur culpabilité, mais également d’imposer une dénonciation de ces crimes dans le double espoir qu’on ne les oublie, et plus encore, qu’on ne les nie jamais, mais aussi qu’on ne les perpétuent plus. Or ces impératifs ont leur logique propre, dont l’auteur montre bien combien elles peuvent parfois se contrecarrer. Il cherche aussi à combattre quelques-unes des idées reçues sur le procès, des plus fondamentales - non, Nuremberg n’a en aucun cas sacrifié la question du génocide – à de plus anecdotiques – non, Jackson n’a pas lamentablement perdu dans son duel contre Göring. Il montre aussi de façon magistrale combien Américains, Britanniques, Soviétiques et, dans une moindre mesure, Français, ont travaillé de concert, non sans quelques conflits et désaccords, pour juger les responsables de crimes, à l’heure où pourtant se profilait clairement le divorce entre les deux blocs.

Mais sa problématique principale reste d’interroger le procès en tant qu’écriture historique immédiate du nazisme et de la guerre, en essayant d’en comprendre les logiques internes (et en montrant notamment à plusieurs reprises, et de façon tout à fait stimulante, comment les logiques juridiques et les logiques historiques ont pu se contredire). Il cherche se faisant à comprendre aussi ce que Nuremberg a laissé en héritage à l’Histoire : comment il a permis de mieux comprendre le nazisme, tout en léguant de nombreuses zones d’ombres, légendes et erreurs ; bref, combien il a pu poser les premières marche d’une longue et conflictuelle historiographie du régime et de la guerre. Car Nuremberg est une écriture de l’histoire qui dédouane les vainqueurs (qui sont alors les juges) de leur connivence et de leur responsabilités : il évite par exemple de trop se pencher sur les accords de Munich, sur le pacte germano-soviétique, ou sur le massacre de Katyn. Le procès peine à s’interroger sur la place réelle du Führer. Certes il dénonce le génocide (et l’un de ses mérites est bien d’avoir montré au grand jour les atrocités) mais souffre de l’absence d’Eichmann ou de Himmler pour conduire le procès à charge. Par ailleurs, dans un souci constant partagé par les Russes et les Américains de blanchir la majorité des Allemands, Nuremberg surestime la terreur et sous-estime la part de la séduction dans l’installation du régime. Il présente également les Eglises en victimes et donne insuffisamment à voir leur connivence. «C’était laisser bien du travail aux historiens» conclut l’auteur, mais pouvait-il en être autrement ? Nuremberg a cependant surtout laissé, en plus d’une masse considérable de documents, des intuitions, des hypothèses pour le moins stimulantes.

Au final, l’ouvrage, qui reste une somme de renseignements sur le procès, est surtout une lecture fort intéressante sur les rapports de l’histoire et de la justice. Il est vendu avec un DVD. Il s’agit d’un film soviétique inédit de 1947. De grande qualité technique (images, montage), ce film donne à voir quelques-uns des moments forts du procès, les physionomies et les réactions des protagonistes, les conditions matérielles, la couverture médiatique. Mais il est surtout intéressant par ce qu’il révèle du point de vue soviétique : destiné à être diffusé au Etats-Unis, le film présente le procès comme une leçon, l’affirmation qu’à l’avenir tout agresseur sera nécessairement puni de ces crimes, ce qui semble viser Washington. Etrange film donc qui donne à lire la Guerre froide en présentant l’un des derniers moments de collaboration entre les deux grands.


Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 11/01/2007 )
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       de Jean-Marc Varaut
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