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L’art religieux révolutionné ? | | | Jean-Michel Leniaud La Révolution des signes - L'art à l'église (1830-1930) Cerf - Histoire religieuse de la France 2007 / 39 € - 255.45 ffr. / 429 pages ISBN : 2-204-08184-1 FORMAT : 15,0cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
A force de considérer le XIXe siècle religieux du strict point de vue de la pratique, et à se focaliser sur les questions de croyances et les problématques de déclin, on finirait par oublier que la religion, cest également une inspiration artistique et des réalisations concrètes, une représentation visible de la foi à travers des uvres dart, des batiments
autant de marques dun «génie» théorisé en 1802 par Chateaubriand. A cet égard, lart a sa place dans les réflexions des historiens, aux côtés des opinions, des mentalités, de lhistoire des idées, comme reflet dune aspiration à la transcendance. Dans un XIXe siècle complexe, qui accouche dune modernité diffuse, ambiguë, lEglise incarne, trop facilement dans limaginaire contemporain, de manière stéréotypée, la réaction, le refus absolu de la modernité, la ringardise au bout du compte. Certes, la tradition est lun des piliers du christianisme, mais lEglise a su négocier, à son rythme, le passage du siècle. Le domaine de lesthétique en particulier, atteste dun bouillonnement didées, de théories, dun débat créatif en somme, que cet ouvrage brosse avec efficacité et sens de la synthèse.
Professeur à lécole des Chartes et directeur détudes à lEPHE, Jean Michel Leniaud est un spécialiste des questions dart religieux. Dans cet ouvrage, qui rassemble une succession de 26 articles portant sur un long XIXe siècle religieux, il analyse lévolution esthétique de lart religieux, de la redécouverte des styles médiévaux au glissement vers labstrait et le non figuratif, et brosse, sur le long terme, une histoire à la fois politique, culturelle et religieuse de léglise en tant que bâtiment et en tant quobjet scientifique, lieu dune mémoire disputée, enjeux dune modernité plus ou moins «ostentatoire» au temps de la sécularisation, de la déchristianisation et de la rechristianisation .
Tout en constatant demblée combien la notion dart chrétien/sacré est discutable, lauteur propose dans une introduction riche, le portrait dun XIXe siècle religieux et culturel, qui mêle redécouverte dune tradition nationale dans le cadre du romantisme et appétit de modernité. Cest à cette redécouverte de lart médiéval, et à son exploitation, que JM Leniaud consacre un premier article en forme de prémices, autour dune inspiration médiévale et renouvelée, qui inaugure le XIXe siècle. Louvrage sorganise en quatre parties, explorant larchitecture en tant que genre, avant de se pencher sur des réalisations concrètes. Puis on entre dans les églises par le biais des arts liturgiques et de quelques grands artistes et érudits, défenseurs éclairés de ce qui simpose peu à peu comme un patrimoine, avant daboutir au XXe siècle et à ses problématiques propres (la sécularisation de lEtat, la Séparation et les nouveaux enjeux de la construction et de a gestion dédifices religieux dans un contexte de laïcité).
Dans une première partie mélant considérations politiques et théoriques, on est demblée frappé par lélan des constructions religieuses dans la France concordataire, un élan encadré par lEtat, mais qui sait également sen affranchir dans une quête de monumentalité, déclinaison architecturale de la rechristianisation. Le néo-gothique simpose alors comme le style en vogue, non sans provoquer des débats et autres «Hernani architecturale» : croisant le romantisme comme mode (puis comme académisme) et le nationalisme comme culture, le néo-gothique (dont le nom même savère trompeur, à lorigine dune polémique esthétique franco-germano-anglaise) conquiert larchitecture religieuse, décliné en «pittoresque», «archéologique»
Bien évidemment, la personnalité de Viollet-le-duc est au cur de cette actualité, comme grand prêtre de cette redécouverte et larticle qui lui est consacré pose logiquement la question du rapport au religieux pour le restaurateur de Notre Dame, un homme dont la seule religion fut sans doute lart. Lheure est donc à lhistoire comme inspiration. En général, le «néo» a le vent en poupe : néo-roman (du reste, le «roman» est également défini dans les années 1820, comme pendant au gothique), néo-gothique, néo-byzantin, au risque de linstrumentalisation.
On laura compris, la nation sinsinue dans les églises comme dans les Etats, aussi JM Leniaud sintéresse-t-il également aux cathédrales «nationales» comme celle de Cologne ou de Paris. De fait, la cathédrale devient un objet politique, et même touristique, un lieu de mémoire en somme, que lEglise doit désormais «partager» avec la modernité. Avec, comme un pendant religieux à cette «sécularisation» forcée des grandes cathédrales du XIXe siècle, la construction des basiliques et le développement dun «tourisme religieux» sous la forme des pélerinages (La Salette, le Sacré Cur
). Dun édifice à lautre, lauteur sait, en analysant le batiment par morceau (le parvis, la flèche), linscription dans la ville (dans un souci certes anachronique durbanisme), le cadre juridique (notamment pour le vu national du Sacré Cur) ou bien liturgique (avec la cérémonie de consécration), loccupation même (avec les gisants de la basilique royale de Saint Denis), démontrer la multiplicité des approches, entre histoire et histoire de lart. On croise également des pistes pour la recherche, comme cet article stimulant sur le Saint Nom de Jésus de Lyon.
Au final, voici un ouvrage extrêmement riche. Tout dabord par la pluralité des approches : on passe de lhistoire de lart à lhistoire institutionnelle ou à lhistoire culturelle, dans un souci constant de contextualisation fine : lauteur, sensible à la complexité de lévolution du religieux au XIXe siècle, sait mettre en perspective une uvre avec un mouvement (politique, culturel, religieux) et décrire un état desprit. Les sujets sont également nombreux : cest une promenade dans lEurope du XIXe siècle, de lAngleterre à lAllemagne en passant fort logiquement par la France : histoire comparatiste que celle-là, qui sait replacer un art français dans un contexte, des mouvements et des débats européens. Enfin, la présentation, par des articles plus ou moins longs, généralement écrits avec un soucis didactique qui rend la lecture très accessible, invite à un pèlerinage érudit, qui nest pas, loin sen faut, le tableau de la «grande misère des églises de France». Un XIXe siècle religieux non pas insoupçonné, mais restauré.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 20/03/2007 ) Imprimer | | |